mercredi 19 septembre 2012

Intouchables ?

« Le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire,

 c’est d’obliger à dire. »

Roland Barthes

 

L'islam n'interdit pas la représentation de Mahomet

Cet assassinat de l’ambassadeur des États-Unis en Libye, et ces attaques contre toutes les ambassades américaines, et parfois tout simplement occidentales, à travers le monde, marquent une escalade dans le processus qui avait déjà vu la fatwah contre Salman Rushdie, l’assassinat de Théo Van Gogh ou les menaces contre les caricaturistes danois de Mahomet, mettre le feu aux poudres.

Une étape supplémentaire est franchie : on est face à des intégristes qui œuvrent pour des sociétés dans lesquelles l’État dicterait à chacun ce qu’il peut faire et ne pas faire – et alors, tout représentant de l’Etat serait effectivement co-responsable de tout acte commis par n’importe lequel de ses ressortissants, qu’il ne pourrait qu’avoir préalablement autorisé : des sociétés dans lesquelles toute responsabilité devient alors collective, et non individuelle, puisque le libre-arbitre a disparu.

L’idée d’une société dans laquelle un citoyen pourrait réaliser un film sans en demander l’autorisation à qui que ce soit, et en particulier à l’Etat, leur est insupportable, voire inconcevable.

Ironie de l’Histoire : cet assassinat de quelqu’un qui n’était pour rien dans ce film, qui peut-être en ignorait l’existence ou bien le désapprouvait vivement, a aussi eu lieu un 11 septembre, date d’une autre manifestation, encore plus spectaculaire, de l’idée de culpabilité et de punition collectives et aveugles.

Derrière cet assassinat, il y a bien deux conceptions des sociétés humaines qui s’affrontent : celle de la responsabilité individuelle, et celle de la culpabilité et du châtiment collectifs et indifférenciés.

On remarquera d’ailleurs :
·         Que l’immense majorité des manifestants contre ce film, à travers le monde, ne l’ont sans doute pas vu, ignorent s'il existe vraiment ou pas (seule existerait sa bande-annonce) et qu’il a été réalisé par un Egyptien.
·         Que l’organisation de ces manifestations d’indignation n’a rien de spontané
On est face à une religion qui connaît une poussée d’intégrisme (comme l’hindouisme, d’ailleurs, et comme toutes les autres en ont connu à d’autres époques. Toute religion est potentiellement intégriste, et l’intégrisme ne connaît que les limites qu’on lui impose) et qui cherche à repousser chaque jour davantage les limites; à travers ce film (qui est sans doute complètement nul, qui n’existe d’ailleurs peut-être pas et qui joue de la recette facile de la provocation pour attirer l’attention sur lui, tout comme l’ «apologie littéraire» de Breivik par Millet), c’est la liberté d’expression qui est en cause : car toute critique peut être vécue comme une provocation inacceptable par ceux qu’elle vise.

Mais qui fixe la limite de l’acceptable ? C’est pourquoi le droit au blasphème contre toute religion – qui n’est pas le droit d’attaquer ses croyants et leur foi – doit être sauvegardé, au même titre que celui du blasphème contre toute idéologie politique.

Les textes condamnent l'idolâtrie, mais la figuration n'est jamais expressément condamnée.
L'islam autorise-t-il la représentation du prophète Mahomet ? Contrairement aux idées reçues, représenter Mahomet n'est pas interdit. Interrogé lors de l'incendie criminel des locaux de Charlie Hebdo en novembre 2011 après la publication d'un numéro spécial rebaptisé "Charia hebdo" avec en Une la caricature d'un prophète Mahomet hilare, le spécialiste de l'islam, Malek Chebel, (auteur d'une nouvelle traduction du Coran et d'un "Dictionnaire encyclopédique du Coran") expliquait qu'"aucun texte fondateur de l'islam ne formule comme telle une interdiction de la représentation de Mahomet" avant d'ajouter : "le prophète en son temps n'a pas laissé de disciples. L'ensemble des califes ont alors décidé dans un objectif d'unité de sanctifier l'image de ce messager de Dieu et sa personne a ainsi été sacralisée. Certaines hadiths (recueil des paroles de Mahomet, ndlr) ont en revanche donné une appréciation négative de la représentation".
Une image sacrée mais pas interdite


En réalité, les textes condamnent l'idolâtrie, le fait d'ériger des statues de divinités à adorer qui rivaliseraient avec Dieu, comme dans les religions polythéïstes. A la naissance de la religion musulmane, la destruction des idoles est même instituée. Au gré des évolutions des différentes écoles théologiques, cette loi s’est parfois durcie, parfois assouplie. Pour éviter un retour à l’idolâtrie, on est allé jusqu'à interdire n’importe quelle image représentant un objet, un animal ou un humain, au motif que seul Dieu peut créer. Au contraire, on retrouve des représentations figurées de Mahomet et de sa famille notamment dans les mondes iranien, turc et indien.
Mais la figuration n’est jamais expressément condamnée. "L'islam étant une religion abstraite, il a fallu cependant trouver un système pour représenter le prophète", explique Malek Chebel. "On a alors inventé la calligraphie qui est née dans les mosquées. Allah (Dieu d'Abraham) et le prophète Mahomet ont trouvé leurs représentations dans un graphème. En fait, l'équivalent des icônes représentant Jésus dans les églises", continue-t-il.
Des représentants musulmans prudents
Au moment de la publication du numéro spécial "Charia hebdo", de nombreux musulmans se sont sentis heurtés par la représentation de Mahomet, poussant certains, soupçonnés d'être des intégristes religieux, à incendier les locaux du journal.
Les représentants de la communauté musulmane avaient alors jugé le dessin moins violent que les caricatures publiées par l'hebdomadaire en 2006. Interrogé par "le Nouvel Observateur", le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, allait jusqu'à laisser le bénéfice du doute au journal quant à la ressemblance entre la caricature et la représentation qu'on peut se faire de Mahomet parlant de la "tête supposée de Mahomet". "Personnellement j'y vois plus un homme au nez crochu qui ressemble plus à Ben Laden. Ce dessin évoque moins directement le prophète". Grand seigneur, le recteur de la mosquée ? En page 3, c'était bien le même dessin qui y figurait sous le titre "L'édito de Mahomet".
Tout en condamnant l'incendie, Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM) avait lui rappelé pour sa part que "caricaturer le prophète" est "considéré comme une offense pour les musulmans". 
"Profanation politique"

 En France, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 adopte par la suite ce droit fondamental, qui relève de valeurs aussi bien laïque que démocratiques.  
L’article 10 de cette déclaration dispose que « tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ». La DDHC étant insérée dans le préambule de la Constitution de 1958, elle dispose depuis une décision du Conseil Constitutionnel d’une valeur constitutionnelle. Ainsi, la liberté d’expression a une valeur importante et doit être garantie par les pouvoirs publics.
L’article 10 regroupe « la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière ».

"Il ne faut pas voir cette indignation d'un point de vue religieux", estime Malek Chebel qui condamne lui aussi la violence exercée contre un organe de presse. "Il s'agit là d'une réaction à ce que j'appellerais une profanation politique. L'idée selon laquelle on peut s'autoriser tous les dépassements parce que l'islam n'est pas puissant, n'a pas de clergé qui peut se faire le porte-parole et le défenseur des musulmans".
Un avis que partage Dalil Boubakeur, qui insiste sur le fait que le journal satirique s'est avec ce précédent attaqué à la communauté musulmane de France. "La charia occupe aujourd'hui les Libyens, voire les Tunisiens, mais elle ne concerne pas les musulmans de France", regrette Dalil Boubakeur. "En impliquant ainsi la communauté musulmane de France, les journalistes de 'Charlie Hebdo' attisent les haines et les tensions communautaires".

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