lundi 15 octobre 2012

Pigeons, plutôt rapaces



Pigeons, plutôt rapaces

Encore une fois, je veux m'enrichir, je ne lâcherai pas un sou.
Ubu roi (1888)


«Anticapitalisme», «quasi-sadisme», «hold-up fiscal»... ces termes –tout en nuances– ont été employés par le petit monde des entrepreneurs d’Internet pour dénoncer les mesures fiscales du gouvernement perçues comme un matraquage fiscal. Mais derrière le groupe dit des «pigeons» se planquent d’autres personnages, moins avenants, frappés eux aussi par la réforme de l’impôt sur les plus-values mobilières : les gérants de fonds financiers et les spécialistes de LBO...
 Le petit monde des entrepreneurs d’Internet, le même qui, d’habitude, donne des leçons à la Terre entière sur le bonheur de l’esprit positif, sur la « coolitude » de la créativité décomplexée, se met d’un coup à hurler « Ma cassette ! ma cassette ! » comme l’Harpagon de Molière.

Tout en nuances, Jean-Paul Chamboredon, porte-parole de la contestation, dénonce derrière cet « anticapitalisme » un « quasi-sadisme » qui lui donne « la nausée »... « Un hold-up fiscal », s’écrie un patron en vue. « J’ai la gueule de bois », gémit un autre. Un troisième parle déjà d’émigrer vers un paradis belge ou anglais. Comme ces gens savent utiliser à merveille les réseaux sociaux, et leurs relais dans la presse et l’audiovisuel, les critiques des mesures fiscales qui les concernent emplissent soudainement l’espace média- tique. Leur tapage n’empêche pas de réfléchir un peu sur le fond de l’affaire.

Que dénoncent ceux qui se baptisent eux-mêmes « les pigeons » ? Tout simplement la fin d’un privilège. Les revenus qu’ils tirent de leurs capitaux seront désormais imposés comme ceux du travail. Pour simplifier, le créateur d’une start-up qui revend rapidement son entre- prise avec profit verra sa plus-value taxée à 43 % plus 15 % de cotisations sociales, au lieu de 30 % jusqu’à présent.

Cela semble dur si l’on ne précise qu’un investisseur de long terme, accompagnant une société pendant dix ans, bénéficiera d’un abattement ramenant l’impôt au niveau... d’aujourd’hui. Derrière les quelques gueules sympathiques de baroudeurs du Net à qui personne ne souhaite un mauvais sort se planquent d’autres personnages, moins avenants, frappés eux aussi par la réforme de l’impôt sur les plus-values mobilières : les gérants de fonds financiers et les spécialistes de LBO (rachats spéculatifs d’entre- prises) qui ont pour habitude de se faire rémunérer en « carried interest », c’est-à-dire lors de cessions de gros paquets d’actions.

Eux sont les adeptes non pas de la création d’entreprise, mais de la création de valeur pour l’actionnaire, voire d’abord et avant tout pour eux-mêmes ! Ils ont l’habitude des allers-retours aussi rapides que fructueux. On comprend que ces rapaces laissent les pigeons occuper le devant de la scène médiatique au mieux de leurs intérêts.

Personne, surtout pas dans nos colonnes, ne trouve que les hausses d’impôts décidées par la nouvelle majorité sont indolores. Au contraire, nous savons que
les temps sont durs pour la plus grande partie de la population et d’autres catégories, souvent bien moins loties, rejoignent le sort commun des contribuables, comme les salariés effectuant des heures supplémentaires, ou les auto entrepreneurs. Faut-il pour autant renoncer à retrouver le principe fondateur de la République :
l’égalité des Français devant l’impôt ? 

Il n’aura pas fallu deux jours pour que le gouvernement, traumatisé par la chute vertigineuse de l’investissement, fasse droit aux revendications de nos chers « pigeons » qui menacent de s’envoler vers les paradis fiscaux que seraient l’Angleterre ou la Belgique. On ne sait pas encore si les rapaces, bien plus discrets, bénéficieront eux aussi des concessions octroyées par Pierre Moscovici et Fleur Pellerin, ce qui constituerait un scandale, mais on peut lancer ce conseil à tous les contribuables mécontents : tweetez à Bercy, c’est rapide, pas cher, et ça peut rapporter gros !

 


Appelons-nous toujours à "une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communications de masse
qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse,
le mépris des plus faibles et de la culture,
l'amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous"
Refuser le diktat du profit et de l'argent,
s'indigner contre la coexistence d'une extrême pauvreté et d'une richesse arrogante,
refuser les féodalités économiques, réaffirmer le besoin d'une presse vraiment indépendante,
assurer la sécurité sociale sous toutes ses formes...
nombre de ces valeurs et acquis que nous défendions hier sont aujourd'hui en difficulté ou même en danger.
C'est tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance qui est aujourd'hui remis en cause.
Mais si, aujourd’hui comme alors,
une minorité active se dresse, cela suffira, nous aurons le levain pour que la pâte lève.









Christian Eckert : gare à "Zola version Facebook"
Créé le 12-10-2012 à
Il refuse que l'on cède aux battements d'ailes des "pigeons", veut recadrer les frais bancaires.
Qui est le nouveau rapporteur de la Commission des finances de l'Assemblée nationale ?
Il n’aura fallu que quelques mois à Christian Eckert, député inconnu et plutôt discret, pour se faire un nom. Désigné rapporteur de la Commission des finances de l’Assemblée nationale par ses pairs, ce costaud au caractère bien trempé est sous les feux de la rampe, discussion du projet de loi de finances (PLF) oblige.
Tradition lorraine et socialiste
L’élu lorrain – député depuis 2007- veut profiter de la tribune que lui offre le budget 2013 pour donner à ceux qui l’auraient oublié une petite leçon de socialisme pur et dur. Dans la plus pure tradition des bastions industriels où l’on croise plus d’ouvriers avec des fins de mois difficiles que de riches propriétaires de portefeuilles boursiers ou d’appartement aux murs richement décorés d’œuvres d’art… "En deux heures de TGV, je suis dans ma circonscription, explique-t-il. Par conviction, par histoire personnelle, j’essaie de rester proches des gens".
Même s’il a fait la paix avec Aurélie Filippetti, qui n’avait pas hésité une seconde à s’inviter dans sa circonscription avant de se faire élire dans un territoire voisin, il ne compte pas faire de cadeau à la ministre de la Culture. En examinant le projet de loi de finances, il a lancé un pavé dans la mare : pourquoi ne pas élargir l’assiette de l’ISF en introduisant les œuvres d’art, "capital dormant" par excellence ? On pourrait au moins inclure les œuvres valant plus de 50.000 euros, dès lors que leurs propriétaires refusent de les prêter pour des expositions publiques. Culotté ? Original ? Pas tant que cela. Un tel amendement a déjà été voté deux fois par une majorité socialiste et n’a jamais été appliqué. Cette fois encore, le gouvernement a reculé –non sans laisser un regret à Jérôme Cahuzac, le ministre délégué au budget- mais Christian Eckert a marqué des points.
Bloggeur
L’agrégé de maths s’est aussi distingué par un billet bien senti sur son blog : "Bientôt on écrira la loi sur internet…" Remarqué, ce texte lui a valu un joli portrait "L’angle du rapporteur" sur France Inter, sa radio préférée. Dans la ligne de mire du député : l’action des "pigeons", ces créateurs d’entreprises qui ont su utiliser les réseaux sociaux pour dénoncer le projet du gouvernement de taxer les plus-values de cession d’entreprise au même taux que les salaires. En 48 heures chrono, ils ont fait reculer Bercy. "Certains diront bravo ! Le petit pigeon à vaincu l'aigle impérial. C'est toujours sympathique", concède Christian Eckert. Mais il appelle à une réflexion plus profonde : "La loi doit-elle s’écrire en fonction du nombre de 'j’aime' recueillis sur la page d’un réseau social ? Doit-elle se faire sous la pression de la rue, de la presse, ou des internautes ?" Une dizaine d’énormes manifestations de salariés contre la réforme des retraites a été organisées. Elles n’ont eu aucun effet. Fallait-il donc céder si vite, sans discussion, aux pigeons ? "Dans cette affaire, le fond comme la forme donnent à réfléchir", conclut-il.
Derrière ses fines lunettes, le matheux fait les comptes. Dans un deuxième billet, il démonte "calmement et précisément", "la campagne mensongère et habile de ceux qu'il est désormais convenu d'appeler les 'pigeons'" et leur "Zola version Facebook". Il balaie les arguments des "pigeons". C’est clair : un monde sépare ce fonctionnaire, époux de fonctionnaire, de la net économie. Sans doute les uns et les autres gagneraient-ils à se rapprocher...
Haro sur les frais bancaires
Gageons que la bataille des œuvres d’art ou celle des pigeons ne seront pas les dernières de Christian Eckert. D’abord, parce que le Lorrain de 56 ans se voit bien en poste pour cinq ans. Pour lui, cette fonction très technique est un investissement, que l’on ne fait pas pour un an ou deux. Surtout il a déjà sa prochaine cible en vue : les banques. "Elles sortent les mouchoirs un peu vite", constate-t-il, agacé par leur lobbying. Il a bien entendu le discours de Pierre Moscovici, le ministre des finances, qui défend le modèle de banque universelle et plaide pour la défense des 400.000 emplois du secteur et des crédits…
Les banques, donc, ne seront pas coupées en deux. Mais à tout le moins, lance-t-il, ne pourrait-on pas échanger cette bienveillance relative contre une modération du coût des "packages" bancaires ou des frais facturés aux clients lorsque des incidents de paiement se produisent ? "Je ne concevrais pas une loi sur les banques, sans un chapitre sur les frais bancaires", assure-t-il, déterminé. Bien sur ni BNP Paribas, ni la Société générale, ni le Crédit agricole, le Crédit mutuel ou les Caisses d’épargne ne l’entendent de cette oreille… A elles de convaincre un rapporteur, qui campe bien droit sur ses idées.
Qu’il soit représentatif ou non des entrepreneurs français, le mouvement Geonpi est en tous cas d'ores-et-déjà un succès en terme de communication. En quelques jours, ses membres ont en effet réussi à organiser un véritable buzz sur les réseaux lui assurant une reprise dans la plupart des grands médias.
Alors que le mouvement se présente comme le cri de colère d’un groupe d’entrepreneurs, il semblerait en fait que ces derniers, pour la plupart spécialistes du web et de la communication, aient réussi à organiser une véritable campagne de marketing virale. Plusieurs internautes ont en effet remarqué que le site internet du mouvement, "defensedespigons.org", était enregistré au nom de YOPPS, une agence parisienne spécialisée dans les opérations de "communication digitale".
http://tempsreel.nouvelobs.com/scripts/stats.php?mod=read&key=1137109&media=nobstr

dimanche 14 octobre 2012

né en France, je me sens arabe



Enfant d’immigrés, né en France, je me sens arabe
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Il faudrait d'abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis,
 à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral,
et montrer que, chaque fois qu'il y a eu au Viêt-nam une tête coupée et un oeil crevé et qu'en France on accepte,
 une fillette violée et qu'en France on accepte,
 un Malgache supplicié et qu'en France on accepte,
il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s'opère, une gangrène qui s'installe, un foyer d'infection qui s'étend et qu'au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés,
de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et "interrogés", de tous ces patriotes torturés,  au bout de cet orgueil racial encouragé,
 de cette lactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe,
et le progrès lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent.
[ Aimé Césaire ]


Les changements d’humeur de la société française sont amusants : après le déferlement de haine raciale qui suit un évènement quelconque – les caricatures islamophobes de Charlie Hebdo ou la manifestation de 150 « salafistes » à Paris –, vient le temps de la réconciliation.
On nous présente alors la dernière enquête de l’Insee, supposée rassurer les Français blancs : les enfants d’immigrés maghrébins et africains « se sentent bien français », ils sont mariés avec des conjoints bien français-e-s, et sont en voie d’oublier leur culture d’origine et notamment la langue de leurs ancêtres.
On vérifie que la machine à assimiler fait son travail : l’éradication des cultures minoritaires non-occidentales.
Pour appuyer ce propos, on reprend les témoignages, dramatiquement homogènes, de Karim, Abdoulaye ou Fatima qui montrent « patte blanche » : ils ont délaissé leur culture d’origine et aiment la mère patrie en dehors de laquelle ils n’ont aucun avenir, en dépit du racisme.
Démontrer sans cesse qu’on n’est pas un barbare
Ces « modèles d’intégration » prouvent, par définition, que tous les autres sont des antimodèles : ceux qui échouent à l’école, finissent en prison et se définissent arabes ou africains. Ceux-là sont les barbares. Et je suis l’un d’entre eux. Né en France de parents immigrés, je me sens définitivement arabe.
Pourtant, les injonctions à l’assimilation furent légion sur la longue route de la « méritocratie » républicaine. Au fur et à mesure que l’on grimpe dans la hiérarchie scolaire et sociale, les basanés se font de moins en moins nombreux.
Non pas que la compagnie des Blancs ne soit pas chaleureuse – je compte parmi mes meilleurs amis de nombreux Blancs. Les individus ne sont pas ici en cause. Mais leur attitude collective est souvent harassante.
Certains cachent mal leur malaise face à la présence d’un Arabe et se sentent obligés de détendre l’atmosphère avec… des blagues racistes.
D’autres révéleront leur « européocentrisme » lors de discussions ou remarques parfois anodines sur la laïcité, les « quartiers » ou la « délinquance ». L’Arabe est alors dans une position délicate : s’il ne sourit ou n’approuve pas, il est exclu du groupe. Mais s’il approuve, il trahit les siens, absents de la scène.
Partout, les Blancs le poussent à se démarquer des « autres », à exprimer le reniement de son arabité. Il lui faut démontrer que lui, l’Arabe civilisé, il n’est pas comme eux, les barbares.
Les « bons » Arabes
Certains entrent pleinement dans le jeu, l’espace médiatique français en témoigne. Ce sont toujours les « bons » Arabes que l’on invite, ceux qui ne remettent rien en cause à part les agissements de leur propre communauté et donnent à la France blanche une conscience tranquille.
Mais très tôt, j’ai senti que le miel de l’intégration n’était pas pour moi. Ce serait faux de dire que je n’y ai jamais cru. Bien au contraire, la prise de conscience fut progressive.
Il y a d’abord des faits qui furent marquants pour ma génération : le 11 Septembre, l’occupation de l’Afghanistan, de l’Irak et l’étouffement du peuple palestinien. Ils nous ont poussés à nous interroger sur ces peuples que l’on nous présente comme barbares et qui nous ressemblent tant.
Ils nous ont poussés à découvrir notre véritable Histoire, notre civilisation, nos philosophes, nos arts qui sont absents des livres d’école français.
Ils m’ont poussé à apprendre l’arabe littéraire avec obstination, à voyager et à voir le monde arabe autrement que comme un « bled » miséreux.
Un parfum de colonialisme
Mais il y a surtout cette réalité française que les Arabes vivent au quotidien. Les leviers du pouvoir politique et économique qui sont tout entiers aux mains des Blancs, le harcèlement des forces de l’ordre provoquant des émeutes à répétition qui se terminent par des condamnations aux allures de comédie judiciaire. Cette réalité française que nous vivons aujourd’hui et qui nous rapproche tant de la réalité coloniale d’hier.
Enfin, le Printemps arabe a fini de me convaincre. Durant ces soulèvements que nous attendions sans y croire depuis si longtemps, le lien entre les dictatures postcoloniales de là-bas et le système politique raciste d’ici a été affiché au grand jour.
J’ai compris l’alliance tacite qui unissait depuis des décennies les dictateurs arabes et les politiques occidentaux pour empêcher les peuples arabes d’exercer un véritable contrôle sur leurs vies.
J’ai compris que l’ordre occidental du monde n’avait pas vraiment évolué depuis les indépendances, si ce n’est dans la forme.
J’ai compris que l’« intégration » et l’oubli de notre culture étaient les meilleurs moyens de nous empêcher d’agir contre le racisme que nous subissons ici et l’impérialisme qu’ils subissent là-bas.
Pourquoi le mot « Arabe » ne passe pas
Voilà pourquoi l’on dit de nous que nous sommes des « Beurs » ou des « enfants d’immigrés », c’est-à-dire ni français, ni arabes.
Mais qu’y a-t-il de mal à être arabe, à se sentir l’héritier d’un legs historique millénaire et membre d’une communauté qui dépasse le cadre national ?
Qu’y a-t-il de mal à exercer son droit à l’identité et à la culture, tel que le garantissent les conventions internationales et européennes de protection des minorités que la France n’a jamais signées ?
Qu’y a-t-il de mal à combattre la misère organisée que subissent les Arabes en France comme ailleurs, et à exiger une décolonisation pleine et effective du monde ?

« J’abhore le racisme. Je déteste la xénophobie.

Je crois dans la force et la richesse de la diversité. »

N. Sarkozy