Johnny
Hallyday est mort, dans la nuit de mardi 5 à mercredi 6 décembre. Notre rockeur
national avait 74 ans.
Héros français ?
On en fait un peu trop, non ? Non pas les fans à l’authentique émotion, chaleureux et sincères dans leur affliction, non pas cette France populaire dont la ferveur intime respect et tendresse, non pas cette unanimité rockeuse et nostalgique qui réunit pour une fois un pays qui cultive trop souvent, sur un mode un peu maso, ses propres déchirures. Il y a une France de Johnny qu’il faut mesurer et accompagner, comme nous le faisons ce week-end dans Libération, pour qu’elle s’exprime, pour que son chagrin bien réel soit partagé. Mais le Président, les pouvoirs de l’Etat, la République ? La dernière fois qu’on a convoqué une telle pompe, c’était pour Victor Hugo. Quelle que soit l’admiration qu’on peut éprouver pour l’interprète, la considération pour le showman infatigable qui a chanté la bande-son de troi s ou quatre générations, on descend tout de même, à un siècle et demi de distance, une sacrée marche !
«Un héros français», dit Emmanuel Macron. Un héros privé, à coup sûr, qui brûle sa vie jusqu’à la dernière minute pour sa musique, qui tombe et se relève sans cesse, qui lutte avec courage – comme tant de Français – contre l’ultime maladie. Mais un héros national ? Imitateur de génie qui suscite les sosies mais qui en est un lui-même, caméléon de grand talent, maître de la scène, moins original dans la création, viveur qui dépense son argent sans compter, sauf quand il s’agissait d’acquitter l’impôt, dont il avait une conception exotique. Un chanteur généreux qui parle à tout le monde mais qui s’engage d’un seul côté, pour Chirac ou pour Sarkozy, qui est «né dans la rue» mais qu’on honore à la Madeleine, dont se mo quait pourtant son ami Dutronc dans un vieux tube. Johnny, qui avait un certain humour, a préféré reposer loin de Paris, à Saint-Barth, sous les cocotiers. Peut-être voulait-il éviter, plus lucide qu’on ne croit devant ces solennités officielles qui ne lui ressemblent guère, qu’on l’expédie directement au Panthéon…
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LAURENT JOFFRIN
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Il dépense sans compter, épuise ses
comptables, les honnêtes et les véreux, change de conseiller fiscal comme de
chemise à jabot, donne tout à ses amis, les vrais et les faux. Il subit de
multiples contrôles fiscaux, est même condamné à de la prison avec sursis.
Aux juges, il dit seulement que
"l’argent, c’est trop compliqué pour moi". Il fait l’idiot ? Non, répondent
tous ceux qui ont croisé le météore du rock, le prince noir un jour
milliardaire, ruiné le lendemain, noyé sous les dettes, empruntant à sa maison
de disques, qui finit par le tenir en otage en lui imposant des choix
artistiques hors sujet.
Il achète et revend les maisons les
plus extravagantes, les yachts les plus luxueux, court les palaces sans
vergogne.
L’idole
des smicards tente maladroitement pour échapper au fisc français, au risque de
ternir son image, d’obtenir la nationalité belge.
En vain. Il
émigre en Suisse, à Gstaad, pour le même motif, puis s’installe en Californie
pour son climat et pour s’éloigner des "grincheux" du fisc.
Mais la "France profonde" lui pardonne tout. Le mythe est
indéboulonnable.
Les innombrables
hommages à notre rockeur national ont pudiquement passé sous
silence un aspect pourtant bien connu de la carrière de Johnny Hallyday : sa réticence à payer ses impôts.
1975 : Johnny
Hallyday n'a que 32 ans et déjà des démêlés avec le fisc, qui lui réclame des
millions en arriérés d'impôts. Il indique vouloir quitter la France pour les
Etats-Unis : "Je pars avec Sylvie et David". Il revient dès la fin de
l'année.
1977 : Il
est condamné pour fraude : 10 mois de prison avec sursis et 20.000 francs
d'amende.
1995 : Johnny
Hallyday doit au Trésor public une trentaine de millions de francs
correspondant à des retards de paiement. En plus des impayés, le fisc lui
réclame plusieurs millions de pénalités et de majorations de retard.
2000 : Le
chanteur bénéficie de 2,8 millions de francs de dégrèvement et de 3,7 millions
d'annulations de pénalités. Au terme de la négociation fiscale, et après une
remise de l’ordre de 6,5 millions, il a payé 20 millions de francs d'impôts (3
millions d'euros).
De la Belgique à la Suisse
2006 : Johnny
demande la nationalité belge, pays de son père Léon Smet. Motif ? "Des
raisons sentimentales." Mais il est soupçonné de
demander sa naturalisation afin de pouvoir résider à Monaco, sans payer
d'impôt, un privilège auquel les citoyens français n'ont pas droit. Il
renoncera à son projet en octobre 2007.
2007 : Entre-temps,
Johnny est devenu résident de Gstaad, en Suisse, après avoir déclaré qu'il ne
voulait plus être "un mouton qui se fait tondre". Il y bénéficie d'un
régime fiscal bien plus avantageux qu’en France. Le forfait suisse lui permet
de ne payer que 300.000 euros d'impôts par an, bien moins que les 4 à 5
millions qu'il aurait dû payer en France, même après la réforme du
"bouclier fiscal" par Nicolas Sarkozy. Une belle économie.
2010
: Des perquisitions ont lieu dans les bureaux et domicile des proches de Johnny,
notamment à Vaucresson, dans les Hauts-de-Seine, chez le fondé de pouvoir du
chanteur et au cabinet de son ancien conseiller fiscal à Marseille. Johnny
Hallyday est soupçonné de fraudes et d'évasions fiscales vers une société
domiciliée au Luxembourg.
Direction la Californie
2014 : Au
moment où la Suisse durcit (légèrement) sa législation, une enquête des médias
helvètes révèle, photos géolocalisées à l'appui, que Johnny ne
respecte pas la règle qui oblige un résident fiscal à habiter au moins la
moitié de l'année dans le pays. Exilé ou évadé fiscal ? L'un est légal, l'autre
pas. Yann Galut, alors député PS et rapporteur du projet de loi sur la fraude
fiscale, s'indigne :
"Il pourrait être poursuivi par la justice française pour avoir organisé
une fraude à l'impôt."
Le rocker réplique qu'il est devenu… résident
fiscal californien. Le voici propriétaire d'une résidence dans le
quartier huppé de Pacific Palisades, à Los Angeles – une vaste maison où trouve
place sa collection de belles cylindrées, Rolls, Harley-Davidson, AC Cobra… Le
taux d'imposition y est de 13,3% pour les revenus supérieurs à 2 millions de
dollars (1,7 million d'euros), y compris sur les ceux perçus en France, explique Europe 1. Selon
"Challenges", Johnny a gagné 7,6 millions d'euros en 2012
dans la musique (sans compter les contrats publicitaires et la gestion de son
image).
2015 : Son
chalet de Gstaad est mis en vente en 2015 pour 9,5 millions d'euros.
320 mètres carrés, répartis sur trois étages. Dans son autobiographie parue en
2013, "Dans mes yeux", Johnny Hallyday revient sur cet exil fiscal
suisse. "On a souvent dit que je m'étais barré pour ne pas payer d'impôts.
C'est en partie vrai, mais c'est aussi parce que c'est épuisant cette ambiance.
Quand t'as une belle voiture […], on te traite de voleur."
10 février
2017 : Après plusieurs années de procédures,
Johnny Hallyday est définitivement condamné pour avoir dissimulé des revenus au
fisc. Les dividendes de la société Pimiento Music SAS, qui gère les droits de
ses chansons, étaient envoyés dans un paradis fiscal, via le Luxembourg. Le
chanteur doit verser 139.000 euros, beaucoup moins que les 9 millions d'abord
réclamés.
Baptiste
Legrand, avec Nébia Bendjebbour
Un paradis fiscal qui déclenche l'ironie En parlant de paradis, l'île française de Saint-Barthélémy auxAntilles en est un, notamment fiscal. Pour ceux qui y sont résidents depuis cinq ans, pas de TVA, d'ISF, d'impôts sur le revenu, ni d'impôts sur la succession. Bref, en choisissant la petite île des Antilles comme ultime demeure, Johnny a fait un sacré dernier pied-de-nez au fisc, une administration qu'il n'a jamais porté dans son coeur.
Si les habitants de l'île apprécient évidemment ce choix pour la
dernière demeure du rocker, il en va tout autrement pour ses fans. Incompréhension
de la part du chanteur Michel Polnareff
"Je
trouve étrange qu'on soustraie l'enveloppe de Johnny à son public et qu'on
rende impossible à ses fans la possibilité de lui montrer à quel point ils sont
attachés à lui. Une fleur, un message, une photo, un trèfle à quatre feuilles..."