mercredi 1 mai 2013

La "Manif pour tous" contre le droit des autres


 
Ils voulaient la fin des oppressions, la fin des tyrannies, la fin du glaive, le travail pour l’homme, l’instruction pour l’enfant,
 la douceur sociale pour la femme, la liberté, l’égalité, la fraternité, le pain pour tous, l’idée pour tous, l’édénisation du monde, 
le Progrès ; et cette chose sainte, bonne et douce, le progrès, poussés à bout, hors d’eux-mêmes, ils la réclamaient terribles, demi-nus, 
la massue au poing, le rugissement à la bouche. 
C’étaient les sauvages, oui ; mais les sauvages de la civilisation.
Ils proclamaient avec furie le droit ; ils voulaient, fût-ce par le tremblement et l’épouvante, forcer le genre humain au paradis. 
Ils semblaient des barbares et ils étaient des sauveurs. 
Ils réclamaient la lumière avec le masque de la nuit.
En regard de ces hommes, farouches, nous en convenons,
 et effrayants, mais farouches et effrayants pour le bien,
 il y a d’autres hommes, souriants, brodés, dorés, enrubannés, constellés, en bas de soie, en plumes blanches, en gants jaunes, 
en souliers vernis, qui, accoudés à une table de velours 
au coin d’une cheminée de marbre, 
 insistent doucement pour le maintien et la conservation du passé,
 du moyen-âge, du droit divin, du fanatisme, de l’ignorance, de l’esclavage, de la peine de mort, de la guerre, glorifiant à demi-voix et avec politesse le sabre, le bûcher et l’échafaud.


Quant à nous, si nous étions forcés à l’option entre les barbares 
de la civilisation et les civilisés de la barbarie,
 nous choisirions les barbares.


Victor Hugo, Les Misérables





La "Manif pour tous" contre le droit des autres

La "Manif pour tous" est devenue la manif contre quelques-uns : tel est désormais le trait principal d'une protestation qui a mal tourné sous l'égide d'une minorité activiste. Réaction pacifique et œcuménique au départ, elle s'est changée en combat acerbe contre le droit des autres. L'histoire retiendra avec quel acharnement, quelle virulence, quelle agressivité une partie de la droite a voulu interdire à une minorité son entrée définitive dans la communauté nationale, en lui déniant l'égalité qu'elle réclame, sans le moindre égard pour son héritage, fait de relégation, de sarcasmes et de discrimination.
On pouvait comprendre, on devait accepter la critique. Le mariage homosexuel est une nouveauté historique qui contredit une immémoriale tradition. Son instauration pouvait choquer, il fallait écouter les objections de bonne foi présentées par ceux qui s'inquiètent de la filiation ou qui craignent pour l'équilibre psychologique des enfants de ces couples nouveaux. Religieuses ou traditionnelles, les convictions sont respectables.

Quelque chose de plus sectaire que le simple désaccord

Mais le débat a eu lieu. Chacun a pu présenter ses arguments, confronter ses craintes ou ses espoirs. La loi passe, votée le plus régulièrement du monde. Elle avait été préalablement ratifiée par une majorité de Français lors de l'élection présidentielle, comme l'avaient été l'abolition de la peine de mort ou la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse. Si l'on continue, c'est bien qu'il y a là quelque chose de plus viscéral, de plus sectaire que le simple désaccord. La nouvelle disposition ne changera rien à la vie de l'immense majorité des Français, ni à leur couple, ni à leur mariage. Autrement dit, on se bat non pour défendre des acquis, pour promouvoir une revendication ou pour faire progresser un idéal. On se bat pour empêcher l'autre d'accéder au même droit que soi. N'est-ce pas la définition même de l'intolérance ?
Ainsi des légions de manifestants ont conspué le droit de gens qu'ils fréquentent souvent quotidiennement et qui forment un groupe inoffensif, sans voix devant tant d'agressivité.
Ainsi des légions de manifestants ont désigné les couples homosexuels qui vivent aujourd'hui en famille comme de mauvais parents par nature, menaçant non seulement leurs enfants, mais tous les enfants de France, alors qu'aucune étude sérieuse ne vient corroborer cette pétition de principe anti-homosexuelle.
Ainsi des dizaines de milliers de personnes ont montré du doigt ces enfants élevés par des homosexuels comme des enfants par nature handicapés, objets de désirs illégitimes et qu'on ne saurait considérer comme des enfants normaux.
Ainsi des légions de manifestants prévoient l'effondrement d'une civilisation par la faute des homosexuels, soudain dotés d'un pouvoir surnaturel de vie ou de mort sur les bases morales de la société, outrance ridicule qui ne correspond à aucun fait connu. Henri Guaino se moque du monde quand il invoque, en roulant de grands yeux, les changements "anthropologiques" dont nous serions menacés. Les deux anthropologues français les plus connus, Françoise Héritier et Maurice Godelier, n'ont aucunement rejoint les protestataires, au contraire. Ils nous ont surtout rappelé que les structures familiales étaient diverses selon les sociétés et qu'elles peuvent évoluer sans entraîner de régression.

Où sont les prémices d'effondrement ?

Quant aux fléaux qu'on agite, où en voit-on la trace dans les pays qui ont adopté des législations analogues depuis une décennie ? Au Portugal ou en Espagne, vieux pays catholiques qui ont autorisé avant nous le mariage gay ? En Belgique, où la loi existe depuis 2001 ? En Norvège, au Brésil, en Islande ? Si l'effondrement menaçait, on en verrait les prémices dans les Etats américains qui ont voté ces lois, en comparaison de ceux qui ne l'ont pas fait. Or on ne voit évidemment rien.
L'argument anthropologique n'est que fumée pour les gogos, épouvantail aussi fou qu'horrifique. Ou plutôt, il n'est que le camouflage d'un préjugé. Il n'est pas besoin de leur parler beaucoup pour mettre au jour la conviction profonde d'une grande majorité des manifestants. Ils ne souhaitent pas persécuter les homosexuels et le terme "homophobie" leur convient mal. Mais ils jugent, à la fin des fins, l'homosexualité contre nature et refusent instinctivement de la mettre sur le même plan que l'hétérosexualité. C'est le fond de l'affaire.
Cette conviction ne repose sur rien de rationnel. On invoque la nature, mais la nature ne saurait fonder le droit. Si tel était le cas, nous vivrions selon ses lois, qui ne sont que lutte violente de tous contre tous pour la survie. La civilisation, justement, consiste à s'élever au-dessus de la nature. Mais c'est la force du préjugé : il n'a pas besoin de justification. Les choses doivent être ainsi parce qu'elles le sont depuis toujours. Fermez le ban.
Dans une société laïque, peut-on déduire les lois des préjugés traditionnels ou religieux ? C'est ce que proposent les manifestants, qui veulent imposer leurs convictions religieuses à la République, alors qu'ils opposent par ailleurs une laïcité fiévreuse à la religion musulmane, sans aucune crainte des contradictions. Les républicains n'écouteront pas ces artisans de l'intolérance et de la régression française.
Même dans un pays Laïque !

Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible

rendront une révolution violente inévitable.

John Fitzgerald Kennedy

lundi 29 avril 2013

Les faussaires de l’économie : le grand mensonge




Austérité : le grand mensonge
La Banque [internationale] pourrait mettre en place un compte en faveur d'une autorité de gouvernance supranationale chargée de préserver la paix et de maintenir l'ordre international.
Si un quelconque pays venait à empiéter sur ses ordonnances
 convenablement autorisées, cette autorité de gouvernance
 pourrait être habilitée à saisir les gouverneurs de la Banque
 des Règlements afin de geler le compte de la banque centrale
du pays délinquant envers l'une de ses ordonnances et empêcher
 toute transaction sur ce compte en dehors de son autorité.
Ceci consituerait une excellente machinerie pour imposer un blocus financier.
The Bank might set up an account in favour of the supranational policing body charged with the duty of preserving the peace and maintaining international order. If any country were to infringe its properly authorised orders, the policing body might be entitled to request the Governors of the Clearing Bank to hold the Clearing Account of the central bank of the delinquent country to its order and permit no further transactions on the account except by its authority. This would provide an excellent machinery for enforcing a financial blockade.
John Maynard Keynes (1941)


Au bout de combien d’erreurs d’analyses, les experts – économiques en l’occurrence – sont-ils discrédités, délégitimés, rayés de la carte ? En d’autres termes, combien de fois faut-il démontrer qu’ils se fourvoient pour que leurs études ne fassent plus autorité, pour que leurs travaux ne servent plus de dogme infaillible à telle ou telle chapelle politique ? Bref, pour qu’ils ne puissent plus se prévaloir du titre d’expert ? 


C’est bien ainsi qu’il convient désormais de poser la question. Voici quelques mois, 
les plus grands experts du Fonds Monétaire International (FMI) avaient admis s’être trompés : leurs travaux avaient sous-estimé l’impact récessionniste des politiques d’austérité, surtout quand celles-ci sont menées à forte intensité au même moment dans plusieurs pays d’une même zone géographique.
Pour le dire autrement : oui, l’austérité, appliquée aveuglément dans la plupart des pays d’Europe, ajoute de la crise à la crise.
Cette fois, ce sont deux économistes américains, Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart, deux professeurs émérites de la célèbre université d’Harvard, qui viennent de reconnaître leur erreur.
Leur thèse était aussi séduisante qu’implacable : une dette publique, lorsqu’elle dépasse le seuil fatidique de 90% du produit intérieur brut (PIB) provoque un effondrement de la croissance. En vertu de quoi, tous les pays devaient d’urgence se désendetter.
Donc, hausse d’impôts et baisse des dépense publiques pour tout le monde.
Les conclusions de leurs travaux, jamais remises en cause, avaient ainsi servi de boussole aux plus grandes institutions financières de la planète pour justifier des politiques de réduction drastique des dépenses publiques. Sauf que tout était faux !
Un jeune étudiant américain, Thomas Herndon, à la demande de son professeur, M.Pollin, a passé des heures et des heures à tenter de refaire la démonstration de Rogoff et Reinhart. En vain. Et pour cause : elle était truffée d’erreurs.
Dans une lettre datée du 17 avril, le professeur Rogoff a reconnu sa faute et promis qu’il « redoublerait d’efforts pour éviter, à l’avenir, de telles erreurs ». Entretemps, des millions d’emplois – publics et privés – ont été détruits sur la foi de ce type de travaux et la crise, économique et sociale, n’a fait que s’aggraver.
Ces nouvelles révélations interviennent au moment précis où le
 G20 – qui n’a pas peur du ridicule – exhorte désormais la zone euro à tourner la page de la rigueur – après lui avoir intimé l’ordre de l’appliquer avec la plus grande fermeté. Plus burlesque encore : l’agence de notation Fitch vient, après Moody’s, de retirer à Londres son triple A. 
Et devinez pourquoi ? Parce que le plan d’austérité qu’applique à la schlague David Cameron, le premier Ministre anglais, détériore gravement les performances de l’économie britannique et sans désendetter d’un centime l’Etat anglais.
Or, cette politique n’a été menée que pour satisfaire les marchés financiers et leur bras armé, les agences de notation, en se basant sur des travaux économiques politiquement orientés et scientifiquement erronés.
Maintenant que le grand mensonge est dévoilé, on continue comme ça ou on arrête les frais ?

Les faussaires de l’économie

"La politique est l'art de se servir des hommes en leur faisant croire qu'on les sert."
Voltaire

 

 

Keneth Rogoff, Mario Draghi et le FMI. Un prix Nobel (en fait prix de la banque de Suède en mémoire d'Alfred…), enseignant à Harvard, le président de la BCE, et le Fonds monétaire international : ces trois « institutions » de l’ économie mondilaes sont prises tour à tour  la main dans le sac de tripatouillage des chiffres !


Le FMI d’abord. On apprend en janvier que ses calculs sur les effets des politiques d’austérité étaient faux. Le « multiplicateur fiscal » (l’effet de l’augmentation des impôts ou la réduction des dépenses publiques sur la croissance d’un pays) était sous-évalué de près de 50%. Une paille ! Soyons juste, c’est l’économiste en chef du Fonds, Olivier Blanchard, qui a lui-même révélé l’affaire, publiant une étude affirmant « que, dans les économies développées, une plus forte consolidation fiscale est allée de concert avec une croissance plus faible que prévu, écrivent-ils. Une explication naturelle est que les multiplicateurs fiscaux étaient nettement plus haut que ce que les prévisions estimaient implicitement.». Hélas, entre temps, la Grèce, le Portugal, l’Italie  et même la France étaient passées en récession, du fait de la « consolidation budgétaire » voulue par l’Union européenne, en application des calculs, faux, du FMI… 
D’ailleurs la leçon n’est toujours pas retenue par l’administration de Bercy. Dans les trajectoires budgétaires pour 2013 et 2014, le gouvernement a adopté un « multipicateur fiscal » de 0,5 (en 2013) et 0,9 (en 2014), bien inférieur aux nouvelles préconisations du FMI, qui sont supérieures à 1. Pourquoi ? La réponse tombe sous le sens : en affichant un multiplicateur faible, on peut masquer l’effet absolument catastrophique de l’austérité, et prétendre que la croissance sera encore de 0,1% en 2013 et de 0,8% en 2014… Les chiffres servent là à masquer les effets de la politique suivie. 
Mario Draghi ensuite. Au Conseil européen de mars dernier, le président de la BCE a fait un petit cours d’économie aux chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Bruxelles. Objet de la démonstration : prouver que les pays qui ont fait baisser leurs coûts du travail relativement aux autres, ont une croissance supérieur de leur PIB. Ils sont plus « compétitifs ». Mais dans sa démonstration,  Super Mario compare deux séries de chiffres  : l‘une déflatée, l’autre non. L’écart étant d’environ 2% par an, on a vite fait de prouver, faussement, ce qu‘on a envie de prouver. 
Kenneth Rogoff enfin. L‘éminent professeur de Harvard avait prouvé, pensait-on, que tout pays affublé d’une dette publique dont le niveau égale ou dépasse 9 de son PIB serait condamné à la récession. Le chercheur avait publié un tableau récapitulatif des pays lourdement endetté depuis 1946, et arrivait à une croissance moyenne de -01%. Le théorème de Rogoff  avait été repris dans les décisions de la commission européenne. Patatras, quelques étudiants facétieux mais consciencieux reprirent les calculs de la star américaine, et s’aperçurent très vite que quelques biais faussaient les résultats, en particulier l’exclusion de certains pays commela Nouvelle-Zélande et la Belgique, et semble-t-il une erreur du tableur (c’est toujours la faute à Excel, n’est-ce pas…). Toujours est-il que l’étude de Kenneth Rogoff « redressée » aboutit au résultat suivant : en moyenne de longue période, les pays ayant une dette égale ou supérieure à 90% du PIB connaissent une croissance de 2,2%. On peut aussi conclure plus simplement que des pays dont la croissance est basse ont une dette publique forte, et non l’inverse ! 
Pour l‘heure, Mario Draghi n’est pas revenu sur ses calculs approximatifs et Keneth Rogoff maintient que ses erreurs arithmétiques ne faussent pas sa démonstration ! Plus grave : comme on l’a vu pour le FMI et son « multiplicateur fiscal »,  les leçons de ces bévues  manifestes de la BCE et de Rogoff, n’ont toujours pas été prise en compte par les pouvoirs politiques.  Et c’est ce qui nous interroge : pourquoi les pouvoirs politiques ne changent-ils pas de trajectoires lorsqu’on vient de leur démontrer qu’ils nous conduisent droit au fossé ? 
Ce blog Antibobards fut créé sur une intuition, partagée avec mon collègue et ami 
Nicolas Prissète, que l’économie était devenue non plus une science mais un réservoir de « storytelling », selon l’expression de  Christian Salmon.  En résumé, les chiffres et les études n’étaient pas destinées à autre chose qu’à justifier souvent  à posteriori des décisions politiques  contestables, sinon calamiteuses. Nous ne savions pas alors jusqu’à quel sommet d’ineptie nous serions confrontés…