vendredi 6 septembre 2013

TOUS les métiers sont pénibles !



 
"La politique est l'art de se servir des hommes en leur faisant croire qu'on les sert."
Voltaire



Les partisans patronaux de « la retraite à la carte » font feu de tout bois pour remettre en cause les choses simples, claires, lisibles et chiffrées. Ils détestent le droit à la retraite à 60 ans, parce que tous les salariés s’y reconnaissent et peuvent se mobiliser ensemble pour le défendre. 60 ans, à taux plein c’est un droit commun, solidaire. Alors pour mieux le combattre, ils inventent des systèmes « notionnels », « par points », individualisés. Ca vise à saper l’ordre public social solidaire. 

Sentant qu’ils ne peuvent pas d’un seul coup casser le système par répartition actuel, ils avancent masqués, et proposent des « points » de retraite pour la pénibilité du travail… ce que le gouvernement Ayrault semble vouloir proposer au Parlement de reprendre. C’est même un des points de la réforme Ayrault qui est présenté comme une « avancée sociale ». Bien sur qu’il y a des degrés de pénibilité physique et mentale différents et plus ou moins sévères entre tous les métiers. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a ce qu’on appelle des « régimes spéciaux » : ils ont été négociés par branches, et adaptés à des catégories professionnelles particulières. Il y en a encore 35, ils sont légitimes, car un danseur du ballet de l’Opéra a du mal à faire des pointes après 45 ans et un gendarme a du mal a courir après les voleurs passé 55 ans, les militaires ont du mal à faire leur métier, un ouvrier du bâtiment devrait avoir la retraite a 55 ans, et les chauffeurs ou les « roulants » de la SNCF ont des plannings horaires éprouvants, une infirmière aussi… 

Mais le paradoxe c’est que nos partisans des « points de pénibilité »… comme par hasard, sont opposés aux régimes spéciaux négociés par branches. Ils veulent nous entrainer vers un système in-di-vi-duali-sé. Vous aurez des « points » pour une rotule abimée, pour un poignet déformé, pour un dos bloqué, et non pas liés à votre statut, votre métier, votre branche… ca coutera moins cher.  Une rotule, dix points, deux rotules vingt points ? Les TMS (troubles musculo-squelettiques), 85 % des maladies professionnelles,  combien donneront ils de « points » ? 

Comment on va « trier » ça ? Car il va bel et bien s’agir de tri. On va accorder des« bons à métiers pénibles » (comme il y a des « bons à polluer ?). Le gouvernement l’a promis aux employeurs :  » – Ce ne sera pas eux qui paieront » … ( à la différence des accidents du travail). Donc, c’est d’une gravité exceptionnelle, les employeurs n’auront aucune raison de limiter la pénibilité… Pire, ils pourront arguer auprès du salarié :  » – D’accord c’est dur, mais tu vas avoir des points retraites ». Ils ne s’en priveront pas. 

Ce ne sera d’ailleurs pas vraiment des « points retraites », mais des « points » pour « temps partiel » ( en fin de vie professionnelle -sic ) ou des « points formation » (pourquoi proposez à l’éboueur de se former à 55 ans et ne pas le mettre en retraite ?) 

Ensuite Sarkozy avait, pour qui se rappelle, avait déjà proposé ça. En juin 2010,  sa contre-réforme prévoyait un retraite maintenue à 60 ans pour…  20 % d’invalidité. Comment se mesurait l’invalidité ? A l’époque, l’Elysée avait avancé le chiffre de 10 000 salariés concernés. Les manifestations de septembre 2010 avaient « convaincu » Sarkozy d’abaisser le seuil d’invalidité à 10% d’invalidité et l’Elysée avait alors évoqué officiellement le chiffres de 30 000 salariés concernés. 

Evidemment tout cela est resté vain : l’invalidité devait être examinée par des commissions tripartites ou siégeaient des syndicalistes, des médecins du travail, mais présidées par l’employeur. On imagine très mal ces séances de « tri à bestiaux » . Des syndicalistes obligés de « juger » cela ?  Des médecins du travail déjà fragilisés, en manque d’effectifs, et d’indépendance ? Les défenseurs Ayrault a avancé le chiffre officiel de 100 000 salariés concernés (sur 24 millions de salariés, cela fait 0,4 %), une aumône. 

La question c’est que TOUS les métiers sont pénibles. La pénibilité n’est pas seulement physique, elle est aussi mentale. Le travail devient plus dur pour tout le monde au milieu des cinquante ans. Stress, risques psychos sociaux, management brutal, burn out, suicides au travail, ce ne sont plus les « coups de grisou » qui tuent, mais les « AVC ». Il existe 150 000 accidents cardiaques par an et 100 000 accidents vasculaires. Le professeur André Grimaldi (actuellement engagé dans une juste campagne pour défendre la « Sécu » contre les « complémentaires » santé) affirme qu’entre 1/3 et 50 % de ces AVC sont liés au travail. Combien de « points pénibilité » donnera t on à ces risques cardiaques et vasculaires accrus par la pression au travail ? 

Les égoutiers qui meurent avant 60 ans l’ont dit avec la CGT « départ retardé, mort prématurée ». Mais les cadres stressés, épuisés, essorés et licenciés dès qu’ils donnent un signe de lassitude que subiront-ils ? Selon le Ministère du travail, 5 millions de salariés subissent des « postures pénibles ». Plus de 5 millions portent des charges lourdes. 5 millions ont des horaires atypiques qui usent la santé et l'équilibre personnel. Et pour les 5 millions qui travaillent de nuit ? Le travail de nuit, nuit ! 10 ans de travail de nuit à contre courant c’est 15 ans de vie dépensée… Va t’on distinguer les « points » du gardien de nuit et ceux de l’infirmière de nuit ? 

Permettez qu’on tienne au droit à la retraite à 60 ans pour toutes et tous et aux « régimes spéciaux » collectifs, maintenus, négociés là où ils s’imposent. La loi, c’est 60 ans, l’ordre public social. La négociation et le contrat, c’est dans les branches et métiers et ça peut être 55 ans et moins. Dans le respect des salariés, pris collectivement dans les particularités de leurs  branches professionnelles, pas dans le « tri individuel », humiliant et aléatoire.

Retraites: vive le capital ! A bas le travail !





Retraites: vive le capital ! A bas le travail !

 |  PAR LAURENT MAUDUIT
La réforme des retraites présentée mardi par le premier ministre prolonge et accentue une politique économique et sociale qui fait la part belle aux entreprises et surtout à leurs actionnaires, et qui ne se soucie guère du monde du travail. Elle va aussi creuser un peu plus l'inégalité du système fiscal français. Parti pris.

Aux totalitarismes de XXe siècle ont succédé la tyrannie
d'un capitalisme financier
qui ne connait plus de bornes, soumet États et peuples
à ses spéculations,
et le retour de phénomènes de fermeture xénophobe, raciale,
ethnique et territoriale.
Le chemin de l'espérance
Edgar Morin



« Le capitalisme noie toute chose dans les eaux glacées du calcul égoïste. » À examiner de près la réforme des retraites que le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a dévoilé mardi soir, on en vient presque à éprouver l’envie d’interpeller le gouvernement socialiste en usant de la formule célèbre de Karl Marx. Car s’il faut dire les choses brutalement et user d’une phraséologie qui est depuis longtemps passée de mode, c’est une réforme de classe qui a été dévoilée. Une réforme qui fait, encore une fois, la part belle au capital et qui fait bien peu de cas du travail.
On peut, certes, se consoler en pensant que la réforme aurait pu être plus violente. Que l’allongement de la durée d’activité de 41,5 ans actuellement à 43 ans aurait pu intervenir non pas de 2020 à 2035, mais beaucoup plus tôt ; que le gouvernement aurait pu dans la foulée remettre en cause le principe même de la retraite à 60 ans ; qu’il aurait pu aussi envisager d’engager à la hache une réforme des régimes spéciaux de retraite ; ou encore qu’il aurait pu aussi appliquer aux régimes de retraites de base la violente désindexation que les partenaires sociaux ont décidé de mettre en œuvre pour les régimes complémentaires…
Dans la logique libérale qui est la sienne, le gouvernement aurait pu, en somme, être plus brutal. Et c’est ce dont lui font grief, en chœur, depuis que la réforme est connue, les milieux patronaux et la grande majorité des éditorialistes de la presse bien pensante : comme souvent, François Hollande a la main qui tremble ; il va dans le bon sens, mais il pourrait manifester plus d’entrain…
Dans ces applaudissements, assortis d’invitations à réformer plus vite et plus fort, transparaissent pourtant ce qui est le constat central à laquelle invite cette réforme : envers et contre tout, elle tourne radicalement le dos aux aspirations des milieux populaires qui ont assuré la victoire de François Hollande. Pour tout dire, c’est une réforme pro-patronale ou si l’on préfère une réforme antisociale, qui va accentuer les inégalités, au lieu de les réduire. On en trouvera confirmation en se reportant à l’article de Mediapart qui présente le détail de la réforme : Retraite : ce sera cotiser plus et plus longtemps.

En somme, le seul grand mérite de cette réforme, c’est qu’elle aurait pu être… bien pire !  

Et pour sévère qu’il soit, ce constat est facile à étayer. Il suffit de chercher les réponses aux principales questions que pose cette réforme :

Qui va payer ?

La réponse est stupéfiante dans sa simplicité : ce sont les salariés qui supporteront la quasi totalité du poids de la réforme. Pas l’essentiel du poids, non… effectivement, sa quasi totalité ! Et les entreprises, elles, seront quasiment exonérées, en bout de course, de toute contribution.
On peut le vérifier en se reportant au dossier de presse que les services du premier ministre ont diffusé, mardi soir, lors de l’annonce de la réforme (on peut le télécharger ici)

Concrètement, sur les 16 milliards d’euros qui doivent être financés d’ici à 2040, les salariés vont d’abord prendre à leur charge 5,6 milliards d’euros via l’allongement de 41,5 ans actuellement à 43 ans de la durée d’activité, qui va commencer en 2020 et qui s’échelonnera jusqu’en 2035. Beaucoup d’observateurs ont relevé l’habileté d’un dispositif qui n’entrera pas en vigueur tout de suite, et qui pourrait donc ne pas susciter une fronde sociale immédiate. Les mêmes observateurs oublient souvent de relever ce qu’était le dernier vote émis par un congrès socialiste sur cette question de la durée d’activité. C’était en 2003, à l’époque de la réforme Fillon : à l’époque, les militants socialistes avaient estimé que la justice sociale exigeait que la durée d’activité n’aille pas au-delà de 40 ans d'activité.
François Hollande a donc décidé de violer cet engagement. Plus grave que cela ! La supposée habileté du dispositif à retardement est en réalité une injustice puisque la mesure revient à faire payer la réforme par les salariés… les plus jeunes. C'est en effet la génération née en 1973 et après qui, à partir de 2035, passera aux 43 ans d'activité exigibles pour une retraite à taux plein.
Quant aux hausses de cotisations sociales, elles sont optiquement équilibrées, puisque les salariés vont apporter 3,2 milliards d’euros sous la forme d’une hausse de 0,3 point des cotisations retraite, échelonnées de 2014 à 2017 ; et les entreprises vont aussi apporter 3,2 milliards sous la forme d’une hausse de leurs propres cotisations retraites. Mais on sait que cet équilibre n’est qu’apparent, puisque Jean-Marc Ayrault a, dans la foulée, promis aux entreprises de prolonger le « choc de compétitivité » engagé l’an passé.
Après les 20 milliards d’euros de crédit d’impôt offerts aux entreprises l’an passé, sans la moindre contrepartie, ces mêmes entreprises vont donc profiter d'une nouvelle mesure d’allègement de charges sociales, visant à compenser les 3,2 milliards d’euros découlant de leurs hausses de cotisation retraite. De telle sorte que la réforme des retraites, mise à part quelques mesures annexes, comme sur la pénibilité, soit pour elles quasiment indolore et que le coût du travail reste inchangé.
Or qui va donc, en bout de course, payer cette somme de 3,2 milliards d’euros, qui seront prélevées dans un premier temps sur les entreprises sous la forme d’une hausse de leurs cotisations retraite, et qui leur sera tout aussitôt restituée sous la forme d’un autre allègement de charges sociales ? Pour l’heure, le gouvernement n’a pas encore dit précisément les modalités de cette réforme complémentaire. Mais on sait qu’il réfléchit dans la foulée à une réforme du financement de la protection sociale, au terme de laquelle les cotisations familiales employeurs pourraient être allégées ou supprimées.
Il n’est donc pas besoin d’être grand clerc pour deviner le tour de bonneteau qui se prépare : via la CSG ou l’impôt, ce devraient donc être les salariés qui, en fin de compte, seront les dindons de la farce, puisque, au total, ce sont eux qui paieront en lieu et place des entreprises.
Ce choix est donc économiquement et socialement hautement contestable, pour de très nombreuses raisons. Parce que le pouvoir d’achat des Français enregistre déjà actuellement une chute historique, depuis 1984, et que cette rafale de nouvelles ponctions vont encore contribuer à le dégrader. Et puis parce que ce dispositif va contribuer à déformer encore un peu plus le partage des richesses entre capital et travail ; et va contribuer aussi à creuser les inégalités des Français face au système fiscal français.

2. Pourquoi les entreprises sont-elles épargnées ?

C’est évidemment une question-clef car au travers de cette réforme des retraites, qui protège le capital et accable le travail, le gouvernement vient confirmer (s’il en était besoin !) qu’il entend mener une politique de l’offre, celle préconisée de longue date par la droite et les milieux d’affaires, et tourner le dos à une politique de la demande, qui a longtemps été le cap privilégiée par la gauche. Et cette soumission à la doxa libérale est dangereuse, pour plusieurs raisons majeures.
La première raison a trait au partage des richesses entre capital et travail, qui s’est de plus en plus déformé ces dernières décennies, à l’avantage du premier et au détriment du second. C’est la politique dite de « désinflation compétitive » (en clair, la politique des salaires bas et du chômage élevé) lancée par les socialistes en 1982-1983 qui a inauguré cette déformation historique. Et puis le basculement progressif du capitalisme français vers un modèle à l’anglo-saxonne, avec pour règle un primat des actionnaires, a encore creusé la tendance.
Résultat : la France est entrée dans un nouveau capitalisme, beaucoup plus tyrannique que le précédent; un capitalisme où les actionnaires comptent beaucoup, et les salariés très peu – un capitalisme donc qui ignore le compromis social. C’est en quelque sorte cette soumission à ce capitalisme patrimonial de la part des socialistes que révèle donc cette réforme des retraites.
Car, le gouvernement avait, avec ce difficile dossier, une formidable occasion pour redessiner ce partage entre capital et travail. Mais finalement, il y a donc renoncé. Et la reculade, comme on vient de le voir, est totale. Pas la moindre esquisse de compromis entre le monde des employeurs et celui du monde des salariés ! Cette réforme des retraites révèle le partage radicalement inégal qui est la règle sous ce capitalisme d’actionnaires : tout à la charge des salariés ! Rien à la charge des entreprises et de leurs actionnaires ! C’était la règle sous Nicolas Sarkozy ; tristement, cela reste la règle sous François Hollande. Et il n’y a pas même un petit geste, fut-il symbolique, sauf dans le cas de la pénibilité, pour faire illusion.
Et le plus grave dans ce renoncement, c’est que le gouvernement n’a pas la moindre explication à avancer pour le justifier. Ou plutôt si, il en a une : ce serait la compétitivité des entreprises qui exige ce choix. Mais cette excuse, en vérité, n’en est pas une. A l’automne 2012, Matignon et l’Elysée avaient en effet déjà usé de cette argutie, pour justifier le cadeau de 20 milliards d’euros apporté aux entreprises sous la forme d’un crédit d’impôt – c’est-à-dire la mise en œuvre, sous des modalités à peine différentes, du plan défendu pendant la campagne présidentielle par Nicolas Sarkozy, et vivement contesté par… François Hollande.
Mais de nombreuses études ont, à l'époque, établi que, contrairement à ce que prétendaient le patronat et la droite, la France ne souffrait d’aucun problème de coût du travail, notamment vis-à-vis de l’Allemagne, et qu’il y avait une véritable campagne d’intox autour de ce soi-disant problème de compétitivité des entreprises françaises. Toutes ces études, il est possible de les retrouver en consultant les analyses que j’avais écrites à l’époque : Economie : Hollande se renie et copie Sarkozy ou Compétitivité : sous le choc, l’intox.
L’intox autour de cette question de la compétitivité est d’autant plus avéré que le cadeau de 20 milliards d’euros fait aux entreprises, sur le dos des consommateurs assujettis à la TVA, n’a donc été assorti d’une aucune contrepartie. En clair, pas d’accord contractuel pour favoriser l’emploi ou l’investissement : le crédit d’impôt ne va générer que des effets d’aubaine. Un groupe du CAC 40 peut tout bonnement profiter des bonnes grâces du gouvernement et s’en servir pour arrondir… les dividendes servis à ses actionnaires. C'est la mise en garde lancée à l'époque par de nombreux économistes : cet immense transfert de charges au profit des entreprises et au détriment des salariés va générer seulement des effets d'aubaine, mais pas d'effets économiques.
En clair, c’est une politique de redistribution pour laquelle les socialistes ont opté. Mais une redistribution à l’envers : les consommateurs modestes, et même pauvres, vont partiellement financer des cadeaux dont pourront éventuellement profiter les actionnaires des groupes les plus riches. Les bras vous en tombent !
C’est donc dans cette même logique que s’inscrit totalement la nouvelle réforme des retraites. Elle vient couronner ce que, dans un livre récent, j’avais appelé une « étrange capitulation » , dans un clin d’œil à l’essai célèbre du grand historien Marc Bloch, L’Étrange défaite

3. Les inégalités sociales vont-elles encore se creuser ?

C’est la seconde très grave inquiétude que soulève cette réforme des retraites, car elle vient prolonger une autre démission, celle face à la réforme fiscale qui avait été promise par François Hollande pour corriger les inégalités.
Cette réforme des retraites comprend en effet une autre surprise : le gouvernement fait donc appel aux cotisations retraite et non pas un autre prélèvement, par exemple la Contribution sociale généralisée (CSG) pour boucher les trous du régime. Or, on le sait, les cotisations sociales, même déplafonnées, sont socialement beaucoup plus injustes que la CSG, qui, elle,  a une assiette d’imposition très large et frappe non seulement les revenus du travail mais aussi ceux, partiellement, de l’épargne.
Le choix des cotisations retraite est donc socialement très contestable. D’autant que cette priorité donnée par le gouvernement aux prélèvements les plus inégalitaires n’est pas franchement une nouveauté. Déjà, François Hollande a donc pris la très lourde responsabilité de recourir partiellement à une hausse de la TVA pour financer le « choc » de compétitivité – TVA que les socialistes ont toujours dénoncé dans le passé comme figurant parmi les impôts les plus injustes. Et puis, il y a donc vraisemblablement dans les tuyaux une nouvelle hausse de prélèvements, sans doute du même type, pour financer la compensation promise au Medef pour annuler la hausse des cotisations retraites.
En résumé, les socialistes sont donc en train de remodeler le système français des prélèvements sociaux et fiscaux de la pire des manières qui soit : en privilégiant les prélèvements les plus inégalitaires, ceux qui sont les plus dégressifs, c’est-à-dire, ceux qui pèsent le plus sur les salariés les plus modestes, sinon même les pauvres.
Or cette cascade de prélèvements nouveaux intervient alors que le gouvernement a renoncé dans le même temps à la « révolution fiscale » promise pendant la campagne présidentielle, visant à refonder en France, un grand impôt citoyen et progressif, assujettissant enfin un peu plus les hauts revenus, et redonnant du pouvoir d’achat aux plus modestes, sur le modèle de ce que préconisait par exemple l’économiste Thomas Piketty.
Tout cela est évidemment pathétiquement logique : puisque le gouvernement, dès l’alternance, a renoncé à une grande réforme fiscale, pour rendre le système fiscal un peu plus juste, il en est réduit à piocher désormais dans les prélèvements sociaux les plus inégalitaires. Et le résultat de tout cela est accablant : comme l’avait établi une étude dès l'an passé (lire Impôts : les injustices n’ont (presque pas été corrigées), la France reste un pays qui a des allures de paradis fiscal pour les plus riches tandis que le travail est accablé. En somme, la fameuse « Nuit du 4-Août » promise par la gauche n’a jamais été engagée. Et les privilèges, fiscaux mais pas seulement, n’ont en rien été ébranlés par l’alternance.
Bref, la réforme des retraites aurait certes pu être encore plus violente. Il n’empêche ! Sa philosophie est toute entière empruntée aux cercles dominants des milieux d’affaires et de la droite. Dans l’Étrange défaite, à laquelle je faisais à l’instant allusion, Marc Bloch a ces mots terribles : « Il est bon, il est sain que, dans un pays libre, les philosophies sociales contraires s’affrontent. Il est, dans l’état présent de nos sociétés, inévitable que les diverses classes aient des intérêts opposés et prennent conscience de leurs antagonismes. Le malheur de la patrie commence quand la légitimité de ces heurts n’est pas comprise. »
C’est un peu le malheur de nos socialistes d’aujourd’hui, qui gouvernent 
la France comme des notaires tristes…


C’est vraiment une politique fiscale injuste que dévoile, jour après jour, le gouvernement socialiste. Tournant le dos à la grande réforme promise pendant la campagne présidentielle pour instiller un peu d’équité dans un système qui, au fil des ans, est devenu gravement inégalitaire et avantage surtout les hauts revenus, les ministres des finances et du budget, Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve, ont à l’évidence une stratégie cachée. Annonçant au compte-gouttes leurs mesures nouvelles pour 2014, ils préparent, mais sans le dire publiquement, un immense transfert de charges à l’avantage des entreprises, y compris des plus grandes, et au détriment des contribuables, y compris les plus modestes. En somme, en lieu et place de la« révolution fiscale » promise par François Hollande, c’est une contre-réforme qui prend forme. Et qui plus est, dans les pires des conditions, car le gouvernement ne joue pas cartes sur table et n’affiche pas clairement ses intentions. Disons-le brutalement : il y a même une part de duperie dans la façon dont les dernières mesures ont été annoncées.
Revoyons en effet le film fiscal auquel nous avons assisté depuis l’alternance, et celui qui s’est brutalement accéléré depuis le milieu de l’été.
D’abord, il y a eu la phase I, si l’on peut dire : sitôt installés aux commandes, au lendemain de l’élection présidentielle, les socialistes ont immédiatement oublié qu’ils avaient effectivement promis au pays une grande « révolution fiscale », visant à réintroduire de la progressivité dans le système français des prélèvements, système qui est devenu dégressif et qui avantage les plus riches. Cette révolution devait notamment prendre la forme d’une fusion de l’impôt sur le revenu et de la Contribution sociale généralisée (CSG). Résultat : la grande réforme n’a pas même été évoquée par Jean-Marc Ayrault, en juillet 2012, lors de sa déclaration de politique générale. Et dans la foulée, le gouvernement a décidé, à l’automne 2012, de maintenir en l’état les « niches fiscales » les plus scandaleuses, celles qui profitent aux plus hauts revenus au travers des systèmes de défiscalisation dans les DOM-TOM ou le cinéma. Dans la même logique, le gouvernement a aussi oublié la promesse qu’il avait faite de rétablir l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF), dans l’état où il était avant que Nicolas Sarkozy ne le vide comme un gruyère. Car, pour finir, il a été décidé que le seuil de déclenchement de l’ISF resterait fixé à 1,3 million d’euros de patrimoine, contre 800 000 euros auparavant, conformément à la réforme sarkozyste, et que le taux supérieur de 1,8 % ne serait pas rétabli.
Ensuite, il y a eu la phase II : celle non plus de l’oubli des promesses électorales, mais celle des reniements. Cela a pris la forme, à l’hiver 2012-2013, de l’annonce de ce soi-disant choc de compétitivité, au terme duquel il a été décidé que 20 milliards d’euros seront apportés aux entreprises sous la forme d’un crédit d’impôt et que les ménages seraient mis à contribution pour financer le dispositif.
Avec le recul, cette réforme apparaît encore beaucoup plus importante – et plus grave – qu’on a pu, sur le moment, le penser. D’abord, à cause des caractéristiques mêmes de la réforme, pour le moins injustes, qui ont été à l’époque dévoilées. On sait en effet, comme Pierre Moscovici l’a encore répété récemment devant les patrons du Medef, que ces cadeaux fiscaux seront « sans contrepartie ». En clair, les groupes du CAC 40 pourront tout bonnement abonder encore un peu plus les dividendes qu’ils servent à leurs actionnaires. Le même Pierre Moscovici a aussi annoncé la semaine passée – les bras vous en tombent ! – que le cadeau sera offert« sans contrôle fiscal » – avis à ceux qui pourraient être tentés par la triche !
Et, pour financer ce dispositif, le gouvernement a, à l’époque, annoncé qu’il prendrait différentes mesures à la charge des ménages ou des consommateurs, dont une majoration de certains des taux de TVA, à compter du 1er janvier 2014. En clair, les socialistes, qui critiquent de très longue date la TVA au motif qu’il s’agit d’un impôt parmi les plus injustes pesant relativement plus sur les bas revenus que sur les hauts, ont fait l’exact contraire de ce qu’ils avaient promis. Eux qui avaient dénoncé avec virulence – et à juste titre ! – la hausse de la TVA, décidée au début de 2012 par Nicolas Sarkozy, ont choisi finalement de poursuivre le même projet, sous des modalités à peine modifiées.
Mais avec le recul, peut-être n’avait-on pas deviné – le gouvernement n’a certes rien fait pour nous éclairer sur ses véritables projets – que cette première réforme, visant à organiser un gigantesque transfert de charges à l’avantage des entreprises et au détriment des salariés, ne serait qu’une première étape. Et que ce transfert, économiquement contestable et socialement très inégalitaire, allait être amplifié par de nouvelles réformes.

Tour de bonneteau au détriment des familles
Car c’est précisément ce qui est en train d’advenir, dans cette phase III que nous sommes en train de vivre : sans le dire vraiment, le gouvernement est en train d’accélérer cette très injuste politique. La contre-réforme conduite par les socialistes, la voilà : dans une logique ultra-libérale, le gouvernement est en train de donner raison au patronat sur la quasi-intégralité de ses demandes et tend à faire peser sur les salariés et les consommateurs l'intégralité des efforts fiscaux. Dans la période récente, aucun gouvernement, même de droite, n'avait conduit une politique à ce point en sens unique.
Examinons en effet les tours de bonneteau de ces derniers jours : on aura tôt fait de discerner que c’est la même politique de transferts de charges qui se poursuit. Quand il a annoncé sa réforme des retraites, à la fin du mois d’août (lire Retraites : vive le capital ! A bas le travail !), Jean-Marc Ayrault s’est, certes, gardé de le dire. Dans l’affichage des mesures, il a même eu un souci apparent d’équilibre puisque au titre des hausses de cotisations retraites annoncées, employeurs et salariés ont été logés à la même enseigne, avec à la clef une progression de 0,3 % de leurs cotisations, soit un effort à terme de 3,2 milliards d’euros pour les uns comme pour les autres.
Mais dans la foulée de l’annonce de ces mesures, on a appris le même jour que, en fait, la hausse des cotisations retraite pour les employeurs, pourrait être compensée partiellement. Au soir de l’annonce de ce plan, on n’avait donc guère qu’une certitude : au moins, les entreprises auraient à leur charge une partie du financement de l’un des volets de la réforme des retraites, celle qui a trait à la pénibilité.
Or, en fait, au fil des jours suivants, on a découvert que le gouvernement s’était bien gardé de révéler le fin mot de l’histoire. D’abord, la promesse a été faite au patronat que même le volet pénibilité de la réforme des retraites ouvrirait droit pour lui à une compensation. C’est l’AFP, le vendredi 30 août, par une dépêche diffusée à 12 h 51, qui l’a suggéré : « Le président du Medef Pierre Gattaz a affirmé vendredi avoir obtenu du gouvernement un "engagement oral" que les coûts découlant de la création d’un compte de pénibilité en 2015 seraient compensés pour les entreprises. "J’ai eu un engagement oral que la pénibilité sera aussi prise en compte dans cette compensation", a déclaré vendredi sur RTL le président de la principale organisation patronale française". »
Mais la veille, jeudi 29 août, lors des universités d’été du Medef, le ministre des finances, Pierre Moscovici, avait lui-même levé un coin du voile sur les vrais projets du gouvernement. Dans son intervention, il avait en effet annoncé aux patrons que la hausse de leurs cotisations retraite « sera intégralement compensée par une baisse des cotisations famille ». Intégralement ! En clair, la réforme des retraites sera intégralement à la charge des salariés, et pas le moins du monde à la charge des entreprises, ni de leurs actionnaires…
Et qui paiera cette baisse des cotisations famille patronales, si généreusement annoncée par Pierre Moscovici ? Sur le moment, le ministre des finances s’était bien gardé de dévoiler le pot aux roses, même si on pouvait déjà deviner le tour de bonneteau en préparation. Mais maintenant, on sait précisément à quoi s’en tenir : encore et toujours, ce sont les ménages qui vont financer ces cadeaux dispendieux faits aux entreprises, avec pour elles de simples effets d’aubaine en perspective, mais aucun effet prévisible sur l’emploi ou l’investissement.
C’est le journal Les Échos de ce jeudi qui donne la clef du mystère. Il révèle en effet que près de 500 millions d'euros devraient être économisés sur les niches fiscales pour frais de scolarité dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014. L’exécutif compte également supprimer la niche bénéficiant aux familles ayant des enfants scolarisés dans le supérieur. Explication du quotidien : « Dans le cadre de la réforme des prestations familiales, le gouvernement avait annoncé début juin son intention de supprimer la niche concernant les élèves scolarisés dans le secondaire. Montant affiché alors de l’économie: 235 millions d’euros (…)  Selon les documents budgétaires, la niche bénéficiant aux enfants scolarisés au collège et au lycée concerne 2,2 millions de ménages. Pour ceux-là, l’impôt sur le revenu devrait augmenter en moyenne de 12 euros par mois. »
Mais le journal poursuit en expliquant que le gouvernement a finalement décidé d’amplifier la mesure : « À la recherche d’argent, l’exécutif a toutefois décidé au cours de l’été d’élargir le champ de la mesure. La réduction d’impôt concernant les enfants scolarisés dans l’enseignement supérieur, dont bénéficient 1,15 million de ménages, devrait du coup être elle aussi supprimée. Avec, à la clef, 210 millions d’euros de recettes supplémentaires, portant le total de la somme à 445 millions d’euros, pour la suppression de ces deux avantages fiscaux. » Conclusion des Échos : « Pour les familles concernées, la suppression de ces deux niches se traduira bien par une hausse de l’impôt sur le revenu. Qui s’ajoutera au milliard d’euros de recettes supplémentaires attendues de l’abaissement de 2 000 à 1 500 euros du plafond de l’avantage lié au quotient familial. »
Et où ira cette somme qui sera prélevée dans la poche des familles qui ont à financer les études de leurs enfants, lycéens ou étudiants ? Nous y voilà ! Le journal donne le fin mot de l’histoire : « Le rendement de la suppression des deux niches sera affecté au financement de la branche famille. »
Et tout ce projet est à l’évidence très avancé puisque le ministre délégué au budget, Bernard Cazeneuve, n’a pas souhaité démentir les informations du quotidien. En creux, il les a même validées, puisque, interrogé sur la possible suppression de ces deux avantages fiscaux consentis aux familles, il s’est juste borné à annoncer des mesures d’accompagnement : « Le gouvernement mobilisera les moyens pour accompagner de façon significative les étudiants et notamment les plus défavorisés », a-t-il juste relevé. A la chaîne Public Sénat, le président de l'Unef, Emmanuel Zemmour d'ailleurs indiqué ce jeudi que le syndicat étudiant avait obtenu la « confirmation officielle » de la remise en cause de cet avantage fiscal dans le cadre du budget 2014.
CQFD ! C’est donc bel et bien un gigantesque transfert de charge au détriment des ménages que le gouvernement veut poursuivre, mais sans l’afficher ouvertement. Un transfert de charges en catimini dont on devine par avance les immenses dangers : il risque de gonfler les profits des grandes entreprises, mais ni l’emploi ni l’investissement ; et dans le même temps, il risque de pousser encore à la baisse un pouvoir d’achat des salariés qui enregistre actuellement une baisse historique depuis 1984.
Voilà ce qu’incarne aujourd’hui Pierre Moscovici, le ministre du Medef :
une politique fiscale authentiquement conservatrice.



« Bon appétit, messieurs !
Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n'avez pas honte et vous choisissez l'heure,
L'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure !
Donc vous n'avez
ici pas d'autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
.../...
l'Europe, hélas ! Écrase du talon
Ce pays qui fut pourpre et n'est plus que haillon.
L'état s'est ruiné dans ce siècle funeste,
Et vous vous disputez à qui prendra le reste !

Victor Hugo "Ruy Blass"