Travailleurs détachés :
le retour du plombier polonais
Michel Sapin a dévoilé mercredi un plan de lutte
contre le dumping
des travailleurs européens à faible coût social.
L’argent n’a
pas de patrie ; les financiers n’ont pas de patriotisme et n’ont pas de décence
;
leur unique objectif est le gain.
Napoléon Bonaparte
Sur internet, les
agences spécialisées prospèrent. Intérim + Pologne ? En un clic, la solution
jaillit. "Nous vous proposons : la mise à disposition de travailleurs
intérimaires polonais, ce conformément à l'article
1262-1du Code du Travail, dit, par exemple, la page d'accueil de LM Europe,
officine basée à Cracovie. Vous n'avez aucune formalité à accomplir. Pas de
bulletin de salaire, pas de déclaration Urssaf, pas de cotisations sociales.
Les règlements se font sur la base d'une facture hebdomadaire." Il suffit
d'adresser une demande par mail pour engager maçons, aides-maçons, coffreurs,
gaineurs, calorifugeurs, plombiers, monteurs de maison en bois, charpentiers,
carreleurs, plaquistes... Et tout autre corps de métier du bâtiment.
"Nous vous fournissons du 'clés en
main', jure Nicolas Joly, l'intermédiaire français de LM Europe. Vous
ne payez rien en France, tout en Pologne, sauf les cotisations sociales qui
sont celles du pays en question, bien inférieures aux vôtres. Et nous vous
adressons une facture. Vous n'avez pas à payer les heures supplémentaires. Pour
nous, l'heure coûte 16 euros minimum, tout dépend de la qualification du
salarié. Chez vous, le minimum, c'est 28 euros. Nous avons des centaines de
clients. Ils sont tous satisfaits. Nous ne prenons pas le travail des Français,
c'est une main-d’œuvre que vous n'avez pas !"
Rémunérations inférieures au smic horaire
Pas de doute, le
plombier polonais est de retour. En toute légalité, et en vertu d'une directive
européenne totalement obsolète de 1996, des salariés polonais, mais aussi
roumains, hongrois, espagnols ou portugais sont ainsi exploités en France, en
Allemagne, en Belgique et au Luxembourg. On les appelle pudiquement les
"travailleurs détachés". En principe, ils triment aux conditions de
leur pays d'origine en touchant la rémunération du pays d'accueil pendant une
durée déterminée (vingt-quatre mois maximum). Dans la pratique, la fraude est
massive. Et les rémunérations, abusivement calculées en fonction du pays
d'origine, souvent nettement inférieures au smic horaire...
Combien sont-ils ? En
2011, la Commission européenne estimait leur nombre à 1,5 million en Europe,
dont 145.000 en France, en augmentation de 17% en un an. Crise oblige, le
mouvement s'est encore amplifié. Impossible d'obtenir des statistiques exactes,
tant le travail au noir est répandu. Mais certains spécialistes estiment que la
France recourt aujourd'hui à 300.000 salariés détachés.
"Esclaves modernes"
Les secteurs
privilégiés ? Le transport, le bâtiment et l'agroalimentaire. Pour le député
socialiste Gilles Savary coauteur d'un rapport sur ce sujet (1), ce sont des
"esclaves modernes". Ignorant de leurs droits, ne parlant pas la
langue du pays où ils travaillent, terrorisés par la peur de témoigner et
d'être ensuite licenciés, "ils peuvent dormir dans des hangars ou sur une
simple paillasse, être nourris de boîtes de conserve pendant des
semaines". Bref, ce sont des salariés low cost victimes du dumping social. Selon un
autre rapport, rédigé par le sénateur communiste Eric Bocquet (2), le nombre de
"travailleurs détachés", provenant essentiellement des pays d'Europe
de l'Est, a bondi de 45% depuis 2004 !
La controverse
suscitée par la directive Bolkestein, du nom de l'ancien commissaire européen à
l'union douanière, qui projetait de libéraliser l'offre de service au sein de
l'Union, n'a rien changé. En 2005, le spectre d'un dumping social généralisé
avait provoqué le rejet du projet de traité constitutionnel. Dans le même
mouvement, la proposition dite Bolkestein avait été retoquée... Un coup de
semonce dans un ciel européen déjà très chargé. Mais le business de la
main-d'oeuvre à "bas coût", lui, a continué de s'étendre en vertu de
la directive de 1996.
En France, le sujet qui fâche ressurgit avec la suppression de 900 emplois chez Gad, abattoir breton concurrencé par des opérateurs allemands qui ne garantissent aucun salaire minimum aux travailleurs venus de l'Est. Une concurrence déloyale ? Poussée par ses nouveaux alliés sociaux-démocrates, la chancelière va-t-elle enfin instaurer un smic "à la française" ? "Chez nous, explique l'économiste allemand Henrik Uterwedde, c'est un fait divers scandaleux qui a servi de déclic. En juin dernier, une baraque où logeaient des travailleurs polonais a brûlé. Il n'y a pas eu de blessés, mais l'opinion s'est révoltée."
En France, le sujet qui fâche ressurgit avec la suppression de 900 emplois chez Gad, abattoir breton concurrencé par des opérateurs allemands qui ne garantissent aucun salaire minimum aux travailleurs venus de l'Est. Une concurrence déloyale ? Poussée par ses nouveaux alliés sociaux-démocrates, la chancelière va-t-elle enfin instaurer un smic "à la française" ? "Chez nous, explique l'économiste allemand Henrik Uterwedde, c'est un fait divers scandaleux qui a servi de déclic. En juin dernier, une baraque où logeaient des travailleurs polonais a brûlé. Il n'y a pas eu de blessés, mais l'opinion s'est révoltée."
Trafic de main-d'oeuvre
En Belgique, l'alerte
est venue du transport routier. Une fédération patronale et une organisation
syndicale d'outre-quiévrain ont même créé "un syndicat
d'investigation", qui a repéré, vidéo à l'appui, les sociétés polonaises
qui "font du trafic de main-d’œuvre". Prochaine expédition, le
Portugal... Il y a urgence : le drame des travailleurs détachés s'annonce comme
l'un des points chauds des prochaines élections au Parlement européen, en mai.
"Comment voulez-vous que les citoyens aient une bonne image de la politique
commune s'ils constatent que ce genre de pratiques déloyales et prédatrices
sont tolérées par Bruxelles ?" s'interroge un parlementaire socialiste.
Laurent Dias les connaît bien, ces "esclaves
modernes". Voilà cinq ans que ce responsable CGT de la Fédération
nationale des Salariés de la Construction Auvergne sillonne les chantiers de la
région, distribuant des tracts en polonais, en hongrois, en portugais, voire en
mandarin, pour informer ces salariés de leurs droits. Il montre la fiche de
paie de l'un d'entre eux, d'origine portugaise. En février dernier, celui-ci
gagnait... 2,86 euros brut de l'heure, au lieu de 9,43 euros, le taux du smic horaire français ! Soit 410 euros par
mois. Son employeur, lui, dépensait 145 euros de cotisations sociales. C'est
tout.
En février dernier,
il neigeait sur Clermont-Ferrand. Impossible de travailler. Eh bien, le salarié
concerné n'a pas perçu d'indemnités pour cause d'intempéries. Il a attendu que
le beau temps revienne, chez lui, dans un mobile home qu'il louait avec
quelques camarades. L'an passé, Laurent Dias a croisé des employés polonais
rémunérés à la tâche. Imaginez qu'un jour l'un de ces travailleurs détachés
tombe malade. Il n'est pas couvert par une assurance maladie. "Dans ce
cas-là, explique le responsable CGT, son employeur l'emmène chez un médecin
qu'il paie au black et achète les médicaments." Un accident du travail ?
Retour au pays, illico.
"Oui à la concurrence, mais à la loyale !"
Comment sortir de ce cercle vicieux sans faire d'entorse à
la libre circulation des travailleurs européens ? Le 15 octobre, lors d'un
conseil des ministres de l'Emploi de l'Union, Michel
Sapin a refusé de
parapher une nouvelle directive destinée à "lutter contre les
détournements des règles du détachement en Europe". Comme d'ailleurs ses
homologues allemand, espagnol, luxembourgeois, belge et hollandais. Ce texte,
présenté par la présidence lituanienne, rendait "optionnelle" la
responsabilité du donneur d'ordre en cas de bavure. Pour le ministre français
du Travail, qui se veut le fer de lance des Européens sur ce sujet, cette
responsabilité doit être une obligation. En attendant le prochain conseil des
ministres de l'emploi des Vingt-Huit, en décembre, il multiplie les contrôles
sur le terrain français.
Et si les chefs
d'entreprise eux-mêmes montaient aujourd'hui au front ? "Oui à
la concurrence, mais à la loyale !" tempête Didier Ridoret,
président de la Fédération nationale du Bâtiment, qui compte parmi ses
adhérents Bouygues et Vinci, les principaux maîtres-d'œuvre
français - interrogés, ils n'ont pas souhaité nous répondre. "Demain, poursuit-il, si ça continue,
c'est le secteur du bâtiment tout entier qui va se casser la figure." La
Fédération a d'ailleurs lancé, le 4 novembre, une pétition à l'intention des
autorités européennes pour que la prochaine directive soit ferme et sans
ambiguïtés.
Enquête en cours
Bouygues et EDF en
ont gardé un souvenir cuisant. En 2006, quand a démarré la construction de la
centrale nucléaire de Flamanville, dans la Manche, Atlanco, un sous-traitant de
Bouygues, était chargé de l'ingénierie civile de l'imposant complexe. Or cette
société, basée en Irlande, avait créé une filiale à Chypre... pour envoyer des
ouvriers polonais sur le chantier, avec un contrat de travail rédigé en anglais
! Le trafic a duré plusieurs années. Et puis, de bouche à oreille, la vérité
s'est ébruitée. L'Urssaf s'en est mêlée. Une
enquête a été ouverte auprès du procureur de
la République. Elle est toujours en cours, mais, entre-temps, les organisations
syndicales et EDF ont rédigé un guide, désormais distribué à chaque nouvel
entrant, qui détaille ses droits.
"C'était insupportable
pour l'image de marque des deux boîtes, dit Jean-François Sobecki, coordinateur
CGT des chantiers nucléaires. Et qu'on ne vienne pas nous dire que les Français
ne voulaient pas de ces boulots-là. Un bus de l'emploi a circulé à l'époque
dans toute la Manche. Aucun des candidats locaux n'avait été retenu." En
période de chômage de masse, la bombe devrait être désamorcée d'urgence, sinon
gare...
Ces « gens-là » n'ont jamais renoncé.
Utilisant désormais les leviers
financiers, Une
caste confisque les fruits des efforts de tous,
Collectivisant les pertes et privatisant les
bénéfices,
Ils ont simplement changé d'échelle. Elle est désormais planétaire. Et ils se
gavent.
Face à cela, la gauche, qui n'a rien appris en plus de cent ans.
Rien.
Ni sur le fond, ni sur les méthodes, encore moins sur
la nécessité de la morale dans l'action.
Danielle
Mitterrand
(1) "Le détachement des travailleurs : cheval de Troie du
travailleur low cost",
avec la députée socialiste Chantal Guittet et le député UDI Michel Piron.
(2) "Le travailleur détaché, un salarié low cost ?"
(2) "Le travailleur détaché, un salarié low cost ?"