dimanche 28 juillet 2013

chronique politicologue-judiciaire









Partis politiques alimentés par des dessous-de-table, rétrocommisions, financements occultes... 
La chronique politicologue-judiciaire le démontre 
à chaque enquête
 ou mise en examen de membres de la Sarkozye : 
l'argent reste le plus petit dénominateur commun de la politique.



C'est comme dans un opéra de Wagner. Au tréfonds de la plupart des « affaires » qui défraient la chronique politico-judiciaire, on trouve le même leitmotiv : le rapport de la Sarkozye à l'argent. Moins, apparemment, le « fric » qui permet de se sucrer soi-même (sauf, peut-être, dans le cas de Claude Guéant) que celui qui favorise la conquête du pouvoir... et dont le coffre-fort originel se trouve à Neuilly, dont Sarkozy fut maire, et dans les Hauts-de-Seine - ghetto du gotha - où résident aussi bien Martin Bouygues que Liliane Bettencourt, le flambeur Patrick Balkany que l'entremetteur Jacques Séguéla, ou même Jacques Attali, qui fera profiter le futur président de la République de ses lumières.

Toutes ces embrouilles, dont nous rassasie une actualité compulsive qui côtoie sans cesse le fait divers, affichent une apparente complexité qui décourage la mise en perspective rationnelle, tout en réveillant beaucoup de fantasmes. Elles sont, cependant, d'une parfaite cohérence et, finalement, d'une transparente simplicité. C'est ce que Marianne entend, ici, démontrer.

TOUT COMMENCE EN ARABIE SAOUDITE
On ne s'empare pas de la ville de Neuilly, cette caverne d'Ali Baba, au nez et à la barbe de Charles Pasqua en personne - ses filières corses et ses réseaux africains - sans s'être mis dans la poche quelques détenteurs nationaux et cosmopolites du « nerf de la guerre ». Histoire de préparer l'avenir. D'autant que, jusqu'en 1994, le petit clan Sarkozy, au sein duquel naviguaient déjà un Thierry Gaubert ou un Brice Hortefeux (qui habitent Neuilly), ne représentait qu'une filiale du système Chirac, qui s'appuyait sur la Mairie de Paris. Chacun rackettait de son côté et on mettait au pot.

Les choses sérieuses commencent quand la filiale en question, celle des Hauts-de-Seine, entraînant tout naturellement les Devedjian, Pasqua, Balkany, Ceccaldi-Raynaud, et autre Aeschlimann dans son sillage, s'engouffre dans le complot qui consiste à larguer un Chirac jugé « cuit » pour le remplacer par un Balladur labellisé « moderne ». Alors ministre du Budget, Nicolas Sarkozy est l'âme de la conspiration : c'est lui qui mobilise le gratin du capitalisme et de la finance, en commençant par ses amis de Neuilly, en faveur du très avantageux « Edouard ». On remarquera, d'ailleurs, que les élus du XVIe arrondissement de Paris rallient Balladur - et Sarkozy - comme ceux des Hauts-de-Seine ou des Alpes-Maritimes. L'argent a choisi son camp.

FAIRE FRUCTIFIER LE MAGOT

Mais Chirac résiste. Il garde le contrôle de l'appareil RPR, et donc du trésor de guerre du parti néogaulliste, largement alimenté par les « dessous-de-table » que les grandes sociétés de services - Lyonnaise des eaux et Générale des eaux, en particulier - doivent verser à la Chiraquie pour obtenir des marchés publics. A quoi s'ajoute - merci, Bongo ! - la manne africaine (Gabon, Togo, Cameroun), les générosités du Libano-Saoudien Hariri et même, un temps, des apports occultes de l'Irak de Saddam Hussein.

Les sarko-balladuriens comment à s'inquiéter. Comment faire fructifier leur propre magot pour rééquilibrer cette force de frappe ? On phosphore. Heureusement, on a Charles Pasqua au ministère de l'Intérieur, qui a prise sur des officines de vente de matériel de surveillance policière, François Léotard à la Défense, qui a confié à son ami Jacques Douffiagues la société d'Etat qui gère les ventes d'armes, Nicolas Sarkozy au Budget, qui peut donner son aval à certaines opérations nécessitant versement de commissions (au début, d'ailleurs, il hésite, mis en garde par certains cadres de son ministère), et on dispose de relais qui organisent, à la barbe de Chirac, des déplacements « non officiels » en Arabie saoudite. De leurs côtés, les caciques du Parti républicain, fervents soutiens de Balladur, connaissent des intermédiaires libano-saoudiens capables de faire pièce à ceux qu'utilisent les chiraquiens.

C'est ainsi qu'aurait été mis sur pied le système consistant à se brancher sur de juteux marchés (avec l'Arabie saoudite ou le Pakistan), à introduire dans le jeu de nouveaux intermédiaires amis, dont le fameux Ziad Takieddine, et à faire gonfler leurs « commissions » pour en redistribuer une petite partie, sous forme de rétrocommissions, aux organisateurs de la campagne présidentielle de Balladur. Ceux-ci auraient ainsi envoyé leurs factotums réceptionner, dans des banques de Genève, des petites valises remplies de liasses de billets de 500 F. « Le bruit courait parmi nous qu'il y avait des armoires remplies de liasses de billets », nous a même confié un protagoniste de cette aventure. Une partie de ces sommes sera ensuite blanchie par une société off-shore luxembourgeoise, Heine, dont le ministre du Budget, Nicolas Sarkozy, a surveillé la création et la dissolution. Conclusion d'Alain Madelin : « Dans ces affaires, celui qui compte, c'est celui qui a la signature. »

C'est à cette époque, notons-le, que Bernard Tapie, lessivé à la suite de ses multiples ennuis judiciaires, commence à travailler au corps le responsable de nos finances, négociant un éventuel ralliement à sa cause contre un coup de pouce pour sauver ses finances à lui. On sait que Chirac réélu, épaulé en cela par Dominique de Villepin, ressaisira la filière des relations financières avec l'Arabie saoudite et annulera les surcommissions consenties aux militaires pakistanais. Cela fut-il la cause de l'attentat de Karachi dont 13 Français furent victimes ? On ne saurait objectivement l'affirmer.

Balladur battu, Sarkozy est, un temps, mis à l'écart. Puis repêché et réhabilité en 2002. Installé au ministère de l'Intérieur, il repart, alors, à la conquête du pouvoir. Toujours contre Chirac, mais, cette fois, pour son propre compte. Et, tout naturellement - car le pot aux roses n'a pas encore été découvert -, il réactive les méthodes et les réseaux qui avaient été mis en branle du temps de la campagne Balladur. Echaudés, les Saoudiens rechignent à replonger dans ces embrouilles. L'émir du Qatar est moins réservé. Surtout, Kadhafi - que Brice Hortefeux mais avant tout Claude Guéant ont mis en condition - flaire (ou du moins il le croit) la bonne affaire. On y reviendra.

RÉVÉLATIONS GÊNANTES
En attendant, on mobilise les grosses et moyennes fortunes, presque toutes acquises à la cause sarkozyste : Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Arnaud Lagardère, Serge Dassault, et tutti quanti. On crée un club « privilège » ouvert aux « donneurs émérites ». On leur promet l'instauration du fameux « bouclier fiscal » et ils auront droit, après les élections victorieuses, à des rencontres régulières avec le président de la République ou avec son ministre du Budget, Eric Woerth. Le trésorier du parti et du candidat Sarkozy réunit même à Genève les exilés fiscaux, gros fraudeurs pour la plupart, et leur promet, contre leur écot, en cas de victoire, des initiatives qui leur feront « très plaisir ». Ce qui aura une conséquence : lorsque le même Eric Woerth, devenu ministre du Budget, prendra des mesures, fussent-elles timides, contre la fraude fiscale, le responsable UMP du secteur « banques suisses » s'estimera trahi et commencera à faire des révélations gênantes.

C'est dans ce cadre qu'il faut replacer « l'affaire Bettencourt » : la richissime héritière habite Neuilly. Son défunt mari, bien qu'homme de droite et ancien pétainiste, copinait avec François Mitterrand, ce pourquoi il graissait quelques pattes socialistes. La veuve, elle, ne s'embarrasse pas de ces finesses. Elle en pince pour Sarkozy, désire passionnément son élection. Son homme de confiance, Patrice de Maistre, fait partie du club des gros donateurs UMPistes, le célèbre « premier cercle ». Il n'y a donc nullement besoin de « harceler » la vieille dame, encore moins d'« abuser de sa faiblesse ».

Elle raque sans difficulté et en toute conscience. Simplement, il faut dissimuler qu'elle verse à la cause de son champion des sommes beaucoup plus importantes que ne le permet la législation sur le financement politique. Ce pourquoi Patrice de Maistre multiplie les retraits bancaires destinés à remettre des enveloppes d'argent liquide à Eric Woerth, le trésorier de la campagne de Sarkozy. Le délai de prescription étant passé, la manip ne tombe plus sous le coup de la loi. Aucune escroquerie condamnable là-dedans. Non-lieu presque assuré.

FINANCEMENTS PARALLÈLES

L'affaire Tapie est différente. Ici, contrairement à ce qu'on insinue dans certains milieux, ce n'est pas Sarkozy (ou le Sarkoland) qui reçoit... mais Sarkozy qui fait donner. En récompense de quoi ? Du ralliement de l'ancien ministre de Mitterrand à sa cause ? Il y accorde, en effet, non sans raison, la plus haute importance. Ce ralliement en entraînera d'ailleurs d'autres, comme celui de Bernard Kouchner. Mais davantage qu'un hypothétique renvoi d'ascenseur politique, cette alliance marque autre chose : c'est, en quelque sorte, le monde de l'argent qui se réunifie. Le gros cigare fusionne avec la Rolex. Depuis longtemps, Alain Minc a pris le vent, comme le prendront Jacques Séguéla ou Michel Charasse. Tapie va à Sarko ; il a failli aller à DSK. Euro RSCG, l'agence de com de Stéphane Fouks et de Jacques Séguéla, fait la synthèse. Toute la sphère dorée sur tranche bascule du côté du maire de cette Mecque qu'est Neuilly.

Le coup de main que donne Tapie à un homme qu'il fréquente depuis longtemps, à sa façon entraînante, destructrice pour Ségolène Royal, compte beaucoup pour Sarkozy. Les deux stars se fascinent mutuellement. Leur côté caïds de banlieue, tchatcheurs, rouleurs de mécaniques, voyous sur les bords, les rapproche. D'où la consigne que donne le nouveau président de la République (dès juin 2007) à toute sa cour et maisonnée : arrangez-vous, il faut lui régler ses affaires au mieux. Comment ? En lui faisant concocter un « arbitrage » aux petits oignons (l'idée est de Tapie lui-même). Au fond, ce n'est pas plus compliqué que cela... Et ça passe d'autant mieux que la cause du Crédit lyonnais n'est pas elle-même immaculée.

Il faut bien l'admettre : Karachi, Bettencourt, Tapie..., aucune de ces « affaires » n'est susceptible de ruiner les projets de retour de Nicolas Sarkozy. Le rôle éventuellement joué par le dictateur libyen Kadhafi dans le financement de sa campagne électorale de 2007 est, en revanche, d'une tout autre nature. Les sarkolâtres scandent en boucle : « Aucune preuve ! », tout en reconnaissant, en privé, que le soupçon les assaille. Aucune preuve ? Rappelons-le : du racket des sociétés de services par la Mairie de Paris, des « subventions occultes » distribuées (beaucoup au RPR, un peu au PS) par la société pétrolière Elf, des petites valises rapatriées depuis le Gabon, des douceurs dispensées par Saddam Hussein, il n'y eut jamais de preuves absolues non plus. Même la cassette vidéo dans laquelle l'entrepreneur et l'entremetteur Jacques Méry racontait tout ne constituait pas une preuve absolue...

Le premier à avoir évoqué avec sidération, au lendemain de l'intervention française en Libye, l'aide financière apportée par le « guide » à la campagne de Sarkozy fut le fils préféré de Kadhafi, Saïf al-Islam : « Comment peut-il nous faire ça après ce qu'on lui a donné ? » Remarquons qu'il ne prétendit nullement avoir arrosé les Anglais, les Italiens ou les Américains, interventionnistes eux aussi. Notons que des journalistes algériens ont découvert, en Libye, des preuves que Kadhafi était très généreux avec les politiques qui pouvaient lui renvoyer l'ascenseur. Qu'il subventionna l'IRA irlandaise, l'ETA basque et arrosa même une revue française proche du PSU.

DES PREUVES ENVOLÉES

Mais tout cela ne constitue pas une preuve. Aucune démarche ne fut entreprise par la France pour auditionner Saïf al-Islam et le forcer à étayer ses accusations. Mais cela ne vaut pas preuve. Ensuite, l'ex-Premier ministre de Kadhafi confirma les affirmations du fiston : ce n'était pas une preuve. L'ex-ministre des Affaires étrangères, l'ex-responsable des services secrets et un ex-conseiller confirmèrent à leur tour : ce n'était pas une preuve. L'ex-interprète de Kadhafi soutint que le guide lui avait parlé de la chose : ce n'était pas une preuve.

L'intermédiaire Ziad Takieddine, qui sait de quoi il parle, abonda dans le même sens et ajouta que des preuves solides existaient : mais ne les montra pas. Un industriel, en conflit avec Vincent Bolloré, et qui avait été en affaires avec les Libyens, raconta la même histoire : mais il n'était pas franc du collier. Un document accusateur fut exhibé : mais il était suspect... La preuve ? Un homme est en situation de la détenir, il s'appelle... Bachir Saleh. Il fut directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi. C'est lui qui négocia avec Claude Guéant, le directeur de cabinet de Sarkozy. Qui négocia quoi ? Précisément le soutien financier libyen à la campagne sarkozyste de 2007, selon Takieddine et quelques autres. Ce Saleh pourrait fournir la preuve.

UN TÉMOIN VOLATILISÉ
Où est-il ? On ne sait. Quand le régime Kadhafi s'effondra, alors qu'il était visé par un mandat d'arrêt international, Guéant le fit subrepticement exfiltrer et « protéger » en France. Puis, à la veille du second tour de l'élection présidentielle, on chargea nos services spéciaux de le transférer sous d'autres cieux. Il se serait alors réfugié en Afrique du Sud. Il paraît que ça n'est pas une preuve... Pas plus que les 500 000 € miraculeusement apparus sur les comptes de Claude Guéant, et dont chacun sait que c'est le prix auquel il vendit, à un mystérieux avocat malaisien, deux croûtes d'un peintre flamand du XVIIe siècle qui en valaient 10 000...

Un Claude Guéant très introduit en Libye, on le sait, et tellement utile que, dès 2002, Sarkozy, ministre de l'Intérieur de Chirac, lui permit d'ajouter quelque 10 000 € de primes en liquide à sa rémunération de haut fonctionnaire. La preuve des versements intéressés de Kadhafi, en 2006 et 2007 ? « Personnellement je n'ai jamais rien eu en ma possession attestant que Mouammar Kadhafi avait versé de l'argent à Nicolas Sarkozy. Cependant, tous ceux qui sont autour de moi en parlent », nous confie Roland Dumas, ancien ministre des Relations extérieures puis des Affaires étrangères de François Mitterrand jusqu'en 1993 et dépêché personnellement par le président, à plusieurs reprises, auprès du guide libyen.

Les preuves, ils sont nombreux à l'UMP à prier pour qu'elles n'apparaissent jamais... Pour qu'on ne fasse pas le lien avec les contrats conclus avec Tripoli en 2007-2008 et qui portaient sur des armes sophistiquées, du matériel d'espionnage et une usine de dessalinisation de l'eau de mer fonctionnant à l'énergie nucléaire ou avec le tapis rouge que l'on déroula sous les pieds du tyran allumé, lors de son voyage d'Etat à Paris. Pour qu'on ne s'avise pas qu'une intervention militaire destinée officiellement à protéger les populations civiles se transforma en raids aériens à répétition contre le palais présidentiel ; pour qu'on ne se demande pas pourquoi on fit, apparemment, tout pour ne pas s'emparer de Kadhafi vivant. Comme s'il fallait ensevelir sous les ruines la source du fric. Ce fric qui ouvre les portes du pouvoir.