mardi 8 septembre 2015

Réfugiés : la droite est prise à son propre piège




Depuis la parution des photos de l'enfant syrien, la droite française se heurte à ses propres contradictions. Engoncé dans ses positionnements électoraux et sa quête des électeurs FN, le parti de Nicolas Sarkozy peine à trouver un équilibre. Et sombre, une fois de plus, dans le grand n'importe quoi.
Le mépris et la haine sont sans doute les écueils
 dont il importe le plus aux princes de se préserver.
Machiavel "Le prince"

Insoutenable. Ils n’ont plus que ce mot à la bouche. Depuis la parution des photos d’Aylan Kurdi, un enfant syrien de trois ans retrouvé mort sur une plage turque, une partie de la droite française crie son indignation face à l’horreur. Samedi 5 septembre, les ténors de LR (ex-UMP) se retrouveront à La Baule (Loire-Atlantique) pour une rentrée politique commune. François Fillon, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy y prendront tous trois la parole. L’occasion pour eux de s’exprimer sur la crise des migrants, sujet qu’ils se sont pour l’heure contentés de survoler, multipliant amalgames, contresens et déclarations hasardeuses.


Après des semaines à laisser Nadine Morano expliquer que les réfugiés devraient « se battre pour leur pays » au lieu de le fuir, le parti de la rue de Vaugirard commence à changer de ton. Certes l'eurodéputée continue à twitter des questions aussi pertinentes que « la France et l'Allemagne vont-elles assurer aussi les transports pour venir en Europe ? ». Mais face à l’émotion suscitée par les photos du petit garçon, difficile pour les élus un tant soit peu sérieux de persister dans le discours du “chacun chez soi, on ferme les frontières”. Jeudi 3 septembre, c’est Nathalie Kosciusko-Morizet qui, la première, a fait entendre un nouveau son de cloche. « L’Europe est comme paralysée, tétanisée, depuis des semaines, et même des mois en fait, devant cette situation, et il y a un moment où ça va virer au déshonneur, a-t-elle affirmé sur France Inter. Elles sont où les réunions d’urgence pour qu’on arrête de mourir sur les plages de l’Europe ? »

On ne peut guère reprocher à la vice-présidente de LR d’adapter son discours à la situation. De dire tout et son contraire, comme le font bon nombre de ses camarades de l’opposition, tel le député Éric Ciotti, qui depuis des mois appelle à en finir avec « cette fausse générosité » à l’égard des migrants. Qui propose de « détruire les bateaux » des passeurs. Qui explique que le mot « migrants masque la réalité », car il s’agit en réalité « pour la plupart » de « clandestins qui veulent venir en Europe ». Et qui, scrupules en deuil, finit tout de même par twitter, jeudi matin : « Image d’horreur insoutenable que celle d’une enfance sacrifiée. Indignation & écœurement face à l’inaction intolérable de la communauté int[ernationale]. »

Nathalie Kosciusko-Morizet n’en est certes pas au même niveau de cynisme que d’autres élus de sa famille politique, mais son intervention n’en demeure pas moins gênante. Car si elle reconnaît qu’une « confusion a été entretenue – y compris dans les médias – entre l’immigration économique, le droit d’asile, entre les migrants et les réfugiés », jamais elle ne remet en cause la responsabilité de son parti dans l’affaire, encore moins celle de Nicolas Sarkozy, qui ne cesse d’organiser la surenchère à droite sur le sujet. La numéro 2 de LR n’a « pas envie de rentrer dans cette polémique ». Elle ne veut pas s’appesantir sur la comparaison plus que douteuse – la fameuse « fuite d’eau » – dans laquelle s’était lancé, en juin dernier, l’ex-chef de l’État pour dénoncer la proposition de la Commission européenne d’une répartition des migrants entre les pays européens. Dès lors, son propos reste inaudible.

La crise des migrants agit comme un révélateur de l’impasse dans laquelle se trouve la droite française. Engoncée dans ses positionnements électoraux – en vue de la primaire de 2016 et vis-à-vis du discours FN –, l’opposition peine à trouver un équilibre sur l’un de ses marqueurs : l’immigration. Pour éviter la chute, elle attaque tous azimuts : François Hollande, l’Europe, Daech... Et quiconque pourrait lui éviter un semblant d'autocritique. 

« L’ambivalence de la parole des Républicains sur cette crise des migrants est le reflet du tiraillement de ce parti entre deux lignes, l’une portée par l’axe Sarkozy-Estrosi-Ciotti de plus en plus proche du FN, l’autre timidement défendue par ceux qui n’oublient pas leur proximité politique avec les chrétiens-démocrates européens », a souligné la porte-parole socialiste Corinne Narassiguin, dans une déclaration à l’AFP, après les propos tenus en début de semaine par la porte-parole de LR, Lydia Guirous. En déclarant, lundi 31 août, qu’il fallait « fermer les frontières, arrêter Schengen, arrêter la libre circulation et aider ces pays à se développer, avoir une véritable lutte contre ces réseaux de trafiquants d’êtres humains et lutter avec une coalition internationale et des troupes au sol contre Daech et contre toutes les organisations terroristes, que ce soit en Afrique ou au Moyen-Orient », Lydia Guirous a suscité un certain malaise au sein de son propre parti. À tel point que Sébastien Huygues, l’autre porte-parole de LR, l’a immédiatement corrigée :« Quand on dit les fermer [les frontières – ndlr], c’est que les règles pour entrer soient appliquées [...], que les gens ne rentrent pas clandestinement d’une manière massive, c’est ça que nous entendons. »

Première grande rupture entre Merkel et Sarkozy

La porte-parole du PS se trompe lorsqu’elle évoque seulement deux lignes rue de Vaugirard. Car en réalité, l’opposition en compte des dizaines. Elles varient en fonction des ambitions de chacun, de l’actualité, de l’émotion, des effets d’opportunisme. La campagne des régionales et les prises de position des deux candidats opposés le plus frontalement au FN – Christian Estrosi en PACA face à Marion Maréchal-Le Pen et Xavier Bertrand dans le Nord-Pas-de-Calais face à Marine Le Pen – en font la démonstration. Pour draguer les électeurs frontistes, les deux élus LR n’hésitent pas à reprendre les mots de l'extrême droite, quitte à verser dans le grand n’importe quoi.

Pour le député et maire de Nice, la bonne solution consiste ainsi à stopper le flux de migrants car « nous n'avons pas les moyens de les accueillir et les loger avec la dignité nécessaire »« Surtout quand nous ne pouvons pas répondre à des centaines de milliers de Français en termes de chômage et d'emploi. Et, dans ces migrants, on le sait, il y a des terroristes de Daech qui s'infiltrent », a-t-il affirmé mi-août sur France Info. À la fin du même mois, c’est Xavier Bertrand qui lançait sur RTL : « Ceux qui sont clandestins, ceux qui s'introduisent sur Eurotunnel ou dans les camions en détruisant des bâches, donc en commettant des délits, doivent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. »

À côté des régionales, c’est une autre campagne qui coince les ténors de la droite. Ayant programmé de s’exprimer sur l’immigration dans leurs livres respectifs, Alain Juppé et François Fillon, tous deux candidats à la primaire de 2016, ont été contraints d’accélérer leur calendrier. Le 26 août, sur son blog, le maire de Bordeaux a repris la célèbre formule de Michel Rocard – « L’Europe ne peut pas accueillir toute la misère du monde » – pour développer ce qu’il qualifie de « failles du système » : Schengen et l’agence qui en est chargée (Frontex), dont il pense qu’elle est « dans l’incapacité d’assurer le contrôle des frontières externes de la zone » ; et le droit d’asile, une procédure à ses yeux « détournée de son objet » et « utilisée comme un moyen de contourner la suspension ou l’encadrement de l’immigration économique ».

Comme lui, François Fillon s’inquiète dans son « manifeste pour la France » de voir« les dérives » mettre en péril le droit d’asile. Pour autant, les deux hommes ont choisi de se démarquer de la « fuite d’eau » de Nicolas Sarkozy en insistant sur le caractère humain que nécessite la gestion de la crise. Ainsi, l’ancien premier ministre s’est-il rallié jeudi à la position d’Angela Merkel, qui appelle l’Europe – et en particulier les pays d’Europe centrale – à être fidèle à ses valeurs en respectant la « dignité de chaque être humain ». « Le droit d'asile est sacré, a écrit Fillon sur son blog. Avec courage et dignité, Angela Merkel est à l'action pour forcer l'Europe à prendre ses responsabilités en matière de politique migratoire. »

En prenant fait et cause pour l’exemple allemand, l’ancien premier ministre va même plus loin qu’Alain Juppé, qui ne s’est pas encore explicitement exprimé sur le mécanisme européen de quotas contraignants. Défendue par Angela Merkel et critiquée par Nicolas Sarkozy, cette proposition marque la première grande rupture entre les deux responsables politiques. L’ancien chef de l’État, qui se targue d’avoir toujours conservé une très grande proximité avec la chancelière allemande, bute contre la ligne anxiogène avec laquelle il pense encore pouvoir séduire les “Madeleine” qui lui ont préféré Marine Le Pen en 2012. Lundi à Tunis, Nicolas Sarkozy s’en est ainsi pris au président français, qu’il juge responsable de la situation qui règne en Libye voisine. « Depuis trois ans, la Libye a été abandonnée. Aujourd’hui, c’est un pays à la dérive » !!!, a-t-il affirmé face aux journalistes, avant de regretter que son successeur n’ait délaissé l’Union pour la Méditerranée, fondée sous son quinquennat et balayée par les printemps arabes. « Il faut mobiliser les moyens économiques pour permettre à la démocratie tunisienne de s’installer dans la paix car il n’y a pas de différence entre l’enjeu sécuritaire et l’enjeu économique », a-t-il affirmé. Jusqu’au bout, il avait soutenu sans réserve Zine el-Abidine Ben Ali, balayé par la révolution tunisienne le 14 janvier 2011 ; Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’intérieur, proposant même d’aider la police tunisienne face aux manifestants. Pour effacer ce soutien de la France au dictateur, Nicolas Sarkozy avait par la suite dépêché sur place un nouvel ambassadeur, Boris Boillon, dont l’attitude de « Sarkoboy » avait fait scandale. Débarqué de Tunis peu après l’élection de François Hollande, l’ancien diplomate avait été interpellé gare du Nord, en juillet 2013, avec 350 000 euros en liquide.

L’ex-chef de l’État a beau se pousser du col et mettre en avant son bilan, son passif ne plaide pas en sa faveur. Durant son quinquennat, il a entretenu avec ses homologues étrangers des relations pour le moins délicates. Pendant cinq ans, son “je t'aime moi non plus” avec Angela Merkel a largement nourri la chronique. Longtemps, la chancelière allemande l’a surnommé « Monsieur Blabla », moquant ses gesticulations à travers l’expression « président Duracell »,  « l'arrogance », « l'ego surdimensionné », « l'hyperactivité » et « les maladresses » du « président bling-bling »français. Des qualificatifs recyclés plus tard par l’ancien chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, qui avait indiqué au quotidien Il Giornale que « l’ancien président Nicolas Sarkozy est une personne dont l’arrogance l’emporte sur l’intelligence ».


Des “camps de rétention” pour les migrants en Afrique du Nord, mais aussi en Serbie et en Bulgarie : la proposition de l’ex-chef d’Etat français provoque une vague de moqueries et de commentaires indignés sur la Toile bulgare.



 

Qu’importe l’urgence dont parle Nathalie Kosciusko-Morizet, Sarkozy ne dévie pas de son objectif. Selon LeMonde, il réfléchirait même à l’éventualité de fermer les frontières nationales « lors d’une crise migratoire ».« Il s’agirait de renforcer les contrôles aux frontières, pas de les fermer », tempère auprès de Mediapart le sénateur François-Noël Buffet, secrétaire national LR en charge de l’immigration, qui planche sur la journée de travail que la rue de Vaugirard consacrera au sujet le 16 septembre. En attendant « la clarté » et « le travail de pédagogie »promis par ce dernier, chacun continue à parler à tort et à travers. À s’inquiéter que l’Europe accueille d’autres réfugiés tout en réclamant l’asile politique pour les chrétiens d’Orient. Et à multiplier les paradoxes.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire