Trump : une décision de ce
genre,
et tout change
On avait tout imaginé sauf qu'il
viendrait à l'esprit d'un président aussi puissant qu'illuminé de jouer à
mettre en deuil les populations et l'équilibre séculaire d'une société
terriblement fragile.
On
sait qu'il va falloir désormais s'habituer au choc d'un événement planétaire
chaque jour, sinon chaque semaine ! De plus en plus, d'ailleurs, ce choc nous
parvient du Proche-Orient. On avait tout imaginé sauf qu'il viendrait à
l'esprit d'un président aussi puissant qu'illuminé de jouer à mettre en deuil
les populations et l'équilibre séculaire d'une société terriblement fragile.
"Choc", l'expression n'est pas trop forte, même s'il s'agit du fait
que les puissances arabo-musulmanes se trouvent soudain privées de protection
et de facteurs d'ordre de la part du plus puissant des Etats occidentaux, donc
blanc et majoritairement chrétien. Qu'est-ce qui est arrivé ? Vous le savez
déjà, c'est cette décision plutôt démente d'un président inédit qui décide
depuis Washington de transférer son ambassade en Israël de Tel-Aviv à
Jérusalem. Une décision de ce genre, et tout change.
Tout ?
D'abord, le sentiment des populations arabo-musulmanes, qui y sont hostiles, et
celui des populations judéo-israéliennes, qui y sont favorables. Jérusalem
appartient à l'histoire hébraïque, sinon juive, confirme notre ami François
Reynaert. D'accord, mais nous avons tous un passé auquel on peut se référer,
non pour justifier la souveraineté sur un Etat ou une patrie, mais d'un point
de vue civilisationnel, esthétique ou même archéologique. Alors, que faire de
Jérusalem et de la Palestine, deux Etats ? C'est tout le problème ! Reste à le
résoudre à la manière imprévisible et
désastreuse de Donald Trump.
On
nous a dit tous les jours, depuis un certain temps, que plus rien n'était
possible entre Palestiniens et Israéliens. L'horizon est désormais encore bien
loin de se dégager ! Avec Donald Trump, c'est bien sûr encore pire. Toutes les
voies sont déjà bouchées. On a vu des réactions populaires hostiles et
violentes dans tous les lieux où les peuples et les opinions publiques
arabo-musulmans peuvent se manifester. On a pris peur et on s'est pris à
imaginer n'importe quoi. Voyez plutôt.
Il faut être deux pour négocier
Etant
donné la façon dont Donald Trump a été désapprouvé à peu près
dans le monde entier, n'excluons pas, nous dit-on, des
accommodements de rattrapage et de dernière heure. Et pourquoi donc, même
l'ambassade américaine une fois installée à Jérusalem, les négociations de paix
entre Israéliens et Palestiniens ne reprendraient-elles pas, et même avec plus
de chances qu'avant le choc ? Pourquoi les concessions réciproques ne
reprendraient-elles pas là où elles ont été laissées aux précédentes
rencontres, où elles étaient censées avoir avancé ?
Oui. D'accord. On peut envisager n'importe quoi. Mais hélas, la réponse
est bien simple, en fait trop simple. Il faut être deux pour négocier, et quand
les Etats-Unis sont là, cela ne fait pas seulement une différence arithmétique.
Là, il faut s'arrêter un instant. Ils ne sont pas maîtres du jeu, mais ils ont des liens nouveaux et spectaculaires avec tous les représentants récemment nommés de
l'Arabie saoudite. En tant que tels, ils sont évidemment un grand allié,
surtout dans le monde sunnite. Mais précisément, surtout dans ce monde-là,
alors que le problème, c'est l'autre. C'est l'Iran, l'Irak, le Hezbollah, le
Yémen et le Qatar. Parmi tous ces noms flambants et conquérants, il y en a un
qui suscite des sentiments explosifs et contradictoires, c'est évidemment
l'Iran, puissance chiite entourée d'alliés actifs et minoritaires avec des
groupes activistes. Notamment celui du Hezbollah mobilisé contre Israël et ne
cédant rien à son ennemi potentiel.
Alors, dans ces conditions, qui
pourrait bien prendre la responsabilité de nouvelles négociations avec les
Israéliens, même adoubé par Washington ? Suspense : c'est le suspense autour de
la volonté, du caprice et de l'expansionnisme iraniens. Jusqu'à maintenant,
Donald Trump n'a pas trouvé de riposte possible à cette situation. On dit
volontiers, depuis plus d'un an, que les gouvernements arabes ont délaissé la
cause palestinienne. Ce n'est pas faux dans une certaine mesure, mais ce qui
demeure vrai, c'est que les peuples arabes et musulmans, eux, n'ont rien
abandonné de la dimension sentimentale et mobilisable de leur solidarité.
Souvenez-vous : Itzhak Rabin et Anouar el-Sadate
Il faut s'attendre à tout dans ce
pays, cette région et cette histoire, où il ne s'est pas passé que des
miracles. Jésus ne s'est pas rendu partout en même temps. Il y a une histoire à
laquelle je me consacre dans une partie de ma vie : celle de la quasi-simultanéité
de deux saints, de l'assassinat et du sacrifice de deux hommes qui auraient
mérité la sainteté.
Itzhak Rabin et Anouar el-Sadate, un
Israélien et un Egyptien, tous les deux héros de la guerre puis de la paix,
enfin de l'amour, ont été assassinés pratiquement de la même manière par le
terrorisme, par des terroristes, par des activistes de la barbarie et de la
terreur, par l'extrémisme religieux et le patriotisme dément.
Souvenons-nous, pauvre Donald Trump,
pauvres Etats-Unis, pauvre judéo-christianisme, de l'année 2017 qui, une
semaine avant Noël, ne promet pas un avenir de paix aux hommes de bonne
volonté.
Jean Daniel
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