vendredi 29 décembre 2017

Valse brune en Autriche : et si nous cessions d’être naïfs ?

La porosité des discours entre l'extrême droite, la droite, et maintenant le centre, a fait baisser la garde sur tout le Vieux Continent.



Ça se passe en Europe, à 1.235 kilomètres de Paris, mais personne ou presque ne dit rien. Au terme de deux mois de tractations avec le jeune chancelier conservateur, Sebastian Kurz, six ministres d’extrême droite viennent de faire leur entrée au gouvernement autrichien. Pas pour s’occuper de broutilles, non, mais pour prendre en main des portefeuilles stratégiques comme l’Intérieur, la Défense, les Affaires étrangères ou encore la Fonction publique. En clair, les ultranationalistes du FPÖ, le sinistre Parti de la Liberté d’Autriche, contrôlent désormais la police, les services secrets, l’armée, les fonctionnaires… Rien que ça.

 Pour Raphaël Glucksmann : "le tsunami national-populiste qui balaie l’Europe et l’Amérique échappe aux grilles de lecture habituelles".

 L’explication socio-économique fondée sur la paupérisation des classes moyennes n’est pas suffisante. L’Autriche et la République tchèque ne connaissent ni chômage de masse ni augmentation frappante du taux de pauvreté. Ce qui est partiellement vrai au nord et à l’est de la France ne l’est plus dans le Tyrol et en Moravie. N’oublions pas non plus qu’Obama a laissé l’économie américaine dans une bien meilleure forme qu’il ne l’a trouvée. Et pourtant Strache. Et pourtant Babis. Et pourtant Trump. Les images des colonnes de migrants conjuguées à l’effroi légitime suscité par les attentats islamistes font du "musulman" un agent électoral parfait. Un ennemi mobilisateur. La figure de l’autre menaçant qui permet en réaction de définir un "nous". Et nous touchons là à l’essentiel. Non pas "la crise migratoire", non pas "le musulman", non pas, donc, cet "autre" qui n’est en l’occurrence qu’un facteur secondaire, mais ce "nous" ou plutôt son absence, son manque, l’incapacité de nos démocraties à produire un "nous" et à lui donner sens. Le défi de notre génération est immense. Trente ou quarante ans de mutations socio-économiques, d’apesanteur postpolitique et de vie intellectuelle bercée au mythe de la fin de l’Histoire ne s’effacent pas en un débat télévisé réussi ou deux discours inspirés. Le compte à rebours est enclenché.

A ceux qui ne verraient pas bien où est le problème, on rappellera que leur leader, Heinz-Christian Strache, défila jadis avec la Wiking-Jugend, une organisation de jeunesse néonazie. "J’étais stupide, jeune et naïf", plaide-t-il aujourd’hui. Voire. Fondé par d’anciens Waffen-SS dans les années 1950, le FPÖ s’est longtemps défini comme un parti "patriote et social", histoire d’éviter de dire "national et socialiste". Il accueille depuis toujours un nombre incalculable de nostalgiques du régime hitlérien. C’est dans ses rangs que de nombreux responsables considèrent la loi de dénazification de 1947 comme une atteinte à la liberté d’expression.
Dans ses rangs encore que Jörg Haider compara les camps de concentration à de simples "camps disciplinaires", jugeait "exemplaire" de serrer la main à d’anciens criminels de guerre à leur sortie de prison, ou trouvait bien des mérites à la politique de l’emploi du IIIe Reich.
Dans ses rangs toujours qu’un ancien chef de file pour les élections européennes qualifia l’Union de "conglomérat de nègres". N’en jetons plus… Tout le monde aura compris d’où viennent ces gens, dans quelle histoire ils s’inscrivent et de quelle idéologie ils se réclament. Pas besoin de faire un dessin.

Montée du populisme

Ce n’est pas la première fois que l’Autriche souffle ainsi sur des braises aussi anciennes qu’extrêmes. Après les législatives de 1999, déjà, une première alliance entre la droite conservatrice et le parti de Jörg Haider déclencha un tollé en Europe et à Vienne. Manifestations, pétitions, condamnations diplomatiques, sanctions européennes… "Le parti de M. Haider est inspiré par une idéologie qui est à l’opposé des valeurs d’humanisme et de respect de la dignité de l’homme qui fondent l’Union européenne", tonnait alors l’Elysée.
Oui mais voilà, la montée du populisme est passée par là. Le repli identitaire et le rejet de l’autre aussi. La porosité des discours entre l’extrême droite, la droite, et maintenant le centre, a fait baisser la garde sur tout le Vieux Continent.
"On jugera sur les actes"s’est contentée de répondre, ce mardi, notre ministre des Affaires européennes, ajoutant dans un bel optimisme que le FPÖ avait changé. Vraiment ? Et si nous cessions, à notre tour, d’être stupides, jeunes ou naïfs, comme dirait l’autre…




Trump : une décision de ce genre, et tout change

Trump : une décision de ce genre,
et tout change

On avait tout imaginé sauf qu'il viendrait à l'esprit d'un président aussi puissant qu'illuminé de jouer à mettre en deuil les populations et l'équilibre séculaire d'une société terriblement fragile.


On sait qu'il va falloir désormais s'habituer au choc d'un événement planétaire chaque jour, sinon chaque semaine ! De plus en plus, d'ailleurs, ce choc nous parvient du Proche-Orient. On avait tout imaginé sauf qu'il viendrait à l'esprit d'un président aussi puissant qu'illuminé de jouer à mettre en deuil les populations et l'équilibre séculaire d'une société terriblement fragile. "Choc", l'expression n'est pas trop forte, même s'il s'agit du fait que les puissances arabo-musulmanes se trouvent soudain privées de protection et de facteurs d'ordre de la part du plus puissant des Etats occidentaux, donc blanc et majoritairement chrétien. Qu'est-ce qui est arrivé ? Vous le savez déjà, c'est cette décision plutôt démente d'un président inédit qui décide depuis Washington de transférer son ambassade en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem. Une décision de ce genre, et tout change.
Tout ? D'abord, le sentiment des populations arabo-musulmanes, qui y sont hostiles, et celui des populations judéo-israéliennes, qui y sont favorables. Jérusalem appartient à l'histoire hébraïque, sinon juive, confirme notre ami François Reynaert. D'accord, mais nous avons tous un passé auquel on peut se référer, non pour justifier la souveraineté sur un Etat ou une patrie, mais d'un point de vue civilisationnel, esthétique ou même archéologique. Alors, que faire de Jérusalem et de la Palestine, deux Etats ? C'est tout le problème ! Reste à le résoudre à la manière imprévisible et désastreuse de Donald Trump.
On nous a dit tous les jours, depuis un certain temps, que plus rien n'était possible entre Palestiniens et Israéliens. L'horizon est désormais encore bien loin de se dégager ! Avec Donald Trump, c'est bien sûr encore pire. Toutes les voies sont déjà bouchées. On a vu des réactions populaires hostiles et violentes dans tous les lieux où les peuples et les opinions publiques arabo-musulmans peuvent se manifester. On a pris peur et on s'est pris à imaginer n'importe quoi. Voyez plutôt.

Il faut être deux pour négocier

Etant donné la façon dont Donald Trump a été désapprouvé à peu près dans le monde entier, n'excluons pas, nous dit-on, des accommodements de rattrapage et de dernière heure. Et pourquoi donc, même l'ambassade américaine une fois installée à Jérusalem, les négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens ne reprendraient-elles pas, et même avec plus de chances qu'avant le choc ? Pourquoi les concessions réciproques ne reprendraient-elles pas là où elles ont été laissées aux précédentes rencontres, où elles étaient censées avoir avancé ?
Oui. D'accord. On peut envisager n'importe quoi. Mais hélas, la réponse est bien simple, en fait trop simple. Il faut être deux pour négocier, et quand les Etats-Unis sont là, cela ne fait pas seulement une différence arithmétique. Là, il faut s'arrêter un instant. Ils ne sont pas maîtres du jeu, mais ils ont des liens nouveaux et spectaculaires avec tous les représentants récemment nommés de l'Arabie saoudite. En tant que tels, ils sont évidemment un grand allié, surtout dans le monde sunnite. Mais précisément, surtout dans ce monde-là, alors que le problème, c'est l'autre. C'est l'Iran, l'Irak, le Hezbollah, le Yémen et le Qatar. Parmi tous ces noms flambants et conquérants, il y en a un qui suscite des sentiments explosifs et contradictoires, c'est évidemment l'Iran, puissance chiite entourée d'alliés actifs et minoritaires avec des groupes activistes. Notamment celui du Hezbollah mobilisé contre Israël et ne cédant rien à son ennemi potentiel.
Alors, dans ces conditions, qui pourrait bien prendre la responsabilité de nouvelles négociations avec les Israéliens, même adoubé par Washington ? Suspense : c'est le suspense autour de la volonté, du caprice et de l'expansionnisme iraniens. Jusqu'à maintenant, Donald Trump n'a pas trouvé de riposte possible à cette situation. On dit volontiers, depuis plus d'un an, que les gouvernements arabes ont délaissé la cause palestinienne. Ce n'est pas faux dans une certaine mesure, mais ce qui demeure vrai, c'est que les peuples arabes et musulmans, eux, n'ont rien abandonné de la dimension sentimentale et mobilisable de leur solidarité.

Souvenez-vous : Itzhak Rabin et Anouar el-Sadate

Il faut s'attendre à tout dans ce pays, cette région et cette histoire, où il ne s'est pas passé que des miracles. Jésus ne s'est pas rendu partout en même temps. Il y a une histoire à laquelle je me consacre dans une partie de ma vie : celle de la quasi-simultanéité de deux saints, de l'assassinat et du sacrifice de deux hommes qui auraient mérité la sainteté.
Itzhak Rabin et Anouar el-Sadate, un Israélien et un Egyptien, tous les deux héros de la guerre puis de la paix, enfin de l'amour, ont été assassinés pratiquement de la même manière par le terrorisme, par des terroristes, par des activistes de la barbarie et de la terreur, par l'extrémisme religieux et le patriotisme dément.
Souvenons-nous, pauvre Donald Trump, pauvres Etats-Unis, pauvre judéo-christianisme, de l'année 2017 qui, une semaine avant Noël, ne promet pas un avenir de paix aux hommes de bonne volonté.

Jean Daniel

jeudi 21 décembre 2017

Pas à pas, l'ultradroite américaine fait avancer son projet

Pas à pas, l'ultradroite américaine fait avancer son projet

 PAR 
Donald Trump n’est pas le clown hystérique que beaucoup ont voulu voir lors de son élection. En douze mois de pouvoir, il a dans le bruit et la fureur, déroulé le programme de l’ultradroite américaine, sur les fronts intérieurs et extérieurs. 

Certains avaient aussitôt voulu le résumer à sa coiffure en soucoupe volante orange, à ses gesticulations, ses grossièretés, ses tweets, ses palaces, ses milliards de dollars et ses obscénités diverses. C’était une manière de se rassurer après le choc que constitua, en novembre 2016, l’élection de Donald Trump au poste de 45e président des États-Unis. Un clown à la tête de la première puissance mondiale, certes, mais un clown.

« Clownman », nous assuraient les mêmes, aurait vite fait de rentrer dans le rang : la machinerie du Congrès, son gouvernement et les agences de sécurité américaines allaient méthodiquement raboter l’histrion. Après le show de téléréalité, qui avait permis à la droite la plus réactionnaire de prendre toutes les rênes du pouvoir fédéral, la saine gestion conservatrice allait reprendre ses droits. Donald Trump ne serait qu’exhibé de temps à autre dans la vitrine. Il serait le président-chrysanthème chargé d’exciter les spectateurs de Fox News et les foules de culs-terreux revanchards.
Au terme de cette première année de pouvoir Trump, il est temps de constater que les tenants de la « thèse Clownman » se sont lourdement trompés. 
La réforme fiscale que le président vient de faire adopter au Congrès – et pas une voix des républicains n’a manqué au Sénat –, n'est pas seulement la première vraie et grande victoire de politique intérieure de Donald Trump. C’est par son ampleur (1 500 milliards de dollars) un choc fiscal sans précédent depuis plus de trente ans et les mesures alors prises par l’administration Reagan. C'est par ses principes – tout pour les entreprises et les riches – une victoire idéologique de cette ultra-droite américaine décomplexée qui n’a que deux obsessions.

Le première est de démanteler l’État et les politiques publiques. Dans une tribune au New York Times, Will Wilkinson, un des responsables du Niskanen Center, un centre d’études proche des libertariens, mais critique de cette ultradroite républicaine, rappelle que le sénateur républicain (tendance libertarien et Tea Party) Rand Paul expliquait en 2015 que le gouvernement était « un diable nécessaire ». « Si vous êtes taxés à 100 %, alors vous avez 0 % de liberté… Si vous êtes taxés à 50 %, alors vous êtes moitié libre-moitié esclave. »

L’incessante dénonciation des recettes fiscales de l’État, au nom de la liberté, s’articule à cette deuxième obsession : réduire ou éliminer tous les mécanismes de redistribution, protéger les « makers » – ceux qui font et créent – des takers – ceux qui profitent, les « assistés », dirait Laurent Wauquiez. La liberté pour masquer l'individualisme féroce, l'action pour cacher l'inégalité organisée : à ces deux piliers s’en ajoute un troisième. C’est la protection des intérêts de cette oligarchie américaine dont Donald Trump est à sa façon un archétype : il sera lui aussi l'un des grands bénéficiaires de cette réforme fiscale.
Donald Trump l’a donc emporté et il l’a fait en appliquant un pan important de son programme. Dans bien d'autres secteurs, il en est de même. Dans le tumulte permanent, les écrans de fumée Twitter, les opérations diversion, les cris et la fureur, le 45e président fait de la politique et déroule les principaux volets de son programme. La réforme fiscale est aussi un nouveau clou planté dans le cercueil de l'Obamacare, cette réforme incomplète mais qui a permis à vingt millions d'Américains d'accéder à un système de soins.
Au début du mois, la Cour suprême a également validé une nouvelle version de son décret anti-immigration, qui interdit automatiquement de visa et d'entrée aux USA les ressortissants de sept pays jugés hostiles aux États-Unis. Il y a une semaine, il volait au secours des puissants intérêts des grands acteurs du Web en soutenant l'abrogation des dispositions organisant la neutralité du Net. C'est une rupture historique, la philosophie même d’Internet – l’égalité de traitement et d’accès pour tous – qui est ainsi balayée, ouvrant la voie à un Internet des puissants et à un Internet des pauvres.
Une multitude d’autres mesures et décisions ont été prises ces douze derniers mois. Purge au département d’État et dans la diplomatie américaine ; rappels à l’ordre réguliers des ministres ; abrogation de mesures environnementales ; suppression de dispositifs portant sur le travail, l’éducation, la santé ; bras de fer revendiqué avec les agences et services de sécurité. Et dans le même temps, soutien actif aux géants du complexe militaro-industriel : la crise organisée avec la Corée du Nord offre ainsi l’opportunité de vendre au Japon et à la Corée du Sud des milliards de dollars de nouveaux armements...
«Donald Trump préside l’attaque la plus dévastatrice contre l’État administratif américain que cette nation n’ait jamais connue », écrit Jon Michaels, professeur de droit à la faculté de l’UCLA. « Derrière Trump s’activent les déconstructeurs, animés d’une passion de la déréglementation. Déréglementation politique et administrative. C’est toute la trame institutionnelle de l’État fédéral qui est détricotée, une combinaison que l’ancien stratège de la Maison Blanche, Steve Bannon, appelle avec gourmandise la “déconstruction de l'État administratif ”»
La réforme fiscale de Trump va permettre à cette machine idéologique d’accélérer encore. Comme le note Greg Kaufmann, chercheur au Center for American Progress, elle est comme un fusil à deux coups. Il est d’abord probable, estime-t-il, que les États et les villes tailleront à leur tour dans leurs recettes fiscales. Il est ensuite certain que l’explosion des déficits publics provoquée par de telles baisses d’impôt provoqueront un choc en retour. Lequel ? Bien sûr, la suppression de programmes d’aide et de redistribution et un affaissement de toutes les politiques publiques de solidarité.
Il y a deux mois, le sénateur républicain de l’Arizona Jeff Flake renonçait à se représenter et l’expliquait en ces termes: « Je ne peux cautionner le travail de sape ordinaire de nos idéaux démocratiques, les attaques personnelles, les menaces contre nos principes, nos libertés, nos institutions, le mépris flagrant de la vérité et de la décence. » Car le Make America Great Again, slogan de campagne de Donald Trump, n’est qu'un rideau qui cache mal le grand banquet auquel sont invités les plus puissants intérêts privés.


Les choix de politique étrangère de Donald Trump ont aussi largement favorisé ces mêmes intérêts. L’Amérique isolationniste et vindicative revendiquée par le 45eprésident recoupe également les objectifs des pétroliers, des marchands d'armes, de certains milieux financiers et industriels.
Or, en ce domaine également, Trump a déroulé son programme jusqu’à la provocation. La dernière est évidemment la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël. Tournant le dos à soixante-dix ans de politique américaine, faisant mine de toujours prôner une « solution à deux États » dans le conflit israélo-palestinien alors que tout dit le contraire, le Trump Power se moque des Palestiniens et du monde. Il prend surtout le risque de plonger la région dans un nouveau conflit généralisé.
Retrait voulu de l’accord sur le climat ; retrait de l’accord intervenu après quinze ans de négociations sur le nucléaire iranien ; retrait de l’Unesco ; menace de désengagement de l’Otan ; éloignement de l’Europe, à travers la mise en scène de relations exécrables avec Angela Merkel ; mise à mort du traité de libre-échange transatlantique ; liens renoués avec les pires dictatures du monde arabe ; refus de toute gestion mutualisée avec les autres puissances des crises syrienne ou irakienne ; volonté réaffirmée de construire un mur à la frontière mexicaine ; montée aux extrêmes avec la crise nucléaire nord-coréenne…
Ce bilan est effrayant, tant il montre la mise en place d’un vrai plan politique visant à faire des États-Unis non plus une hyper-puissance se mêlant de la marche du monde dans un cadre multilatéral (l’Amérique de Barack Obama), mais une super-puissance sur-militarisée et agressive, menaçant de réduire à néant ses ennemis.
Les Européens se sont un temps discrètement félicités de ce retrait américain, de cette perte d’influence et de crédibilité. Ils commencent aujourd'hui à s’en inquiéter et à juste titre. Non pas à cause d’un Donald Trump trop souvent décrit comme «imprévisible». Mais à cause d'un Trump qui devient un obstacle majeur dans la préservation des équilibres mondiaux et qui n’hésite pas à créer de nouvelles fractures, au Moyen Orient ou en Amérique latine.
La société américaine pourra-t-elle enrayer, par ses multiples mobilisations, cette marche vers le pire et ces bruits de guerre ? Les démocrates, forts de leurs dernières victoires, sauront-ils retrouver l’électorat américain lors des élections de mi-mandat, en novembre 2018, et conquérir le Congrès?  Rien n’est moins sûr. À ce jour, seul un dossier menace véritablement Donald Trump : le « Russiagate » et les soupçons de collusion, sur fond d’affairisme et de corruption, avec le régime de Vladimir Poutine. Le procureur Mueller, la justice, les agences américaines, bref, cette part de l’État américain vilipendé par Trump peut trouver là sa revanche. Réponse dans les prochains mois.

dimanche 17 décembre 2017

Naissance de la guerre "sainte" , les racines chrétiennes du bellicisme occidental

À l'heure où l'on débat volontiers de l'Islam, les racines chrétiennes du bellicisme occidental, des premiers siècles jusqu'à nos jours.

De la guerre des Juifs en 66 jusqu'à l'invasion de l'Irak en 2003, mais aussi la guerre de Sécession, la Première Guerre mondiale, les purges staliniennes ou les attentats de la Fraction Armée rouge, tous les déchaînements de violence sont, en Occident, imprégnés de dialectique chrétienne.
Si la thèse que développe le médiéviste Philippe Buc dans «Guerre sainte, martyre et terreur» peut surprendre, force est de constater que son patient travail d'érudition révèle une continuité entre les premiers âges de la chrétienté et la période contemporaine. Le triptyque du titre lui-même, plus souvent associé au terrorisme islamiste, constitue ainsi un retour aux sources: «L'ambition de cet essai est d'esquisser la manière dont un ensemble de croyances et d'idées faisant plus ou moins système, le christianisme, a laissé son empreinte sur la violence», introduit Buc, soucieux de rappeler que cette plongée dans la «face sombre» du christianisme n'évacue pas son rôle dans l'émergence de courants pacifistes.
Sans négliger la dimension stratégique des conflits ou les facteurs sociaux à l'œuvre dans les dynamiques guerrières, Buc use en effet d'une grille de lecture soulignant les spécificités de cette violence:
Admettre le rôle de la religion dans l'identification et la légitimation, tout en le refusant pour la motivation, c'est le réduire à un code et le nier comme force historique.Naissance de la guerre "sainte"
A ce titre, la révolte juive contre l'occupant romain entre 66 et 73 - autant une guerre civile, un conflit religieux qu'un mouvement d'émancipation - est une matrice idéologique: source première des interprétations chrétiennes de la destruction de Jérusalem en 70, cet épisode permit, dans les décennies et les siècles qui suivirent, de caractériser la figure du martyr déjà considéré comme «fou» ou «possédé», de définir le rôle de l'empereur chrétien (même si Vespasien ne l'était pas), d'illustrer la «vengeance du Seigneur» et la destinée de la «cité sainte» souillée avant sa rédemption.
Dans la foulée de la destruction du Temple, les évangélistes formalisèrent un discours et des actes légitimant une violence bien peu présente dans la geste de Jésus: «Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive», lui fait pourtant déclarer Matthieu. Trente ans plus tard, l'Apocalypse de Jean figeait la logique d'un ultime combat purificateur. Au IVe siècle, la conversion de l'empereur Constantin donnera une portée politique ainsi qu'un bras armé aux prétentions universalistes du nouveau monothéisme, qu'il s'agisse d'éradiquer l'hérésie consubstantielle à la chrétienté - chacune porteuse de martyrs belliqueux -, voire de réprimer ou d'imposer une réforme de l'Eglise, par exemple sous Grégoire VII, pendant les croisades ou face au protestantisme.
Le concept de guerres dites «justes», menées «pour la paix et l' ordre divin», voire «saintes» lorsqu'il s'agissait de reprendre Jérusalem ou d'éradiquer l'impie, était né. Il perdure, y compris dans sa dimension mystique, comme le prouvent les propos illuminés de George W. Bush ou de William Boykin, un général américain luttant contre «la puissance des ténèbres» lors de la guerre d'Irak. A la fin du XVIIIe siècle, le discours chrétien privé de surnaturel mute en idéologies fondant des courants politiques, des régimes et des nations, laïcisées ou non: 
L 'Etat peut bien être en apparence séparé de l'Eglise, mais il est en vérité son jumeau et son héritier»assure l'historien.
Quid de la Révolution française, de son utopie universelle qui justifia aussi la Terreur?
Malgré une idéologie d'innovation extrême et de défiance envers le catholicisme, les nouvelles idées s'imposaient et faisaient sens pour les contemporains parce qu'elles pouvaient se connecter à des conceptions et à un vocabulaire qui étaient présents dans l'héritage religieux de la France.»
Les textes de Robespierre et Saint-Just, et même les grandes purges soviétiques, riches en allégories purificatrices et régénératrices, en attestent. «Chaque groupe terroriste tend à considérer à la fois qu'il appartient à un petit groupe d'élus et qu'il constitue l'avant-garde d'un ensemble ou d'une cause plus vastes»observe encore Buc. L'archaïsme religieux serait-il éternel?
Maxime Laurent
Guerre sainte, martyre et terreur. 
Les formes chrétiennes de la violence en Occident
par Philippe Buc

vendredi 8 décembre 2017

Argent, coke, Harley... Johnny Hallyday

Johnny Hallyday est mort, dans la nuit de mardi 5 à mercredi 6 décembre. Notre rockeur national avait 74 ans. 


Héros français ?

On en fait un peu trop, non ? Non pas les fans à l’authentique émotion, chaleureux et sincères dans leur affliction, non pas cette France populaire dont la ferveur intime respect et tendresse, non pas cette unanimité rockeuse et nostalgique qui réunit pour une fois un pays qui cultive trop souvent, sur un mode un peu maso, ses propres déchirures. Il y a une France de Johnny qu’il faut mesurer et accompagner, comme nous le faisons ce week-end dans Libération, pour qu’elle s’exprime, pour que son chagrin bien réel soit partagé. Mais le Président, les pouvoirs de l’Etat, la République ? La dernière fois qu’on a convoqué une telle pompe, c’était pour Victor Hugo. Quelle que soit l’admiration qu’on peut éprouver pour l’interprète, la considération pour le showman infatigable qui a chanté la bande-son de troi s ou quatre générations, on descend tout de même, à un siècle et demi de distance, une sacrée marche !
«Un héros français», dit Emmanuel Macron. Un héros privé, à coup sûr, qui brûle sa vie jusqu’à la dernière minute pour sa musique, qui tombe et se relève sans cesse, qui lutte avec courage – comme tant de Français – contre l’ultime maladie. Mais un héros national ? Imitateur de génie qui suscite les sosies mais qui en est un lui-même, caméléon de grand talent, maître de la scène, moins original dans la création, viveur qui dépense son argent sans compter, sauf quand il s’agissait d’acquitter l’impôt, dont il avait une conception exotique. Un chanteur généreux qui parle à tout le monde mais qui s’engage d’un seul côté, pour Chirac ou pour Sarkozy, qui est «né dans la rue» mais qu’on honore à la Madeleine, dont se mo quait pourtant son ami Dutronc dans un vieux tube. Johnny, qui avait un certain humour, a préféré reposer loin de Paris, à Saint-Barth, sous les cocotiers. Peut-être voulait-il éviter, plus lucide qu’on ne croit devant ces solennités officielles qui ne lui ressemblent guère, qu’on l’expédie directement au Panthéon…
LAURENT JOFFRIN
Il dépense sans compter, épuise ses comptables, les honnêtes et les véreux, change de conseiller fiscal comme de chemise à jabot, donne tout à ses amis, les vrais et les faux. Il subit de multiples contrôles fiscaux, est même condamné à de la prison avec sursis.
Aux juges, il dit seulement que "l’argent, c’est trop compliqué pour moi".                Il fait l’idiot ? Non, répondent tous ceux qui ont croisé le météore du rock, le prince noir un jour milliardaire, ruiné le lendemain, noyé sous les dettes, empruntant à sa maison de disques, qui finit par le tenir en otage en lui imposant des choix artistiques hors sujet.
Il achète et revend les maisons les plus extravagantes, les yachts les plus luxueux, court les palaces sans vergogne.                                                              
L’idole des smicards tente maladroitement pour échapper au fisc français, au risque de ternir son image, d’obtenir la nationalité belge.                                     
En vain. Il émigre en Suisse, à Gstaad, pour le même motif, puis s’installe en Californie pour son climat et pour s’éloigner des "grincheux" du fisc.                           
Mais la "France profonde" lui pardonne tout. Le mythe est indéboulonnable.
Les innombrables hommages à notre rockeur national ont pudiquement passé sous silence un aspect pourtant bien connu de la carrière de Johnny Hallyday :    sa réticence à payer ses impôts.
1975 : Johnny Hallyday n'a que 32 ans et déjà des démêlés avec le fisc, qui lui réclame des millions en arriérés d'impôts. Il indique vouloir quitter la France pour les Etats-Unis : "Je pars avec Sylvie et David". Il revient dès la fin de l'année.
1977 : Il est condamné pour fraude : 10 mois de prison avec sursis et 20.000 francs d'amende.
1995 : Johnny Hallyday doit au Trésor public une trentaine de millions de francs correspondant à des retards de paiement. En plus des impayés, le fisc lui réclame plusieurs millions de pénalités et de majorations de retard.
2000 : Le chanteur bénéficie de 2,8 millions de francs de dégrèvement et de 3,7 millions d'annulations de pénalités. Au terme de la négociation fiscale, et après une remise de l’ordre de 6,5 millions, il a payé 20 millions de francs d'impôts (3 millions d'euros).
De la Belgique à la Suisse
2006 : Johnny demande la nationalité belge, pays de son père Léon Smet. Motif ? "Des raisons sentimentales." Mais il est soupçonné de demander sa naturalisation afin de pouvoir résider à Monaco, sans payer d'impôt, un privilège auquel les citoyens français n'ont pas droit. Il renoncera à son projet en octobre 2007.
2007 : Entre-temps, Johnny est devenu résident de Gstaad, en Suisse, après avoir déclaré qu'il ne voulait plus être "un mouton qui se fait tondre". Il y bénéficie d'un régime fiscal bien plus avantageux qu’en France. Le forfait suisse lui permet de ne payer que 300.000 euros d'impôts par an, bien moins que les 4 à 5 millions qu'il aurait dû payer en France, même après la réforme du "bouclier fiscal" par Nicolas Sarkozy. Une belle économie.
2010 : Des perquisitions ont lieu dans les bureaux et domicile des proches de Johnny, notamment à Vaucresson, dans les Hauts-de-Seine, chez le fondé de pouvoir du chanteur et au cabinet de son ancien conseiller fiscal à Marseille. Johnny Hallyday est soupçonné de fraudes et d'évasions fiscales vers une société domiciliée au Luxembourg.

Direction la Californie

2014 : Au moment où la Suisse durcit (légèrement) sa législation, une enquête des médias helvètes révèle, photos géolocalisées à l'appui, que Johnny ne respecte pas la règle qui oblige un résident fiscal à habiter au moins la moitié de l'année dans le pays. Exilé ou évadé fiscal ? L'un est légal, l'autre pas. Yann Galut, alors député PS et rapporteur du projet de loi sur la fraude fiscale, s'indigne : "Il pourrait être poursuivi par la justice française pour avoir organisé une fraude à l'impôt."
Le rocker réplique qu'il est devenu… résident fiscal californien. Le voici propriétaire d'une résidence dans le quartier huppé de Pacific Palisades, à Los Angeles – une vaste maison où trouve place sa collection de belles cylindrées, Rolls, Harley-Davidson, AC Cobra… Le taux d'imposition y est de 13,3% pour les revenus supérieurs à 2 millions de dollars (1,7 million d'euros), y compris sur les ceux perçus en France, explique Europe 1Selon "Challenges", Johnny a gagné 7,6 millions d'euros en 2012 dans la musique (sans compter les contrats publicitaires et la gestion de son image).
2015 : Son chalet de Gstaad est mis en vente en 2015 pour 9,5 millions d'euros. 320 mètres carrés, répartis sur trois étages. Dans son autobiographie parue en 2013, "Dans mes yeux", Johnny Hallyday revient sur cet exil fiscal suisse. "On a souvent dit que je m'étais barré pour ne pas payer d'impôts. C'est en partie vrai, mais c'est aussi parce que c'est épuisant cette ambiance. Quand t'as une belle voiture […], on te traite de voleur."
10 février 2017 : Après plusieurs années de procédures, Johnny Hallyday est définitivement condamné pour avoir dissimulé des revenus au fisc. Les dividendes de la société Pimiento Music SAS, qui gère les droits de ses chansons, étaient envoyés dans un paradis fiscal, via le Luxembourg. Le chanteur doit verser 139.000 euros, beaucoup moins que les 9 millions d'abord réclamés.
Baptiste Legrand, avec Nébia Bendjebbour
Un paradis fiscal qui déclenche l'ironie                          En parlant de para­dis, l'île française de Saint-Barthé­lémy auxAntilles en est un, notam­ment fiscal. Pour ceux qui y sont rési­dents depuis cinq ans, pas de TVA, d'ISF, d'impôts sur le revenu, ni d'impôts sur la succes­sion. Bref, en choi­sis­sant la petite île des Antilles comme ultime demeureJohnny a fait un sacré dernier pied-de-nez au fisc, une admi­nis­tra­tion qu'il n'a jamais porté dans son coeur.

Si les habitants de l'île apprécient évidemment ce choix pour la dernière demeure du rocker, il en va tout autrement pour ses fans.                                                                                  Incompréhension de la part du chanteur Michel Polnareff 

"Je trouve étrange qu'on soustraie l'enveloppe de Johnny à son public et qu'on rende impossible à ses fans la possibilité de lui montrer à quel point ils sont attachés à lui. Une fleur, un message, une photo, un trèfle à quatre feuilles..."


mercredi 6 décembre 2017

Sur l’émergence d’une gauche néo-réactionnaire et néoraciste

On a constaté, depuis une vingtaine d'années, un glissement d'une mouvance, originellement sociale-démocrate, vers des positions sociales-libérales qui, en vérité, étaient plus libérales que sociales.
Ainsi en fut-il, en France, de tous ces socialistes qui ont rejoint le mouvement "En Marche" d'Emmanuel Macron.
Mais on peut aujourd'hui se poser cette question: ne découvre-t-on pas, avec effarement, que, depuis quelques années, au sein de la gauche et surtout de l'extrême gauche, a émergé une sensibilité qu'on serait en droit de qualifier de néo-réactionnaire, néo-maccarthyste et de néo-cléricale, pour ne pas dire de néo-raciste?
C'est tout à fait évident s'agissant du soi-disant parti dit des "Indigènes de la République" avec lequel une partie non négligeable de l'extrême gauche a tissé des liens étroits (y compris au moins une députée de la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon) et dont la principale inspiratrice écrivait dans un ouvrage qu'elle plaçait sa race et sa religion au-dessus de toute forme d'universalité humaniste, démocratique ou républicaine.
Or, sans aller jusqu'à cette radicalité assumée (du Jean-Marie Le Pen à l'envers) c'est bien, en effet, à une systématique remise en cause, à la fois des principes de la laïcité et des principes d'universalité, c'est-à-dire des principaux acquis de la philosophie des Lumières et du progressisme républicain, que l'on assiste, aujourd'hui, dans certains milieux intellectuels qui prétendent se situer à la gauche de la gauche.
Ainsi ce syndicat "Sud" de la Seine-Saint-Denis qui organise, soutenu par toute une palanquée de sociologues dont l'incontournable Eric Fassin, des stages non mixtes (par exemple de femmes à l'exclusion des hommes, mais aussi de noirs à l'exclusion des blancs), arguant du fait que toute acceptation de la diversité sexuelle, ethnique (ou religieuse) de tels rassemblements étoufferait la possibilité d'exprimer son ressenti d'opprimé ou de discriminé.
On peut légitiment s'interroger : en quoi la dénonciation du racisme en s'enfermant entre soi, de façon mono-ethnique, sans la moindre esquisse d'ouverture à l'autre, serait-elle plus efficace que le même combat mené de manière ouverte, de façon à entraîner l'adhésion d'une diversité d'"inclus" dans la lutte contre l'exclusion, d'une majorité de "différents" dans la lutte pour le respect de toutes les différences?
Une certaine gauche en arriverait-elle à préconiser une forme d'apartheid inversé? Interrogeons-nous: si, dans une ville, dans un espace, où les Français dits "de souche" sont désormais minoritaires (il y en a), l'extrême droite organisait des réunions non mixtes, interdites aux noirs ou aux arabes, pour permettre aux blancs, aux "petits blancs" comme on dit, de rester enfin entre eux, pour mieux exprimer leur "ressenti" eux aussi "d'opprimés", comment réagirait la gauche ou l'extrême gauche? Elle approuverait? Elle relativiserait?
On a vu, dans le passé, sur quoi débouchait la tendance à une racialisation des différences: sous Staline, en Russie, à l'extermination des Koulaks, issus de la moyenne paysannerie, qu'on avait préalablement "racialisés".
Pour tenter de détourner les pauvres de toutes revendications sociales, on a également racialisé les riches en les identifiant aux juifs. Or, c'est très exactement ce qu'a fait Gérard Filoche, issu de la gauche socialiste, en acceptant presque inconsciemment, car il n'est pas antisémite, l'assimilation "Macron = riches = juifs". Ou d'autres à l'extrême gauche: "la bourgeoisie est une race!" ; tandis que certains larguent la notion unificatrice de laïcité républicaine pour lui substituer ce clivage purement clérical: toute critique des dérives islamistes serait assimilable à du racisme antimusulman (islamophobie). Autrement dit la religion comme race!
Et le sexe aussi: le hashtag "balance ton porc" visant, au fond, à ethniciser les notions de masculin et de féminin, l'autre, homme ou femme, comme race, comme race différente. Comme race antagoniste.
Ainsi, en arrive-t-on à un inconcevable cul-par-dessus-tête: hier, certains, à la gauche de la gauche, nous expliquaient que l'humanité était unique et que le racisme commençait avec la reconnaissance de la moindre différence en son sein (alors que l'antiracisme consiste, au contraire, à valoriser, au sein d'une unicité ontologique, la richesse des différences).
Or, les mêmes, aujourd'hui, en viennent à récuser tout concept d'humanité unifiée, d'universalité de la nature humaine, pour nous décrire un monde où la guerre du "tous contre tous" implique l'absolue dominance de l'antagonisme fondamental entre sexes, entre races ou ethnies, entre religions, entre cultures, entre positions sociales, entre générations.
L'autre systématiquement racialisé: jusqu'ici, la pensée réactionnaire c'était ça.

Jean-François Kahn Journaliste et écrivain

dimanche 3 décembre 2017

"Il sera bientôt trop tard…"

Deux semaines après l'appel de 15.000 scientifiques pour sauver la planète, les promesses semblent si lointaines.
Essayiste, auteur de "Notre France. Dire et aimer ce que nous sommes."

Que cherches-tu dans ces journaux ma sœur?
– Rien. Le rien. Je m'y noie pour confirmer mon intuition de départ, assez basique je l'admets : nous sommes fous. Tarés. Cinglés.
– Plaît-il?
– Oui, nous sommes tous déséquilibrés. Nous avançons sans savoir où nous allons, ballottés par les vents de l'actualité, commentant des informations que nous ne hiérarchisons plus. Tout est mis à plat, ramené au même niveau dans nos esprits malades. Te souviens-tu de la une du "Monde" daté du 14 novembre?

– Non. C'était quoi?
– Tu vois! Tout le problème est là. Tu ne t'en souviens pas, même toi avec tes airs supérieurs et tes poses d'intello. Pourtant, il y a deux semaines, 15.000 scientifiques ont lancé un cri d'alarme planétaire et leurs mots nous interpellaient en une du "Monde" : "Il sera bientôt trop tard…" Trop tard pour la Terre, trop tard pour l'humanité, trop tard pour nous tous, nos enfants, les enfants de nos enfants… On a lu, on a frissonné, et puis on a zappé.
– Tu as raison.
– Pire que cela : on zappe et on se contredit. Le 14 novembre au soir, on considère l'écologie comme une question de vie ou de mort pour l'humanité et le 27 novembre au matin, les Etats européens renoncent à interdire le glyphosate. Un herbicide, deux intérêts économiques et trois lobbys auront eu raison de notre dévouement à la cause de la biosphère… Treize jours après, les promesses de tout faire pour sauver le monde semblent déjà si lointaines. Légères. Vaines. C'est tragique.
– Enfin! Tu as enfin lâché le mot essentiel : "tragique". Celui vers lequel je cherche à te mener depuis des semaines. Tragique – mais pas dans le sens où tu l'entends ici – est le mot qui peut nous sauver, nous permettre de hiérarchiser, de définir des priorités, de ne plus être les poulets sans tête dont tu parlais. Nous avons perdu le sens du tragique et cela a conduit aux ruines que tu contemplais du haut de ta tour. Convaincus que l'Histoire était finie, que nos modes de vie et nos droits étaient acquis pour toujours, que nous pouvions nous fier à la main invisible du marché et nous laisser vivre, nous avons adopté un rapport comique au monde, chaussant tous en même temps les lunettes déréalisantes et unidimensionnelles de la société du spectacle décrite par Debord il y a cinquante ans tout juste aujourd'hui. L'écologie, si nous sommes encore capables de prendre au sérieux quoi que ce soit, est ce qui peut, ce qui doit nous ramener au tragique. Nous sortir du spectacle. Faire de nous autre chose que des pantins ou des bouffons.
– C'est un brin contre-intuitif… Nous avons longtemps pris les écolos pour de gentils Bisounours faisant pousser des tomates bio sur les toits de Brooklyn. Ils ne semblent pas à première vue "tragiques" les bobos véganes…
– Oui, mais l'écologie est infiniment plus que cela. Les mots de ces 15.000 scientifiques, ces mots soudain plus lourds que tous les autres, recadrent le débat écologique : la perspective de la fin commune qu'ils esquissent impose le retour de l'horizon du commun dans nos vies. Une hiérarchisation des périls et donc des principes d'organisation de la société. Une révolution donc. Et d'abord une révolution mentale, la mise à distance de nos désirs et de nos intérêts individuels pour et par la prise en compte de la question du tout-qui-n'est-pas-éternel. Le tragique donc, sans lequel la politique perd son sens et sa nécessité.
– En sommes-nous encore capables?
– Je ne sais pas. Cela suppose un effort immense, une certaine violence aussi. La question dépasse le lobbying de Monsanto ou de la FNSEA. Chacun d'entre nous doit se faire violence. Si nous acceptons que des lobbys prennent en otage les enjeux de santé publique comme sur le glyphosate sans nous révolter plus que cela, c'est au fond parce que cela nous réconforte. Nous avons tellement sacralisé nos libertés individuelles que la perspective de leur possible limitation au nom de la survie commune nous angoisse. L'écologie n'est pas douce. Ce n'est pas un conte de fée post-soixante-huitard. C'est au contraire une réhabilitation de la notion de contrainte.
– Il va falloir réapprendre à s'obliger?
– Exactement. Ni toi, ni moi ne sommes seuls au monde. Et si nous continuons à faire comme si nous l'étions, nous provoquerons, littéralement, la fin du monde. Le tout a des droits, lui aussi. Sur nous, qui avons des devoirs envers lui. Il n'est donc plus interdit d'interdire.

Le 1er juin 2017, le président américain a annoncé le retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris, conclu par 195 pays en 2015, et son intention de chercher "un nouvel accord" mondial sur le changement climatique. Le milliardaire a qualifié cet accord de "très injuste" pour son pays puisqu'il permettrait, selon lui, aux autres nations de prendre un avantage sur l'industrie américaine. Le retrait effectif n'interviendra pas avant novembre 2020.


lundi 27 novembre 2017

Stop au trafic humain de migrants africains en Lybie

Après la découverte d’un marché aux esclaves à Tripoli, en Libye, de nombreuses voix s’élèvent sur le continent pour appeler les dirigeants africains à faire leur examen de conscience. C’est notre responsabilité, tranche le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat.

Comment est-ce-possible ? Comment imaginer qu’au 21e siècle, on puisse assister à ce genre de commerce abject?
la Libye a cessé d’être un Etat. Que ce pays est tombé entre les mains de milices criminelles et de trafiquants de tout genre.

Il faut, que les Africains interrogent leur conscience.

«
La responsabilité est d’abord celle des Etats africains. Nous-mêmes. J’en appelle à notre prise de conscience de la gravité de cette situation. Dans nos pays, il faut faire en sorte que ces jeunes ne quittent pas le pays… Que les gens ne se ruent pas en Libye pour chercher à traverser la méditerranée. Il faut s’attaquer aux racines, par le développement, par des projets concrets» en faveur de la jeunesse.

«A quoi servent ces prétendus présidents?»
le comportement des dirigeants africains est pire que celui des gens qui vendent les migrants africains.

«Imaginez-vous que Donald Trump puisse dormir s’il apprenait qu’un citoyen américain était détenu quelque part, il ne l’accepterait pas. Le président Français Emmanuel Macron non plus. Alors pourquoi les gouvernements africains ne se soucient pas de leurs citoyens? Je me demande même à quoi ils servent ces prétendus présidents?», s’interroge Mamadou Bamba Ndiaye
Sur le site de Médiapart, le blogueur Abdou Rahmane souligne le gouffre qui sépare aujourd’hui les peuples du continent et leurs dirigeants.

«Les tweets de condamnation lamentables et honteux que certains d’entre eux ont publié sur les réseaux sociaux en guise de réaction en disent long sur leur impuissance pour défendre les intérêts de leurs nations et protéger leurs ressortissants», constate-t-il. Il leur demande ce qu’ils attendent pour proposer une opération militaire destinée à mettre un terme à cet inadmissible crime contre l’humanité en Libye.


Ils prennent leurs populations «pour de la marchandise»
Des dirigeants africains pointés du doigt par l’écrivain congolais Alain Mabanckou. Il leur reproche de 
contraindre leurs peuples à choisir entre la peste et le choléra.

«S’il y a un point de départ dans l’éradication de ces comportements primitifs, c’est sans doute le mode de fonctionnement de nos Etats à la tête desquels les dictateurs prennent leurs populations pour de la marchandise… La question immédiate est désormais de se demander jusqu’à quand l’Occident continuera à nourrir ces autocrates africains et leurs complices qui feignent de s’indigner ces derniers temps».