vendredi 25 mai 2018

Loi littoral: la grande braderie

En matière de préservation de la biodiversité, 
la majorité présidentielle n’est jamais avare de mauvais coups. 
Dernier mauvais pressentiment : la remise en question de la loi Littoral.
  • En vrac, ces derniers jours : le gouvernement a fait appel de la condamnation par la justice du projet de super centre commercial Europacity, qui artificialiserait des centaines d’hectares de terres agricoles en Île-de-France si il devait être réalisé. Au noms des relations commerciales avec la Malaisie et l’Indonésie, clients fidèles pour les achats d’armes et d’avions français, la multinationale Total est autorisée à augmenter ses importations d’huiles de palmes jusqu’à plus de 400 000 tonnes par an, dont ces pays sont les premiers producteurs au détriment des forêts primaires et de leur biodiversité extraordinaire. 
    Pire, au niveau européen, la France se fait l’avocate zélée de ces lobbies en s’opposant à une initiative qui empêcherait la déforestation dont cette industrie est la cause. Ce choix fait suite à l’annonce présidentielle de soutenir le projet de « Montagne d’or », en Guyane, qui menace la forêt amazonienne… Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, après avoir nié devant l’Assemblée nationale l’existence d’éléments portés à sa connaissance démontrant l’effondrement des insectes pollinisateurs, a présenté un projet de loi Alimentation et agriculture qui fait l’impasse sur les enjeux écologiques. 
    Ce gouvernement n’est pas un gouvernement de militant·es au sens noble du terme, c’est un gouvernement de marchands.               Tout est à vendre, y compris notre bien commun le plus précieux : la nature.
    Ainsi, sa nouvelle cible est la loi Littoral. Cette loi constitue l’un des piliers historique de notre législation sur la préservation de l’environnement. Comme son nom l’indique, elle protège depuis 1986, date à laquelle elle a été votée, notre littoral.En France, l'érosion touche 1/4 du littoral, soit 1 720 km peuplés de 7 millions d'habitants, selon l'institut français de l'environnement (IFEN). Ce chiffre ne cesse d'augmenter. La délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires prévoit que le littoral français accueillera, d'ici 2030, 3,4 millions d'habitants de plus, alors qu'il ne représente que 4% du territoire.
    Ce n’est pas faute d’avoir été visée à plusieurs reprises par les lobbies… Car nous parlons ici de plusieurs milliers d’hectares aujourd’hui préservés car non-constructibles qui seraient livrés à l’avidité des promoteurs. En euros, la seule valeur que reconnais le pouvoir actuel, cela se chiffre en milliards. 
    Depuis des années, une partie des élues du littoral, et surtout les bétonneurs, plaident pour un « assouplissement » de cette loi. Jusqu’à maintenant, quand les ministres du Logement ne bloquaient pas ces tentatives – Cécile Duflot avait dû le faire quand elle exerçait cette fonction –, les ministres de l’Écologie le faisaient. 
    La dernière tentative date de début 2017. Une pétition avait donc été initiée par un élu local écologiste, Jean-Laurent Félizia, qui avait recueilli plus de 280 000 soutiens, dont ceux d’Allain Bougrain-Dubourg, Yann Arthus-Bertrand, Isabelle Autissier, Michèle Rivasi et… Emmanuel Macron, alors en campagne présidentielle, ainsi que Nicolas Hulot ! (pétition ici :https://www.change.org/p/ne-touchez-pas-a-la-loi-littoral-loilittoral). Cette mobilisation avait réussi a faire échouer la tentative et le projet avait été abandonné par le gouvernement socialiste.
    Mais aujourd’hui, nous assistons à une nouvelle initiative qui risque d’aboutir. Comment le gouvernement a-t-il entrepris ce hold-up du siècle contre l’environnement?
    Le 16 mai dernier, lors de l’examen en commission (c’est à dire en catimini, pour éviter le débat en séance) de la loi ELAN portant sur le logement, le secrétaire d’État Julien Denormandie a donné un avis « très favorable » à plusieurs amendements du groupe LREM remettant en cause la loi Littoral. Le plus problématique permet de définir « des zones de densification » via les documents d’urbanisme locaux (amendement : http://www.assemblee-nationale.fr/15/amendements/0846/CION-ECO/CE2235.asp). 
    En clair, les élu·es locales·aux auront le droit de s’asseoir sur la loi Littoral pour urbaniser des zones jusqu’ici protégées. L’amendement s’appuie pour cela sur la notion approximative de « dents creuses ». 
    Cet amendement constitue une attaque frontale contre la loi Littoral : rien n’interdira les constructions portant atteinte aux paysages remarquables, rien n’interdira de construire dans la zone des 100 mètres et les équipement commerciaux seront autorisés… L’amendement a été adopté par 20 voix contre 18.
    Pendant que Nicolas Hulot s’apprêtait à lancer sa « grandes consultations » sur la biodiversité à Marseille, ses collègues du gouvernement et les député·es de la majorité supprimaient des dispositions légales actuelles protégeant l’environnement. Et pas n’importe lesquelles… Car les zones littorales sont parmi les plus fragiles et les plus précieuses en matière de biodiversité. Ces éco-systèmes complexes sont des milieux où la faune et la flore s’épanouissent pour permettre à de nombreuses espèces marines et terrestres de se reproduire, de naître, de se nourrir ou de migrer. Ce sont aussi des territoires de plus en plus soumis à la concentration humaine.
    Aux cours des dernières décennies, de plus en plus de populations se concentrent sur les bandes littorales. Enfin, rappelons que, d’après les chiffres du conservatoire du littoral, 8 communes littorales sur 10 sont, en France, sujettes à des risques naturels majeurs, notamment de submersion. Avec le changement climatique et la montée du niveau des océans, on assiste au recule du trait de côte. Cela a pour conséquence de faire courir des risques aux populations qui vivent à proximité du littoral. Nous avons encore en mémoire la catastrophe de La Faute-sur-mer qui, pendant la tempête Xynthia, en 2010, avait causé la mort de 29 personnes.
    Plus grand monde ne se fait d’illusions sur les ambitions de l’actuelle majorité en matière d’écologie. La seule chose qu’il soit possible de faire est d’essayer d’éviter le pire.
    La remise en question de la loi Littoral fait parti de ce « pire » que nous pouvons craindre car les dégâts engendrés seront irréversibles.
    Le projet de loi ELAN sera étudié en séance le 28 mai 2018. La pétition de Jean-Laurent Félizia a été actualisée: https://www.change.org/p/10053332/u/22779327.
    Il est encore temps d’agir.

jeudi 24 mai 2018

Un an de présidence Macron, "Président des riches"

Un an de présidence Macron, un an de politique fiscale injuste et inefficace

TRIBUNE. ISF, CSG, "exit tax"... 

Autant de décisions en matière fiscale qui affaiblissent le pouvoir d'achat des plus modestes. Sans doper les investissements.             Par Gabrielle Siry, porte-parole du PS et ancienne conseillère ministérielle à Bercy, et Christine Pires-Beaune, députée du Puy-de-Dôme et secrétaire nationale à la Politique économique, Services publics et Justice fiscale du PS. 

Dans un article paru en 2011 dans la revue "Esprit", Emmanuel Macron estimait que la fiscalité du patrimoine ne pouvait se réduire à un débat technique mais qu'il s'agit bien d'un débat idéologique, entre un choix favorisant les grandes fortunes et un choix de redistribution qui "consacre un pacte républicain dans les faits (les plus riches acceptant de payer plus, les possédants acceptant d'être taxés parce que leur adhésion au pacte social, à la collectivité, le justifie)". Le président a depuis fait son choix. Clairement. De la suppression partielle de l'impôt sur la fortune à celle de l'"exit tax" visant à dissuader l'exil fiscal, en passant par l'instauration de la "flat tax" à 30% sur les revenus du capital et la suppression de la taxe sur les plus hauts salaires dans le domaine de la banque et de l'assurance, il s'agit bien d'une politique en faveur des grandes fortunes qui fait fi de l'objectif de redistribution.
Dans le même temps, la CSG (contribution sociale généralisée) a été augmentée sur tous les revenus sans être compensée pour les retraités, y compris les retraités modestes. Dans le même temps, le gouvernement envisage une baisse des prestations sociales envers certaines catégories de population fragiles (étudiants, personnes âgées dépendantes…).
Pourtant, dans un contexte où les inégalités croissent et où la proportion des salaires par rapport au capital décroît dans le partage de la valeur ajoutée des entreprises − environ 70-30 au début années 1980, et à plus de 75% pour les entreprises non financières (1), contre 65-35 aujourd'hui −, la fiscalité est un outil privilégié de redistribution.

"Président des riches"

Oui, Emmanuel Macron avait raison, la politique fiscale est idéologique. Et celle qu'il mène est antisociale, comme le reste de sa politique économique (que dire de la diminution de 5 euros des aides aux logements…). L'image de "Président des riches" lui colle désormais à la peau, à juste titre.
Mais quelle efficacité économique pour cette politique fiscale, au-delà du symbole envoyé à quelques investisseurs fortunés ? Autrement dit, le jeu en vaut-il la chandelle ?
D'une manière générale, ces mesures affaiblissent le pouvoir d'achat des plus modestes. Or, selon Keynes, les ménages modestes ont tendance à consommer une plus grande part de leur revenu que les ménages à hauts revenus. Du point de vue de la consommation, il est donc immédiatement plus utile d'augmenter le revenu des plus modestes. La politique du gouvernement va à l'encontre de ce principe, ce qui joue certainement un rôle dans les chiffres de la consommation des ménages, en berne depuis l'automne dernier.
En outre, en matière d'aide à l'investissement, certains arguments économiques mettent sérieusement en doute l'efficacité des mesures d'allègement d'impôts décidées par le président. Ainsi, concernant l'ISF, en l'absence de mesure de "fléchage" des sommes exemptées d'impôt, il n'y a pas de raison particulière pour que celles-ci soient redirigées vers l'investissement productif. Au contraire, la politique du président de la "start-up nation" a mis dans l'embarras un grand nombre de start-up et PME qui bénéficiaient du dispositif "ISF PME", qui orientait vers elles chaque année plus de 500 millions d'euros d'investissement (516 millions d'euros en 2016 selon l'Afic). L'impôt étant supprimé, le dispositif incitatif qui permettait de le réduire en cas d'investissement dans les jeunes entreprises est supprimé du même coup.
Quant à la stratégie des "premiers de cordée" mise en avant par le président selon laquelle les plus riches contribueraient à un bien-être supérieur pour tous, elle est démentie par plusieurs études. Une publication du FMI montre qu'une hausse du revenu des 20% les plus riches est associée à un déclin de la croissance du PIB à moyen terme. Une autre étude de Natixis démontre que la prospérité des plus riches, mesurée par la partie du revenu prise par le 1% d'individus au revenu le plus élevé, est associée uniquement à une pauvreté accrue et à des inégalités plus fortes de revenu, sans aucune amélioration de la situation générale de l'économie.
Concernant la "flat tax", qui allège fortement l'imposition du capital en l'imposant au taux de 12,8% pour l'impôt sur le revenu (soit moins qu'un ménage gagnant moins de 27.000 euros par an), elle risque d'entraîner un arbitrage en faveur des revenus du capital. Les hauts revenus pourront tendre à réduire leurs revenus salariés – et avec eux les cotisations sociales afférentes – pour percevoir plutôt des dividendes. La financiarisation des rémunérations, et donc des comportements, est encouragée.
Dernière mesure en date, la suppression de l'"exit tax", qui ne touche pas les entreprises, mais s'applique aux individus actionnaires via les plus-values réalisées sur leurs investissements en France lorsqu'ils y étaient résidents fiscaux. Entrepreneurs et investisseurs dans une entreprise qui aura bénéficié des infrastructures françaises, de sa main-d'œuvre hautement qualifiée formée dans des universités gratuites – bref, de la qualité des services publics – ne seront pas inquiétés s'ils décident de vendre l'entreprise et de réaliser des plus-values à l'étranger, sans contrepartie pour les finances publiques françaises.
L'argument selon lequel l'"exit tax" était inefficace car ses recettes sont relativement faibles ne tient pas car le caractère dissuasif d'un impôt ne s'apprécie pas à l'aune de ses recettes. Christian Eckert, ancien ministre du Budget, rappelait justement dans "le Journal du Dimanche" : "Dirait-on d'un radar qui ne flasherait que peu de véhicules qu'il est inutile alors même qu'il contraint les automobilistes à respecter les règles ?" Seuls 0,2% des grandes fortunes quitteraient le territoire français chaque année. Il y a donc peu à attendre en termes de rapatriement de capitaux avec la fin de l'"exit tax".

Le gouvernement du nouveau premier ministre portugais, António Costa, depuis 2 ans, a donc appliqué des réformes qui avaient été déclarées dans son programme de coalition, en parfaite opposition avec la politique précédemment menée : 
"La politique d’austérité suivie ces dernières années a eu pour conséquence une augmentation sans précédent du chômage avec des effets sociaux dévastateurs sur les jeunes et les citoyens les moins qualifiés, ainsi que les familles et les milliers de Portugais au chômage. Elle a été aussi associée à une dévalorisation de la dignité du travail et des droits des travailleurs."

Le salaire minimum a été augmenté en 2016 puis de nouveau en 2017, en échange de baisses de cotisations pour les employeurs, de 23% à 22%. Ces deux augmentations du SMIC portugais ont passé le salaire minimum de 505€ à 557 €. Puis des mesures économiques à vocation sociale — mais aussi de relance du pouvoir d'achat — ont été prises : augmentation des retraites et des allocations familiales, renforcements du droit du travail, baisses des impôts pour les salariés les plus modestes, arrêt des privatisations de services et d'infrastructures publics, programme de lutte contre la précarité. Il est aussi prévu de supprimer les coupes dans les revenus des fonctionnaires et de ramener leur temps de travail à 35 heures par semaine. Sur le plan purement économique, la stratégie portugaise n'a pas été non plus en accord avec les demandes de la Commission, et se sont pourtant avérées payantes.

Enfin, ce qui frappe dans la politique fiscale actuelle du gouvernement, c'est le double-discours tenu au niveau européen sur ces sujets. Emmanuel Macron choisit bien ses interlocuteurs : il annonce dans le magazine financier américain "Forbes" la suppression de l'"exit tax", mais porte au niveau européen un discours ambitieux sur la lutte contre les paradis fiscaux. De même, avec la baisse progressive du taux d'imposition sur les sociétés sur cinq ans pour atteindre 25% en 2022 hors de toute stratégie concertée, le président prend le contre-pied de la lutte pour l'harmonisation fiscale − qu'il appelle pourtant de ses vœux − seule à même de mettre fin à une concurrence fiscale qui menace la capacité de financement du service public dans l'Union européenne.
À quand les véritables avancées européennes sur le sujet, au-delà des discours et d'une politique nationale de pure adaptation à la mondialisation, qui renonce face à la mobilité des capitaux et aux grandes fortunes ?
Gabrielle Siry et Christine Pires-Beaune