jeudi 28 novembre 2013

Le "Grand journal", une machine à tuer le PS ?



Harlem Désir massacré sur Canal Plus :
Le "Grand journal", une machine à tuer le PS ?
Par 
Chroniqueur politique

LE PLUS. Antoine de Caunes et ses chroniqueurs du "Grand journal" n'ont pas épargné Harlem Désir, Premier secrétaire du PS, invité sur le plateau de Canal Plus jeudi 14 novembre. Deux jours plus tôt, le même sort avait été réservé au ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll.            Pour notre chroniqueur politique Bruno Roger-Petit, ces faits sont le signe de la faiblesse politique et médiatique des socialistes.




"Reprenons la parole. Reprenons-la à ceux qui nous saoulent,
Qui nous étourdissent, avec leurs bavardages,
Leurs radotages nombrilistes.

Reprenons la parole, sinon nous serons prisonniers
De ce haut rideau d’épines et nous serons derrière des acteurs
 à la langue coupée…"


René Char.

Le "Grand journal" d'Antoine de Caunes n'est pas le "piège à cons" que dénonce Véronique Genest, mais, à n'en pas douter, il est devenu un piège à socialistes, voire une machine à tuer le PS.

Ce jeudi passé, l'actuel Premier secrétaire du PS, Harlem Désir, en a fait l'amère expérience, dévoré, broyé, écrasé, dispersé façon puzzle par la machine "Grand journal", deux jours après que le même sort ait été réservé à Stéphane Le Foll. Et quatre jours après que Jean-François Copé, président de l'UMP, y ait été encensé en tant que grand écrivain.

Selon que tu seras socialiste ou UMP, les jugements du "Grand journal" varieront.

Un séquençage de l'émission cruel pour l'invité

Harlem Désir a donc été passé à tabac télévisuel dans l'émission d'Antoine de Caunes. À peine assis sur le plateau, il a vu s'enchaîner les séquences hostiles, cruelles, injustes parfois, les unes après les autres, comme autant de coup de massue infligés sur son fragile crâne de Premier secrétaire.

Dans l'ordre d'apparition en scène, voici ce à quoi le Premier secrétaire du PS s'est retrouvé soumis durant quarante minutes.

1. L'introduction d'Antoine de Caunes

"Cela fait cinq ans que vous êtes sacré 'Langue de bois d'or' par les journalistes... Vous cherchez un nouveau job ?"

Et Jean-Michel Aphatie d'enchaîner :

"Ça chauffe un peu, non ?"

Et Harlem Désir, de faire de la langue de bois, parce qu'il n'a pas le choix. Et de Caunes de continuer :

"Vous me jurez sur la tête de Jean-Marc Ayrault qu'il n'y a pas de problème ?"

Et Aphatie de conclure :

"Le couple Désir/Hollande ne va pas très bien."

Et Jeannette Bougrab, ancienne ministre UMP de Nicolas Sarkozy, de conclure :

"On a le sentiment que le PS n'est pas à la hauteur..."

2. L'arrivée d'un patron en colère sur le plateau

 Antoine de Caunes demande à Harlem Désir s'il sait combien d'entreprises de proximité ferment en France. Et Harlem Désir ne sait pas. Et de Caunes connait la réponse, lui : "53.000 depuis un an".

Et de diffuser un clip de propagande réactionnaire de l'Union professionnelle artisanale où l'on voit un affreux fonctionnaire venir signifier à un petit commerçant qu'au nom de la République son entreprise doit être sacrifiée. Et pourquoi le "Grand journal" reprend-il ce clip de propagande comme s'il était parole d'évangile ?

Et de Caunes demande à Désir ce qu'il peut dire à ces petits patrons écrasés par les impôts et les charges. Et Aphatie sourit ironiquement. Et Marc Fiorentino, président d'Euroland, de dire que la colère des petits patrons est "légitime". Et Harlem Désir est de plus en plus cerné, entre de Caunes, Fiorentino, Aphatie et Bougrab.

Et il s'y connait, Fiorentino, en petits commerces et artisanspuisqu'Euroland finance, qu'il préside, "accompagne les entreprises de croissances et leurs actionnaires financiers lors d'opérations financières telles que : levée de fonds (capital et dette), introduction en bourse, acquisition ou cession, recomposition de capital (OBO, LBO…)"

Et Harlem Désir ne dit même pas que cet avocat des "petits patrons" est un financier, un boursier qui n'a que peu à voir avec ce qu'il prétend défendre et que le "Grand journal" se moque du monde.

Et de Caunes enchaîne. Et de causer "hausse de la TVA", contestée par des socialistes eux-mêmes, conscients du ras-le-bol fiscal. Et Karim Rissouli de balancer la séquence. Et de diffuser des images d'un socialiste en campagne, pour les municipales à Melun. Et de montrer ce socialiste, François Kalfon, dire à des petites gens mécontents "Moi quand j'ai reçu ma feuille d'impôts, j'ai eu l'impression qu'une enclume est tombée sur mon épaule".

Et Karim Rissouli de dire "la hausse de la TVA, ça énerve pas mal de monde à gauche en ce moment". Et Harlem Désir de se débattre, et de s'entendre sermonner par Antoine de Caunes, inflexible : "Pas de langue de bois Harlem Désir !"



3. L'arrivée du commissaire Venère, automobiliste en colère

C'est le coup de grâce. Et de parler de la pression fiscale aggravée par les contraventions qui frappent les automobilistes. Et Harlem Désir n'y est pour rien, mais le séquencement du "Grand journal" l'accable. Et Harlem Désir, le socialiste, est responsable de tout, même des contraventions. Et le commissaire Vénère parle de "matraquage".

Et l'image de monter le pauvre Harlem Désir, encadré par le patron en colère et l'automobiliste en colère. Le socialiste est désormais bel et bien encerclé par la France des décideurs en colère. De Caunes, Aphatie, le patron, l'automobiliste... Et Harlem Désir n'ose pas faire ce qu'il devrait faire : déconstruire l'émission, la dénoncer comme un piège. Et Harlem Désir subit, subit, subit...
Les Ceaucescu avaient plus de chance de se défendre lors de leur ultime procès qu'Harlem Désir face aux juges et témoins du "Grand journal".

Ce qui est frappant, c'est que deux jours auparavant, le "Grand journal" avait réservé un sort identique au ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, selon un processus identique.

Un enchaînement de séquences accablantes se terminant par l'encerclement physique du socialiste, entre Natacha Polony du Figaro, victime de la gauche, venue se défendre en majesté contre des contradicteurs que l'on avait pas conviés et inlassable procureur de cette même gauche bien-pensante et boboïsante au pouvoir qui brade l'identité nationale et le camembert, et Bruno Gaccio, homme de gauche patenté se plaignant que Stéphane Le Foll appartienne à un gouvernement qui passe son temps à trahir la gauche.

Ce qui est frappant, soyons justes, c'est que la veille, un socialiste avait été bien traité par le "Grand journal", avec empathie et sympathie. Mais il est vrai qu'il s'agissait de Malek Boutih, venu dire là tout le mal qu'il pensait de Jean-Marc Ayrault, dont il réclame le départ, et du gouvernement, dont il réclame le changement.

Amateurisme et improvisation

Ce qui est frappant, enfin, c'est que trois jours auparavant, Jean-François Copé, président de l'UMP, s'était vu épargné un traitement à la Désir-Le Foll. Les questions, un peu dérangeantes, mais pas trop, avaient été posées poliment. Antoine de Caunes n'avait pas lancé à l'invité "Pas de langue de bois, Jean-François Copé !" Et Jeannette Bougrab, ancienne ministre de l'UMP, avait souri, souri, souri...





Et puis, surtout, le "Grand journal", par l'entremise de son chroniqueur littéraire, Augustin Trapenard, avait évoqué le livre que le président de l'UMP consacre à la Première Guerre mondiale.

Jean-François Copé avait eu de la chance, le chroniqueur avait aimé ce livre sur la Bataille de la Marne, qu'il présentait comme l'égal (ou peu s'en faut) des livres de Barbusse, Genevoix ou Hemingway.

"C'est un beau livre", "ce sursaut héroïque mené par le général Joffre", "le livre analyse de façon très didactique", "ce moment, ce grand moment...", "c'est une très bonne idée, Jean-François Copé, d'avoir choisi ce miracle de la Marne comme angle, et je vous en remercie". "Eh ben, c'est gentil", avait répondu Copé, "Ça me touche beaucoup"...

Tu m'étonnes !

"Mais pourquoi cette différence de traitement ?", se demanderont les honnêtes gens. La réponse est simple. Jean-François Copé, c'est la droite, le pouvoir, la légitimité, et c'est aussi la maîtrise de la communication.

Jean-François Copé fait peur. Jean-François Copé intimide, par nature. Harlem Désir et Stéphane Le Foll, eux, ne sont que des socialistes. La gauche, ce n'est pas le pouvoir et la légitimité. La gauche, ça fait marrer, ça ne fait pas peur.

D'ailleurs, s'ils incarnaient ce qu'incarne Copé, Désir et Le Foll ne laisseraient pas maltraiter de la sorte par le "Grand journal" d'Antoine de Caunes. Et s'ils se décidaient, enfin, à se plier aux exigences de la communication moderne afin de se sortir de leur univers médiatique 1984, ils ne s'en porteraient que mieux.

En cela, le "Grand journal", émission de télévision, machine à tuer le PS, est le révélateur de l'époque. Quand bien même la gauche est parvenue au pouvoir en 1981, 1988, 1997 et 2012, elle reste un accident de l'histoire, sans autorité ni légitimité, un accident qui ne sait même pas faire de télé. Avec la gauche, tout est permis, parce qu'elle l'autorise.

En vérité, le premier procès du système de représentation de la vie publique dont le "Grand journal" est la synthèse, ce n'est pas à l'encontre d'Antoine de Caunes et de sa bande qu'il faut l'instruire, mais à l'encontre des socialistes eux-mêmes, victimes d'une faiblesse politique et médiatique qu'ils entretiennent à force d'amateurisme, d'improvisation et surtout, pire que tout, de faiblesse.


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