Harlem Désir massacré sur
Canal Plus :
Le "Grand journal",
une machine à tuer le PS ?
LE PLUS. Antoine de Caunes et ses chroniqueurs du "Grand journal" n'ont pas épargné Harlem Désir, Premier secrétaire du PS, invité sur le plateau de Canal Plus jeudi 14 novembre. Deux jours plus tôt, le même sort avait été réservé au ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll. Pour notre chroniqueur politique Bruno Roger-Petit, ces faits sont le signe de la faiblesse politique et médiatique des socialistes.
"Reprenons
la parole. Reprenons-la à ceux qui nous saoulent,
Qui nous étourdissent, avec leurs bavardages,
Leurs radotages nombrilistes.
Reprenons la parole, sinon nous serons prisonniers
Reprenons la parole, sinon nous serons prisonniers
De ce haut rideau d’épines et nous serons derrière des
acteurs
à la langue
coupée…"
René Char.
René Char.
Le "Grand journal" d'Antoine de Caunes n'est pas
le "piège à cons" que
dénonce Véronique Genest, mais, à n'en pas douter, il est devenu un
piège à socialistes, voire une machine à tuer le PS.
Ce jeudi passé, l'actuel Premier secrétaire du PS, Harlem
Désir, en a fait l'amère expérience, dévoré, broyé, écrasé, dispersé façon
puzzle par la machine "Grand journal", deux jours après que le même
sort ait été réservé à Stéphane Le Foll. Et quatre jours après que
Jean-François Copé, président de l'UMP, y ait été encensé en tant que grand
écrivain.
Selon que tu seras socialiste ou UMP, les jugements du
"Grand journal" varieront.
Un séquençage de l'émission cruel pour
l'invité
Harlem Désir a donc été passé à tabac télévisuel dans
l'émission d'Antoine de Caunes. À peine assis sur le plateau, il a vu
s'enchaîner les séquences hostiles, cruelles, injustes parfois, les unes après
les autres, comme autant de coup de massue infligés sur son fragile crâne de
Premier secrétaire.
Dans l'ordre d'apparition en scène, voici ce à quoi le
Premier secrétaire du PS s'est retrouvé soumis durant quarante minutes.
1. L'introduction
d'Antoine de Caunes
"Cela fait cinq ans que vous êtes sacré 'Langue de bois d'or' par
les journalistes... Vous cherchez un nouveau job ?"
Et
Jean-Michel Aphatie d'enchaîner :
"Ça chauffe un peu, non ?"
Et
Harlem Désir, de faire de la langue de bois, parce qu'il n'a pas le choix. Et
de Caunes de continuer :
"Vous me jurez sur la tête de
Jean-Marc Ayrault qu'il n'y a pas de problème ?"
Et
Aphatie de conclure :
"Le couple Désir/Hollande ne va
pas très bien."
Et
Jeannette Bougrab, ancienne ministre UMP de Nicolas Sarkozy, de conclure :
"On a le sentiment que le PS n'est
pas à la hauteur..."
2. L'arrivée
d'un patron en colère sur le plateau
Antoine
de Caunes demande à Harlem Désir s'il sait combien d'entreprises de proximité
ferment en France. Et Harlem Désir ne sait pas. Et de Caunes connait la
réponse, lui : "53.000 depuis un
an".
Et
de diffuser un clip de propagande réactionnaire de l'Union professionnelle
artisanale où l'on voit un affreux fonctionnaire venir signifier à un
petit commerçant qu'au nom de la République son entreprise doit être
sacrifiée. Et pourquoi le
"Grand journal" reprend-il ce clip de propagande comme s'il était
parole d'évangile ?
Et de Caunes demande à Désir ce qu'il peut dire à ces petits
patrons écrasés par les impôts et les charges. Et Aphatie sourit ironiquement.
Et Marc Fiorentino, président d'Euroland,
de dire que la colère des petits patrons est "légitime". Et Harlem Désir est de plus en plus cerné,
entre de Caunes, Fiorentino, Aphatie et Bougrab.
Et
il s'y connait, Fiorentino, en petits commerces et artisans, puisqu'Euroland finance, qu'il préside, "accompagne les entreprises de
croissances et leurs actionnaires financiers
lors d'opérations financières telles que : levée de fonds (capital et dette),
introduction en bourse, acquisition ou cession, recomposition de capital (OBO,
LBO…)"
Et
Harlem Désir ne dit même pas que cet avocat des "petits patrons" est
un financier, un boursier qui n'a que peu à voir avec ce qu'il prétend défendre
et que le "Grand journal" se moque du monde.
Et de Caunes enchaîne. Et de causer "hausse de la TVA", contestée par des socialistes
eux-mêmes, conscients du ras-le-bol fiscal. Et Karim Rissouli de balancer la
séquence. Et de diffuser des images d'un socialiste en campagne, pour les municipales
à Melun. Et de montrer ce socialiste, François Kalfon, dire à des petites gens
mécontents "Moi quand j'ai reçu ma
feuille d'impôts, j'ai eu l'impression qu'une enclume est tombée sur mon
épaule".
Et Karim Rissouli de dire "la hausse de la TVA, ça énerve pas mal de monde à gauche en ce
moment". Et Harlem Désir de se débattre, et de s'entendre sermonner
par Antoine de Caunes, inflexible : "Pas
de langue de bois Harlem Désir !"
3. L'arrivée
du commissaire Venère, automobiliste en colère
C'est
le coup de grâce. Et de parler de la pression fiscale aggravée par les contraventions qui frappent les
automobilistes. Et Harlem Désir n'y
est pour rien, mais le séquencement du "Grand journal" l'accable.
Et Harlem Désir, le socialiste, est
responsable de tout, même des contraventions. Et le commissaire Vénère
parle de "matraquage".
Et l'image de monter le pauvre Harlem Désir, encadré par le
patron en colère et l'automobiliste en colère. Le socialiste est désormais bel et bien encerclé par la France des décideurs
en colère. De Caunes, Aphatie, le patron, l'automobiliste... Et Harlem
Désir n'ose pas faire ce qu'il devrait faire : déconstruire l'émission, la
dénoncer comme un piège. Et Harlem Désir subit, subit, subit...
Les
Ceaucescu avaient plus de chance de se défendre lors de leur ultime procès
qu'Harlem Désir face aux juges et témoins du "Grand journal".
Ce qui est frappant, c'est que deux jours auparavant, le "Grand journal" avait réservé un
sort identique au ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, selon un
processus identique.
Un enchaînement de séquences accablantes se terminant par
l'encerclement physique du socialiste, entre Natacha Polony du Figaro, victime
de la gauche, venue se défendre en majesté contre des contradicteurs que l'on
avait pas conviés et inlassable procureur de cette même gauche bien-pensante et
boboïsante au pouvoir qui brade l'identité nationale et le camembert, et Bruno
Gaccio, homme de gauche patenté se plaignant que Stéphane Le Foll appartienne à
un gouvernement qui passe son temps à trahir la gauche.
Ce qui est frappant, soyons justes, c'est que la veille, un
socialiste avait été bien traité par le "Grand journal", avec
empathie et sympathie. Mais il est vrai qu'il s'agissait de Malek Boutih, venu
dire là tout le mal qu'il pensait de Jean-Marc Ayrault, dont il réclame le départ, et du gouvernement, dont il réclame le changement.
Amateurisme et improvisation
Ce qui est frappant, enfin, c'est que trois jours auparavant, Jean-François Copé, président de l'UMP, s'était
vu épargné un traitement à la Désir-Le Foll. Les questions, un peu
dérangeantes, mais pas trop, avaient été posées poliment. Antoine de Caunes
n'avait pas lancé à l'invité "Pas de langue de bois, Jean-François Copé
!" Et Jeannette Bougrab, ancienne
ministre de l'UMP, avait souri, souri, souri...
Et puis, surtout, le "Grand journal", par l'entremise
de son chroniqueur littéraire, Augustin Trapenard, avait évoqué le livre que le
président de l'UMP consacre à la Première Guerre mondiale.
Jean-François
Copé avait eu de la chance, le chroniqueur avait aimé ce livre
sur la Bataille de la Marne, qu'il
présentait comme l'égal (ou peu s'en faut) des livres de Barbusse, Genevoix ou
Hemingway.
"C'est un beau
livre", "ce sursaut héroïque mené par le général
Joffre", "le livre analyse de
façon très didactique", "ce moment, ce grand moment...", "c'est une très bonne idée,
Jean-François Copé, d'avoir choisi ce miracle de la Marne comme angle, et je
vous en remercie". "Eh ben,
c'est gentil", avait répondu Copé, "Ça me touche beaucoup"...
Tu m'étonnes !
"Mais
pourquoi cette différence de traitement ?", se demanderont les honnêtes
gens. La réponse est simple. Jean-François Copé, c'est la droite, le
pouvoir, la légitimité, et c'est aussi la maîtrise de la communication.
Jean-François Copé fait peur. Jean-François Copé intimide,
par nature. Harlem Désir et Stéphane Le
Foll, eux, ne sont que des socialistes. La gauche, ce n'est pas le pouvoir
et la légitimité. La gauche, ça fait marrer, ça ne fait pas peur.
D'ailleurs, s'ils incarnaient ce qu'incarne Copé, Désir et
Le Foll ne laisseraient pas maltraiter de la sorte par le "Grand
journal" d'Antoine de Caunes. Et s'ils se décidaient, enfin, à se plier
aux exigences de la communication moderne afin de se sortir de leur univers
médiatique 1984, ils ne s'en porteraient que mieux.
En
cela, le "Grand journal", émission de télévision, machine à tuer le
PS, est le révélateur de l'époque. Quand bien même la gauche est parvenue au
pouvoir en 1981, 1988, 1997 et 2012, elle reste un accident de l'histoire,
sans autorité ni légitimité, un accident qui ne sait même pas faire de
télé. Avec la gauche, tout est permis, parce qu'elle l'autorise.
En vérité, le premier procès du système de représentation de
la vie publique dont le "Grand journal" est la synthèse, ce n'est pas
à l'encontre d'Antoine de Caunes et de sa bande qu'il faut l'instruire, mais à
l'encontre des socialistes eux-mêmes, victimes d'une faiblesse politique et
médiatique qu'ils entretiennent à force d'amateurisme, d'improvisation et
surtout, pire que tout, de faiblesse.
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