dimanche 3 décembre 2017

"Il sera bientôt trop tard…"

Deux semaines après l'appel de 15.000 scientifiques pour sauver la planète, les promesses semblent si lointaines.
Essayiste, auteur de "Notre France. Dire et aimer ce que nous sommes."

Que cherches-tu dans ces journaux ma sœur?
– Rien. Le rien. Je m'y noie pour confirmer mon intuition de départ, assez basique je l'admets : nous sommes fous. Tarés. Cinglés.
– Plaît-il?
– Oui, nous sommes tous déséquilibrés. Nous avançons sans savoir où nous allons, ballottés par les vents de l'actualité, commentant des informations que nous ne hiérarchisons plus. Tout est mis à plat, ramené au même niveau dans nos esprits malades. Te souviens-tu de la une du "Monde" daté du 14 novembre?

– Non. C'était quoi?
– Tu vois! Tout le problème est là. Tu ne t'en souviens pas, même toi avec tes airs supérieurs et tes poses d'intello. Pourtant, il y a deux semaines, 15.000 scientifiques ont lancé un cri d'alarme planétaire et leurs mots nous interpellaient en une du "Monde" : "Il sera bientôt trop tard…" Trop tard pour la Terre, trop tard pour l'humanité, trop tard pour nous tous, nos enfants, les enfants de nos enfants… On a lu, on a frissonné, et puis on a zappé.
– Tu as raison.
– Pire que cela : on zappe et on se contredit. Le 14 novembre au soir, on considère l'écologie comme une question de vie ou de mort pour l'humanité et le 27 novembre au matin, les Etats européens renoncent à interdire le glyphosate. Un herbicide, deux intérêts économiques et trois lobbys auront eu raison de notre dévouement à la cause de la biosphère… Treize jours après, les promesses de tout faire pour sauver le monde semblent déjà si lointaines. Légères. Vaines. C'est tragique.
– Enfin! Tu as enfin lâché le mot essentiel : "tragique". Celui vers lequel je cherche à te mener depuis des semaines. Tragique – mais pas dans le sens où tu l'entends ici – est le mot qui peut nous sauver, nous permettre de hiérarchiser, de définir des priorités, de ne plus être les poulets sans tête dont tu parlais. Nous avons perdu le sens du tragique et cela a conduit aux ruines que tu contemplais du haut de ta tour. Convaincus que l'Histoire était finie, que nos modes de vie et nos droits étaient acquis pour toujours, que nous pouvions nous fier à la main invisible du marché et nous laisser vivre, nous avons adopté un rapport comique au monde, chaussant tous en même temps les lunettes déréalisantes et unidimensionnelles de la société du spectacle décrite par Debord il y a cinquante ans tout juste aujourd'hui. L'écologie, si nous sommes encore capables de prendre au sérieux quoi que ce soit, est ce qui peut, ce qui doit nous ramener au tragique. Nous sortir du spectacle. Faire de nous autre chose que des pantins ou des bouffons.
– C'est un brin contre-intuitif… Nous avons longtemps pris les écolos pour de gentils Bisounours faisant pousser des tomates bio sur les toits de Brooklyn. Ils ne semblent pas à première vue "tragiques" les bobos véganes…
– Oui, mais l'écologie est infiniment plus que cela. Les mots de ces 15.000 scientifiques, ces mots soudain plus lourds que tous les autres, recadrent le débat écologique : la perspective de la fin commune qu'ils esquissent impose le retour de l'horizon du commun dans nos vies. Une hiérarchisation des périls et donc des principes d'organisation de la société. Une révolution donc. Et d'abord une révolution mentale, la mise à distance de nos désirs et de nos intérêts individuels pour et par la prise en compte de la question du tout-qui-n'est-pas-éternel. Le tragique donc, sans lequel la politique perd son sens et sa nécessité.
– En sommes-nous encore capables?
– Je ne sais pas. Cela suppose un effort immense, une certaine violence aussi. La question dépasse le lobbying de Monsanto ou de la FNSEA. Chacun d'entre nous doit se faire violence. Si nous acceptons que des lobbys prennent en otage les enjeux de santé publique comme sur le glyphosate sans nous révolter plus que cela, c'est au fond parce que cela nous réconforte. Nous avons tellement sacralisé nos libertés individuelles que la perspective de leur possible limitation au nom de la survie commune nous angoisse. L'écologie n'est pas douce. Ce n'est pas un conte de fée post-soixante-huitard. C'est au contraire une réhabilitation de la notion de contrainte.
– Il va falloir réapprendre à s'obliger?
– Exactement. Ni toi, ni moi ne sommes seuls au monde. Et si nous continuons à faire comme si nous l'étions, nous provoquerons, littéralement, la fin du monde. Le tout a des droits, lui aussi. Sur nous, qui avons des devoirs envers lui. Il n'est donc plus interdit d'interdire.

Le 1er juin 2017, le président américain a annoncé le retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris, conclu par 195 pays en 2015, et son intention de chercher "un nouvel accord" mondial sur le changement climatique. Le milliardaire a qualifié cet accord de "très injuste" pour son pays puisqu'il permettrait, selon lui, aux autres nations de prendre un avantage sur l'industrie américaine. Le retrait effectif n'interviendra pas avant novembre 2020.


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