Retraites: vive le capital !
A bas le travail !
La réforme des retraites présentée mardi par le premier ministre
prolonge et accentue une politique économique et sociale qui fait la part belle
aux entreprises et surtout à leurs actionnaires, et qui ne se soucie guère du
monde du travail. Elle va aussi creuser un peu plus l'inégalité du système
fiscal français. Parti pris.
Aux
totalitarismes de XXe siècle ont succédé la tyrannie
d'un capitalisme
financier
qui ne connait
plus de bornes, soumet États et peuples
à ses
spéculations,
et le retour de
phénomènes de fermeture xénophobe, raciale,
ethnique et
territoriale.
Le chemin de
l'espérance
Edgar Morin
« Le
capitalisme noie toute chose dans les eaux glacées du calcul égoïste. » À examiner de près la réforme des retraites que le
premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a dévoilé mardi soir, on en vient presque
à éprouver l’envie d’interpeller le gouvernement socialiste en usant de la
formule célèbre de Karl Marx. Car s’il faut dire les choses brutalement et user
d’une phraséologie qui est depuis longtemps passée de mode, c’est une réforme
de classe qui a été dévoilée. Une réforme qui fait, encore une fois, la part
belle au capital et qui fait bien peu de cas du travail.
On peut, certes, se consoler en pensant que la réforme
aurait pu être plus violente. Que l’allongement de la durée d’activité de 41,5
ans actuellement à 43 ans aurait pu intervenir non pas de 2020 à 2035, mais
beaucoup plus tôt ; que le gouvernement aurait pu dans la foulée
remettre en cause le principe même de la retraite à 60 ans ; qu’il aurait
pu aussi envisager d’engager à la hache une réforme des régimes spéciaux de
retraite ; ou encore qu’il aurait pu aussi appliquer aux régimes de
retraites de base la violente désindexation que les partenaires sociaux ont
décidé de mettre en œuvre pour les régimes complémentaires…
Dans la logique libérale qui est la sienne, le
gouvernement aurait pu, en somme, être plus brutal. Et c’est ce dont lui font
grief, en chœur, depuis que la réforme est connue, les milieux patronaux et la
grande majorité des éditorialistes de la presse bien pensante : comme
souvent, François Hollande a la main qui tremble ; il va dans le bon sens,
mais il pourrait manifester plus d’entrain…
Dans ces applaudissements, assortis d’invitations à
réformer plus vite et plus fort, transparaissent pourtant ce qui est le constat
central à laquelle invite cette réforme : envers et contre tout, elle
tourne radicalement le dos aux aspirations des milieux populaires qui ont
assuré la victoire de François Hollande. Pour tout dire, c’est une réforme
pro-patronale ou si l’on préfère une réforme antisociale, qui va accentuer les
inégalités, au lieu de les réduire. On en trouvera confirmation en se reportant
à l’article de Mediapart qui présente le détail de la réforme : Retraite : ce sera cotiser plus et plus longtemps.
En somme, le seul grand mérite de cette réforme, c’est qu’elle aurait pu
être… bien pire !
Et pour sévère qu’il soit, ce constat est facile à
étayer. Il suffit de chercher les réponses aux principales questions que pose
cette réforme :
Qui
va payer ?
La réponse est stupéfiante dans sa simplicité :
ce sont les salariés qui supporteront la quasi totalité du poids de la réforme.
Pas l’essentiel du poids, non… effectivement, sa quasi totalité ! Et les
entreprises, elles, seront quasiment exonérées, en bout de course, de toute
contribution.
On peut le vérifier en se reportant au dossier de
presse que les services du premier ministre ont diffusé, mardi soir, lors de
l’annonce de la réforme (on peut le télécharger ici)
Concrètement, sur les 16 milliards d’euros qui doivent
être financés d’ici à 2040, les salariés vont d’abord prendre à leur charge 5,6
milliards d’euros via l’allongement de 41,5 ans actuellement à 43 ans de la
durée d’activité, qui va commencer en 2020 et qui s’échelonnera jusqu’en 2035.
Beaucoup d’observateurs ont relevé l’habileté d’un dispositif qui n’entrera pas
en vigueur tout de suite, et qui pourrait donc ne pas susciter une fronde
sociale immédiate. Les mêmes observateurs oublient souvent de relever ce
qu’était le dernier vote émis par un congrès socialiste sur cette question de
la durée d’activité. C’était en 2003, à l’époque de la réforme Fillon : à
l’époque, les militants socialistes avaient estimé que la justice sociale
exigeait que la durée d’activité n’aille pas au-delà de 40 ans d'activité.
François Hollande a donc décidé de violer cet
engagement. Plus grave que cela ! La supposée habileté du dispositif à
retardement est en réalité une injustice puisque la mesure revient à faire
payer la réforme par les salariés… les plus jeunes. C'est en effet la
génération née en 1973 et après qui, à partir de 2035, passera aux 43 ans
d'activité exigibles pour une retraite à taux plein.
Quant aux hausses de cotisations sociales, elles sont
optiquement équilibrées, puisque les salariés vont apporter 3,2 milliards
d’euros sous la forme d’une hausse de 0,3 point des cotisations retraite,
échelonnées de 2014 à 2017 ; et les entreprises vont aussi apporter
3,2 milliards sous la forme d’une hausse de leurs propres cotisations
retraites. Mais on sait que cet équilibre n’est qu’apparent, puisque Jean-Marc
Ayrault a, dans la foulée, promis aux entreprises de prolonger le « choc
de compétitivité » engagé l’an passé.
Après les 20 milliards d’euros de crédit d’impôt
offerts aux entreprises l’an passé, sans la moindre contrepartie, ces mêmes
entreprises vont donc profiter d'une nouvelle mesure d’allègement de charges
sociales, visant à compenser les 3,2 milliards d’euros découlant de leurs
hausses de cotisation retraite. De telle sorte que la réforme des retraites,
mise à part quelques mesures annexes, comme sur la pénibilité, soit pour elles
quasiment indolore et que le coût du travail reste inchangé.
Or qui va donc, en bout de course, payer cette somme
de 3,2 milliards d’euros, qui seront prélevées dans un premier temps sur les
entreprises sous la forme d’une hausse de leurs cotisations retraite, et qui
leur sera tout aussitôt restituée sous la forme d’un autre allègement de
charges sociales ? Pour l’heure, le gouvernement n’a pas encore dit
précisément les modalités de cette réforme complémentaire. Mais on sait qu’il
réfléchit dans la foulée à une réforme du financement de la protection sociale,
au terme de laquelle les cotisations familiales employeurs pourraient être
allégées ou supprimées.
Il n’est donc pas besoin d’être grand clerc pour
deviner le tour de bonneteau qui se prépare : via la CSG ou l’impôt, ce
devraient donc être les salariés qui, en fin de compte, seront les dindons de
la farce, puisque, au total, ce sont eux qui paieront en lieu et place des
entreprises.
Ce choix est donc économiquement et
socialement hautement contestable, pour de très nombreuses raisons. Parce que
le pouvoir d’achat des Français enregistre déjà actuellement une chute
historique, depuis 1984, et que cette rafale de nouvelles ponctions vont encore
contribuer à le dégrader. Et puis parce que ce dispositif va contribuer à
déformer encore un peu plus le partage des richesses entre capital et
travail ; et va contribuer aussi à creuser les inégalités des Français
face au système fiscal français.
2.
Pourquoi les entreprises sont-elles épargnées ?
C’est évidemment une question-clef car au travers de
cette réforme des retraites, qui protège le capital et accable le travail, le
gouvernement vient confirmer (s’il en était besoin !) qu’il entend mener
une politique de l’offre, celle préconisée de longue date par la droite et les
milieux d’affaires, et tourner le dos à une politique de la demande, qui a
longtemps été le cap privilégiée par la gauche. Et cette soumission à la doxa
libérale est dangereuse, pour plusieurs raisons majeures.
La première raison a trait au partage des richesses entre
capital et travail, qui s’est de plus en plus déformé ces dernières décennies,
à l’avantage du premier et au détriment du second. C’est la politique dite de
« désinflation compétitive » (en clair, la politique des salaires bas
et du chômage élevé) lancée par les socialistes en 1982-1983 qui a inauguré
cette déformation historique. Et puis le basculement progressif du capitalisme
français vers un modèle à l’anglo-saxonne, avec pour règle un primat des
actionnaires, a encore creusé la tendance.
Résultat : la France est entrée dans un nouveau
capitalisme, beaucoup plus tyrannique que le précédent; un capitalisme où les
actionnaires comptent beaucoup, et les salariés très peu – un capitalisme donc
qui ignore le compromis social. C’est en quelque sorte cette soumission à ce
capitalisme patrimonial de la part des socialistes que révèle donc cette
réforme des retraites.
Car, le gouvernement avait, avec ce difficile dossier,
une formidable occasion pour redessiner ce partage entre capital et travail.
Mais finalement, il y a donc renoncé. Et la reculade, comme on vient de le
voir, est totale. Pas la moindre esquisse de compromis entre le monde des
employeurs et celui du monde des salariés ! Cette réforme des retraites
révèle le partage radicalement inégal qui est la règle sous ce capitalisme
d’actionnaires : tout à la charge des salariés ! Rien à la charge des
entreprises et de leurs actionnaires ! C’était la règle sous Nicolas
Sarkozy ; tristement, cela reste la règle sous François Hollande. Et il
n’y a pas même un petit geste, fut-il symbolique, sauf dans le cas de la
pénibilité, pour faire illusion.
Et le plus grave dans ce renoncement, c’est que le
gouvernement n’a pas la moindre explication à avancer pour le justifier. Ou
plutôt si, il en a une : ce serait la compétitivité des entreprises qui
exige ce choix. Mais cette excuse, en vérité, n’en est pas une. A l’automne
2012, Matignon et l’Elysée avaient en effet déjà usé de cette argutie, pour
justifier le cadeau de 20 milliards d’euros apporté aux entreprises sous la
forme d’un crédit d’impôt – c’est-à-dire la mise en œuvre, sous des modalités à
peine différentes, du plan défendu pendant la campagne présidentielle par
Nicolas Sarkozy, et vivement contesté par… François Hollande.
Mais de nombreuses études ont, à l'époque, établi que,
contrairement à ce que prétendaient le patronat et la droite, la France ne
souffrait d’aucun problème de coût du travail, notamment vis-à-vis de
l’Allemagne, et qu’il y avait une véritable campagne d’intox autour de ce
soi-disant problème de compétitivité des entreprises françaises. Toutes ces
études, il est possible de les retrouver en consultant les analyses que j’avais
écrites à l’époque : Economie :
Hollande se renie et copie Sarkozy ou Compétitivité :
sous le choc, l’intox.
L’intox autour de cette question de la compétitivité est
d’autant plus avéré que le cadeau de 20 milliards d’euros fait aux entreprises,
sur le dos des consommateurs assujettis à la TVA, n’a donc été assorti d’une
aucune contrepartie. En clair, pas d’accord contractuel pour favoriser l’emploi
ou l’investissement : le crédit d’impôt ne va générer que des effets
d’aubaine. Un groupe du CAC 40 peut tout bonnement profiter des bonnes grâces
du gouvernement et s’en servir pour arrondir… les dividendes servis à ses
actionnaires. C'est la mise en garde lancée à l'époque par de nombreux
économistes : cet immense transfert de charges au profit des
entreprises et au détriment des salariés va générer seulement des effets
d'aubaine, mais pas d'effets économiques.
En clair, c’est une politique de redistribution pour
laquelle les socialistes ont opté. Mais une redistribution à l’envers :
les consommateurs modestes, et même pauvres, vont partiellement financer des
cadeaux dont pourront éventuellement profiter les actionnaires des groupes les
plus riches. Les bras vous en tombent !
C’est donc dans cette même
logique que s’inscrit totalement la nouvelle réforme des retraites. Elle vient
couronner ce que, dans un livre récent, j’avais appelé une « étrange capitulation » , dans un clin d’œil à l’essai célèbre
du grand historien Marc Bloch, L’Étrange
défaite
3.
Les inégalités sociales vont-elles encore se creuser ?
C’est la seconde très grave inquiétude que soulève cette
réforme des retraites, car elle vient prolonger une autre démission, celle face
à la réforme fiscale qui avait été promise par François Hollande pour corriger
les inégalités.
Cette réforme des retraites comprend en effet une autre
surprise : le gouvernement fait donc appel aux cotisations retraite et non
pas un autre prélèvement, par exemple la Contribution sociale généralisée (CSG)
pour boucher les trous du régime. Or, on le sait, les cotisations sociales,
même déplafonnées, sont socialement beaucoup plus injustes que la CSG, qui,
elle, a une assiette d’imposition très large et frappe non seulement les
revenus du travail mais aussi ceux, partiellement, de l’épargne.
Le choix des cotisations retraite est donc socialement
très contestable. D’autant que cette priorité donnée par le gouvernement aux
prélèvements les plus inégalitaires n’est pas franchement une nouveauté. Déjà,
François Hollande a donc pris la très lourde responsabilité de recourir
partiellement à une hausse de la TVA pour financer le « choc » de
compétitivité – TVA que les socialistes ont toujours dénoncé dans le passé
comme figurant parmi les impôts les plus injustes. Et puis, il y a donc
vraisemblablement dans les tuyaux une nouvelle hausse de prélèvements, sans
doute du même type, pour financer la compensation promise au Medef pour annuler
la hausse des cotisations retraites.
En résumé, les socialistes sont donc en train de
remodeler le système français des prélèvements sociaux et fiscaux de la pire
des manières qui soit : en privilégiant les prélèvements les plus
inégalitaires, ceux qui sont les plus dégressifs, c’est-à-dire, ceux qui pèsent
le plus sur les salariés les plus modestes, sinon même les pauvres.
Or cette cascade de prélèvements nouveaux intervient
alors que le gouvernement a renoncé dans le même temps à la « révolution
fiscale » promise pendant la campagne présidentielle, visant à refonder en
France, un grand impôt citoyen et progressif, assujettissant enfin un peu plus
les hauts revenus, et redonnant du pouvoir d’achat aux plus modestes, sur le
modèle de ce que préconisait par exemple l’économiste Thomas Piketty.
Tout cela est évidemment pathétiquement logique :
puisque le gouvernement, dès l’alternance, a renoncé à une grande réforme
fiscale, pour rendre le système fiscal un peu plus juste, il en est réduit à
piocher désormais dans les prélèvements sociaux les plus inégalitaires. Et le
résultat de tout cela est accablant : comme l’avait établi une étude dès
l'an passé (lire Impôts : les
injustices n’ont (presque pas été corrigées), la France
reste un pays qui a des allures de paradis fiscal pour les plus riches tandis
que le travail est accablé. En somme, la fameuse « Nuit du 4-Août »
promise par la gauche n’a jamais été engagée. Et les privilèges, fiscaux mais
pas seulement, n’ont en rien été ébranlés par l’alternance.
Bref, la réforme des retraites aurait certes pu être
encore plus violente. Il n’empêche ! Sa philosophie est toute entière
empruntée aux cercles dominants des milieux d’affaires et de la droite. Dans l’Étrange
défaite, à laquelle je faisais à l’instant allusion, Marc Bloch a ces mots
terribles : « Il est
bon, il est sain que, dans un pays libre, les philosophies sociales contraires
s’affrontent. Il est, dans l’état présent de nos sociétés, inévitable que les
diverses classes aient des intérêts opposés et prennent conscience de leurs
antagonismes. Le malheur de la patrie commence quand la légitimité de ces
heurts n’est pas comprise. »
C’est un peu le malheur de nos
socialistes d’aujourd’hui, qui gouvernent
la France comme des notaires tristes…
C’est vraiment une politique
fiscale injuste que dévoile, jour après jour, le gouvernement socialiste.
Tournant le dos à la grande réforme promise pendant la campagne présidentielle
pour instiller un peu d’équité dans un système qui, au fil des ans, est devenu
gravement inégalitaire et avantage surtout les hauts revenus, les ministres des
finances et du budget, Pierre Moscovici
et Bernard Cazeneuve, ont à l’évidence une stratégie cachée. Annonçant au
compte-gouttes leurs mesures nouvelles pour 2014, ils préparent, mais sans le
dire publiquement, un immense transfert de charges à l’avantage des
entreprises, y compris des plus grandes, et au détriment des contribuables, y
compris les plus modestes. En somme, en lieu et place de la« révolution
fiscale » promise par
François Hollande, c’est une contre-réforme qui prend forme. Et qui plus est,
dans les pires des conditions, car le gouvernement ne joue pas cartes sur table
et n’affiche pas clairement ses intentions. Disons-le brutalement : il y a
même une part de duperie dans la façon dont les dernières mesures ont été
annoncées.
Revoyons en effet le film
fiscal auquel nous avons assisté depuis l’alternance, et celui qui s’est
brutalement accéléré depuis le milieu de l’été.
D’abord, il y a eu la phase
I, si l’on peut dire : sitôt installés aux commandes, au lendemain de
l’élection présidentielle, les socialistes ont immédiatement oublié qu’ils
avaient effectivement promis au pays une grande « révolution fiscale »,
visant à réintroduire de la progressivité dans le système français des
prélèvements, système qui est devenu dégressif et qui avantage les plus riches.
Cette révolution devait notamment prendre la forme d’une fusion de l’impôt sur
le revenu et de la Contribution sociale généralisée (CSG). Résultat : la
grande réforme n’a pas même été évoquée par Jean-Marc Ayrault, en juillet 2012,
lors de sa déclaration de politique générale. Et dans la foulée, le
gouvernement a décidé, à l’automne 2012, de maintenir en l’état les
« niches fiscales » les plus scandaleuses, celles qui profitent aux
plus hauts revenus au travers des systèmes de défiscalisation dans les DOM-TOM
ou le cinéma. Dans la même logique, le gouvernement a aussi oublié la promesse
qu’il avait faite de rétablir l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF), dans
l’état où il était avant que Nicolas Sarkozy ne le vide comme un gruyère. Car,
pour finir, il a été décidé que le seuil de déclenchement de l’ISF resterait
fixé à 1,3 million d’euros de patrimoine, contre 800 000 euros auparavant,
conformément à la réforme sarkozyste, et que le taux supérieur de 1,8 % ne
serait pas rétabli.
Ensuite, il y a eu la phase
II : celle non plus de l’oubli des promesses électorales, mais celle des
reniements. Cela a pris la forme, à l’hiver 2012-2013, de l’annonce de ce
soi-disant choc de compétitivité, au terme duquel il a été décidé que 20
milliards d’euros seront apportés aux entreprises sous la forme d’un crédit
d’impôt et que les ménages seraient mis à contribution pour financer le
dispositif.
Avec le recul, cette
réforme apparaît encore beaucoup plus importante – et plus grave –
qu’on a pu, sur le moment, le penser. D’abord, à cause des caractéristiques
mêmes de la réforme, pour le moins injustes, qui ont été à l’époque dévoilées.
On sait en effet, comme Pierre Moscovici
l’a encore répété récemment devant les patrons du Medef, que ces cadeaux
fiscaux seront « sans
contrepartie ». En clair, les groupes du CAC 40 pourront tout
bonnement abonder encore un peu plus les dividendes qu’ils servent à leurs
actionnaires. Le même Pierre Moscovici a aussi annoncé la semaine passée
– les bras vous en tombent ! – que le cadeau sera offert« sans
contrôle fiscal » – avis
à ceux qui pourraient être tentés par la triche !
Et, pour financer ce
dispositif, le gouvernement a, à l’époque, annoncé qu’il prendrait différentes
mesures à la charge des ménages ou des consommateurs, dont une majoration de
certains des taux de TVA, à compter du 1er janvier 2014. En
clair, les socialistes, qui critiquent de très longue date la TVA au motif
qu’il s’agit d’un impôt parmi les plus injustes pesant relativement plus sur
les bas revenus que sur les hauts, ont fait l’exact contraire de ce qu’ils avaient
promis. Eux qui avaient dénoncé avec virulence – et à juste
titre ! – la hausse de la TVA, décidée au début de 2012 par Nicolas
Sarkozy, ont choisi finalement de poursuivre le même projet, sous des modalités
à peine modifiées.
Mais
avec le recul, peut-être n’avait-on pas deviné – le gouvernement n’a
certes rien fait pour nous éclairer sur ses véritables projets – que cette
première réforme, visant à organiser un gigantesque transfert de charges à
l’avantage des entreprises et au détriment des salariés, ne serait qu’une
première étape. Et que ce transfert, économiquement contestable et socialement
très inégalitaire, allait être amplifié par de nouvelles réformes.
Tour de bonneteau au détriment des familles
Car c’est précisément ce qui est en train d’advenir,
dans cette phase III que nous sommes en train de vivre : sans le dire
vraiment, le gouvernement est en train d’accélérer cette très injuste
politique. La contre-réforme conduite par les socialistes, la voilà : dans
une logique ultra-libérale, le gouvernement est en train de donner raison au
patronat sur la quasi-intégralité de ses demandes et tend à faire peser sur les
salariés et les consommateurs l'intégralité des efforts fiscaux. Dans la
période récente, aucun gouvernement, même de droite, n'avait conduit une
politique à ce point en sens unique.
Examinons en effet les tours de bonneteau de ces
derniers jours : on aura tôt fait de discerner que c’est la même politique
de transferts de charges qui se poursuit. Quand il a annoncé sa réforme des
retraites, à la fin du mois d’août (lire Retraites : vive le capital ! A bas le
travail !), Jean-Marc Ayrault s’est, certes, gardé de le
dire. Dans l’affichage des mesures, il a même eu un souci apparent d’équilibre
puisque au titre des hausses de cotisations retraites annoncées, employeurs et
salariés ont été logés à la même enseigne, avec à la clef une progression de
0,3 % de leurs cotisations, soit un effort à terme de 3,2 milliards
d’euros pour les uns comme pour les autres.
Mais dans la foulée de l’annonce de ces mesures, on a
appris le même jour que, en fait, la hausse des cotisations retraite pour les
employeurs, pourrait être compensée partiellement. Au soir de l’annonce de ce
plan, on n’avait donc guère qu’une certitude : au moins, les entreprises
auraient à leur charge une partie du financement de l’un des volets de la
réforme des retraites, celle qui a trait à la pénibilité.
Or, en fait, au fil des jours suivants, on a découvert
que le gouvernement s’était bien gardé de révéler le fin mot de l’histoire.
D’abord, la promesse a été faite au patronat que même le volet pénibilité de la
réforme des retraites ouvrirait droit pour lui à une compensation. C’est l’AFP,
le vendredi 30 août, par une dépêche diffusée à 12 h 51, qui l’a
suggéré : « Le président du Medef Pierre Gattaz a affirmé
vendredi avoir obtenu du gouvernement un "engagement oral" que les
coûts découlant de la création d’un compte de pénibilité en 2015 seraient
compensés pour les entreprises. "J’ai eu un engagement oral que la
pénibilité sera aussi prise en compte dans cette compensation", a déclaré
vendredi sur RTL le président de la principale organisation patronale
française". »
Mais la veille, jeudi 29 août, lors des universités
d’été du Medef, le ministre des finances, Pierre Moscovici, avait lui-même levé
un coin du voile sur les vrais projets du gouvernement. Dans son intervention,
il avait en effet annoncé aux patrons que la hausse de leurs cotisations retraite « sera intégralement
compensée par une baisse des cotisations famille ». Intégralement !
En clair, la réforme des retraites sera
intégralement à la charge des salariés, et pas le moins du monde à la
charge des entreprises, ni de leurs actionnaires…
Et qui paiera cette baisse des cotisations famille patronales,
si généreusement annoncée par Pierre Moscovici ? Sur le moment, le
ministre des finances s’était bien gardé de dévoiler le pot aux roses, même si
on pouvait déjà deviner le tour de bonneteau en préparation. Mais maintenant,
on sait précisément à quoi s’en tenir : encore et toujours, ce sont les
ménages qui vont financer ces cadeaux dispendieux faits aux entreprises, avec
pour elles de simples effets d’aubaine en perspective, mais aucun effet
prévisible sur l’emploi ou l’investissement.
C’est le journal Les Échos de
ce jeudi qui donne la clef du mystère. Il révèle en effet
que près de 500 millions d'euros devraient être économisés sur les niches
fiscales pour frais de scolarité dans le cadre du projet de loi de finances
pour 2014. L’exécutif compte également supprimer la niche bénéficiant aux familles
ayant des enfants scolarisés dans le supérieur. Explication du quotidien : « Dans
le cadre de la réforme des prestations familiales, le gouvernement avait
annoncé début juin son intention de supprimer la niche concernant les élèves
scolarisés dans le secondaire. Montant affiché alors de l’économie : 235 millions d’euros (…) Selon les documents
budgétaires, la niche bénéficiant aux enfants scolarisés au collège et au lycée
concerne 2,2 millions de ménages. Pour ceux-là, l’impôt sur le revenu devrait
augmenter en moyenne de 12 euros par mois. »
Mais le journal poursuit en expliquant que le
gouvernement a finalement décidé d’amplifier la mesure : « À
la recherche d’argent, l’exécutif a toutefois décidé au cours de l’été
d’élargir le champ de la mesure. La réduction d’impôt concernant les enfants
scolarisés dans l’enseignement supérieur, dont bénéficient 1,15 million de
ménages, devrait du coup être elle aussi supprimée. Avec, à la clef, 210
millions d’euros de recettes supplémentaires, portant le total de la somme à
445 millions d’euros, pour la suppression de ces deux avantages fiscaux. » Conclusion
des Échos : « Pour les familles concernées, la
suppression de ces deux niches se traduira bien par une hausse de l’impôt sur
le revenu. Qui s’ajoutera au milliard d’euros de recettes supplémentaires
attendues de l’abaissement de 2 000 à 1 500 euros du plafond de
l’avantage lié au quotient familial. »
Et où ira cette somme qui sera prélevée dans la poche
des familles qui ont à financer les études de leurs enfants, lycéens ou
étudiants ? Nous y voilà ! Le journal donne le fin mot de
l’histoire : « Le rendement de la suppression des deux niches
sera affecté au financement de la branche famille. »
Et tout ce projet est à l’évidence très avancé puisque
le ministre délégué au budget, Bernard Cazeneuve, n’a pas souhaité démentir les
informations du quotidien. En creux, il les a même validées, puisque, interrogé
sur la possible suppression de ces deux avantages fiscaux consentis aux
familles, il s’est juste borné à annoncer des mesures d’accompagnement : « Le
gouvernement mobilisera les moyens pour accompagner de façon significative les
étudiants et notamment les plus défavorisés », a-t-il juste relevé. A
la chaîne Public Sénat, le
président de l'Unef, Emmanuel Zemmour d'ailleurs indiqué ce jeudi que le
syndicat étudiant avait obtenu la « confirmation officielle » de
la remise en cause de cet avantage fiscal dans le cadre du budget 2014.
CQFD ! C’est donc bel et bien un gigantesque
transfert de charge au détriment des ménages que le gouvernement veut
poursuivre, mais sans l’afficher ouvertement. Un transfert de charges en
catimini dont on devine par avance les immenses dangers : il risque de
gonfler les profits des grandes entreprises, mais ni l’emploi ni
l’investissement ; et dans le même temps, il risque de pousser encore à la
baisse un pouvoir d’achat des salariés qui enregistre actuellement une baisse
historique depuis 1984.
Voilà ce qu’incarne aujourd’hui Pierre Moscovici, le
ministre du Medef :
une politique fiscale authentiquement conservatrice.
« Bon appétit, messieurs !
Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux !
Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous
n'avez pas honte et vous choisissez l'heure,
L'heure sombre où l'Espagne
agonisante pleure !
Donc vous n'avez ici pas d'autres intérêts
Que remplir votre poche et
vous enfuir après !
.../...
l'Europe, hélas ! Écrase du talon
Ce pays qui fut
pourpre et n'est plus que haillon.
L'état s'est ruiné dans ce siècle
funeste,
Et vous vous disputez à qui prendra le reste !
Victor Hugo "Ruy
Blass"