Enquête sur les affaires de Bernard et Laurent Tapie
Depuis
que son ami Nicolas Sarkozy a pesé sur le cours de la justice dans l'affaire
Adidas-Crédit lyonnais et lui a permis de mettre la main sur 403 millions
d'euros, dont 304 millions sont tombés, en net, dans sa poche, Bernard Tapie
vit dans l’opulence. Acquisition en 2009 de l’un des plus beaux yachts du monde
pour 40 millions d’euros ; projet portant sur l’une des plus belles villas
de Saint-Tropez pour 47 millions d’euros : il dépense désormais sans
compter et vit dans le luxe. Reste une interrogation : mais que fait-il
donc du reste de son argent – de notre argent, ne peut-on s’empêcher de
dire, puisque tout ce magot a été pris dans la poche des contribuables ?
Pour
le comprendre, Mediapart a mené une longue enquête. Car de cela, Bernard Tapie
n’aime pas parler. En réalité, selon des confidences qu’il a faites à des
proches et dont Mediapart a obtenu confirmation, il estime qu’il existe un
risque, même faible, que l’arbitrage puisse être remis en cause. Du même coup,
Bernard Tapie a fait le choix de n’investir que très peu en France et dans des
conditions de forte confidentialité, l’essentiel de sa fortune ayant pris la
destination de la Belgique. La victoire de la gauche à la présidentielle l’a
conforté dans cette prudence. Faisant jouer ses relations politiques, cela ne
l’a pas empêché de construire un réseau complexe de structures financières,
installant le plus souvent son fils Laurent Tapie comme gérant, et même, aussi
stupéfiant que cela soit, de décrocher… des subventions publiques pour l’une
des jeunes entreprises qu’il a créées.
De ses investissements de confort – si on peut
les appeler comme cela –, on commence à connaître beaucoup de choses.
Comme Mediapart l’a révélé en début d’année, Bernard Tapie a d’abord fait
l’acquisition en 2009 d’un yacht luxueux, rebaptisé le Reborn,
qu’il loue à des milliardaires 800 000 euros la semaine, pour l’essentiel
des oligarques russes, ou qu’il utilise parfois pour son compte personnel .
Nous avons aussi révélé que Bernard Tapie est en passe d’acquérir pour 47 millions d’euros l’une des plus belles villas de Saint-Tropez. Ainsi s’envole l’argent public : Bernard Tapie y puise à pleines brassées pour mener ce qu’il faut bien appeler une vie de nabab.
Nous avons aussi révélé que Bernard Tapie est en passe d’acquérir pour 47 millions d’euros l’une des plus belles villas de Saint-Tropez. Ainsi s’envole l’argent public : Bernard Tapie y puise à pleines brassées pour mener ce qu’il faut bien appeler une vie de nabab.
Mais des autres usages que fait Bernard Tapie de son argent, et notamment dans la vie des affaires, on ne savait jusqu’à présent que peu de choses. De proche en proche, on a juste compris qu’il était en embuscade, flairant les bonnes affaires. En 2009, il a ainsi fait des déclarations publiques tonitruantes sur le Club Méditerranée, laissant entendre qu’il pourrait entrer au capital. Conseillé par Matthieu Pigasse, le banquier de Lazard – que Bercy a aujourd’hui enrôlé comme conseil pour le projet de Banque publique d’investissement –, il a tellement parlé de son projet que pour finir, cela n’a eu qu’un effet, celui d'en faire monter le cours – ce qui était peut-être le but recherché ? Et puis, sur la pointe des pieds, Bernard Tapie s’est retiré du dossier. Une société baptisée « Les combines à Nanard »
Bernard Tapie a aussi beaucoup
donné de sa personne – et de son argent – pour appuyer deux projets
dont il a confié l’exécution à son fils, Laurent Tapie. Le premier de ces
projets, révélé par Mediapart , visait à reprendre Full Tilt Poker, une société
de poker en ligne à la sulfureuse réputation, au cœur d’un scandale aux
États-Unis. Las ! Le projet n’a jamais pu aboutir.
Surfant
sur la notoriété de son père, Laurent Tapie a aussi pris la direction d’un site
Internet BernardTapie.com proposant des offres et services à bas prix, mais là
encore le succès n’a pas été au rendez-vous. Si sa visibilité n’est pas
inexistante puisque le site capte de l’ordre de 400 000 visiteurs uniques
par mois, le trafic semble très insuffisant pour générer un véritable courant
d’affaires. Financièrement, le projet aurait échoué.
Bernard
Tapie et son fils Laurent se sont aussi lancés dans d’autres projets, mais
beaucoup plus discrètement. Pour mener à bien ces autres projets, ils se sont
appuyés sur une société dénommée BLT Développement (pour Bernard et Laurent
Tapie Développement) dont Bernard Tapie a pris la présidence et Laurent, la
direction. La date de création de la société, le 16 juillet 2009, ne doit rien
au hasard. Un an auparavant, les arbitres ont rendu leur sentence allouant 403
millions d’euros à Bernard Tapie, et dans l’intervalle, il a fallu que Bernard
Tapie règle ses dettes fiscales et sociales avant de percevoir ce qui lui
revenait, soit 304 millions d’euros. Sitôt fortune en poche, Bernard Tapie
recommence donc à faire des affaires au travers de cette structure BLT
Développement. Les statuts de la société précisent en son article 2 – cela
ne s’invente pas – que « le nom commercial de la société
sera “Les combines à Nanard” ».
Au
travers de cette structure, divers projets sont étudiés. Mais un projet en
particulier s’impose très vite à l’esprit du père et du fils : BLT
Développement va se lancer dans la spéculation immobilière. Achat de terrains à
des municipalités, construction de pavillons, revente : Tapie père et fils
sentent là un filon et ils se préparent à l’exploiter, en commençant par un
premier projet, à Dreux. Ils créent donc le 21 janvier 2011 une société
spécialement dédiée dénommée Les Terrasses de Comteville, qui comprend deux
actionnaires, la société BLT Développement représentée par son président Bernard
Tapie, et son fils Laurent Tapie.
Ce
projet des Terrasses de Comteville, ainsi que les difficultés sur lesquelles il
va finir par buter, mérite d’être raconté par le menu car il en dit beaucoup
sur l’art et la manière de Bernard Tapie de faire des affaires en même temps
que sur la peur dont il ne parle jamais publiquement, celle de ne pas être
encore totalement protégé d’un ultime rebondissement judiciaire qui lui ferait
perdre son magot.
Gérant de la société Les terrasses de Comteville, Laurent Tapie va au début de 2011 rencontrer le maire UMP de Dreux, Gérard Hamel, pour obtenir de lui l’assurance que la municipalité pourrait lui rétrocéder à bas prix des terrains dans un quartier, celui de Comteville, pour y construire des pavillons, que les Tapie pourraient ensuite revendre. C’est la martingale magique ! Grâce aux appuis politiques de son père, Laurent Tapie se fait fort de trouver des terrains à bas prix. Il le confie à ses proches – l’un d'eux nous l’a rapporté : il estime que par son père il dispose d'un réseau de connexions politiques de premier ordre, lui permettant de pouvoir négocier des terrains de mairies à d'excellentes conditions. Grâce à l’appui du numéro deux d'une société de promotion immobilière, Geoxia, avec lequel il a pris langue, il pense par ailleurs en détenir le savoir-faire ; enfin, grâce à des co-investisseurs, et tout particulièrement des Russes, il pense obtenir des financements faciles. La confession de Laurent Tapie
Bref,
tout démarre sur les chapeaux de roue. À Dreux, Laurent Tapie se lance
dans un projet de construction de 36 maisons. En espérant qu’après ce premier
chantier, d’autres pourront être signés avec l’aide de son père. Mais dans le courant de l’année 2011,
l’affaire Tapie se double d’une affaire Lagarde : le 4 août 2011, la Cour
de justice de la République ouvre une enquête pour complicité de détournement
de fonds publics visant Christine Lagarde, l’ex-ministre des finances de
Nicolas Sarkozy, devenue depuis directrice générale du Fonds monétaire
international (FMI). Et cela inquiète très fortement Bernard Tapie, même si
publiquement il n’en montre rien et se répand dans les médias en prétendant que
cette affaire ne le concerne en rien.
Pourtant
son fils, qu’il a chargé de piloter ces discrètes affaires françaises, sait que
c’est une posture et que son père est en réalité inquiet. Et Laurent Tapie en
fait la confidence à certains de ses proches – l’un d’eux nous a rapporté
ses propos : il leur explique que son père étant très prudent, il
considère qu'il existe un risque, même très faible, que son arbitrage puisse
être remis en cause. Dans cette hypothèse, il ne souhaite plus engager de fonds
propres « lourds » en France.
Et
de la parole aux actes ! Selon plusieurs témoignages que nous avons pu
recueillir, Bernard et Laurent Tapie changent alors radicalement de stratégie
d’investissement durant cet été 2011. Jusque-là, Laurent Tapie rêvait de faire
une formidable et rapide culbute avec ces projets immobiliers comme en témoigne
son business plan, mais ces projets sont ralentis, et surtout, manquant de
l’apport de l’argent de son père, Laurent Tapie se confie à ses proches en
leur disant que désormais il cherche de nouveaux investisseurs, et tout
particulièrement des Russes.
Selon
des témoignages recueillis à très bonne source, Laurent Tapie tient en effet
beaucoup à ce que de riches Russes soient démarchés. Et à ceux qui lui
demandent pourquoi il recherche particulièrement cette clientèle, il fait
valoir que compte tenu des emplois générés par l’immobilier, ce secteur jouit traditionnellement
d’un poids politique important en France, ce qui conférerait à une société qui
s’imposerait comme le leader un blanc-seing politique. C’est moins cher que
d’acheter le club de football Chelsea et surtout, contrairement à Chelsea, ça
gagne de l'argent, aime à répéter Laurent Tapie.
Mais,
visiblement, au cours des mois suivants, Bernard Tapie s’inquiète de plus en
plus des suites judiciaires possibles de l’enquête visant Christine Lagarde, et
de l’hypothèse alors de plus en plus probable d’une victoire de la gauche un an
plus tard, lors de la présidentielle de 2012. Pour finir, même le projet de
Dreux est suspendu.
Nous avons en effet pris contact avec le maire UMP de Dreux, Gérard Hamel : le maire nous a assuré que, dans un premier temps, il n’avait pas encore vendu les terrains de Comteville aux Tapie mais qu’il les avait seulement réservés. Et toujours selon lui, Laurent Tapie serait revenu le voir en juin 2012, deux ans donc après les premiers rendez-vous, et juste au lendemain de la victoire de la gauche à la présidentielle, pour lui annoncer que finalement il se retirait du projet et qu’il allait sans doute le rétrocéder à une autre société spécialisée, par exemple Nexity. Est-ce donc la victoire de la gauche qui a incité Bernard Tapie à se montrer encore plus prudent et à donner la consigne à son fils de ne pas même poursuivre le projet de Dreux, pourtant très avancé puisque de nombreux sites spécialisés en parlaient, en particulier les sites spécialisés en investissements dits Scellier, ouvrant droit à une défiscalisation ? A-t-il craint que l’alternance renforce les risques pour lui d’un rebondissement judiciaire ?
400 000 € d'aides publiques pour Talenteis
Quoi
qu’il en soit, les investissements de Bernard Tapie ne s’arrêtent pas là. Il a aussi créé en janvier 2011, avec ses
deux fils, une société qui, aussi stupéfiant que cela soit, a tout aussitôt
profité de… subventions publiques. Cette société s’appelle Talenteis. Selon ses statuts, il s’agit
d’une SARL, dont les actionnaires sont Bernard Tapie, ses deux fils Laurent et
Stéphane, ainsi que deux autres personnes. Lors de la constitution du capital,
1 million d’euros a été apporté dont 999 600 euros fournis par Bernard
Tapie et 100 euros par chacun de ses quatre associés. Autant dire que cette
société appartient pour l’essentiel à Bernard Tapie, même si c'est Laurent
Tapie qui en est le gérant.
Disposant
d’un siège social qui n'est autre que l’Hôtel particulier de Bernard Tapie rue
des Saint-Pères, à Paris, cette société est censée avoir ceci pour objet
social : « la mise
en relation de personnes par le biais de tous supports et notamment par la création
d’un site Internet et la mise en place d’un service audiotel ».
Visiblement, les promoteurs du projet ne se sont pas empressés de le mettre en
œuvre car un an et demi après son lancement, il n’a pas de retombées concrètes.
Il n’est d’ailleurs pas très difficile de le vérifier : le site Internet
annoncé n’est toujours pas créé. Quand on clique sur l’URL de la société Talenteis,
on tombe sur une page statique, annonçant que le site est « en cours de réalisation ».
Un an et demi pour créer un site, cela
paraît de fait… bien long !
En revanche, le gérant Laurent Tapie a été
frapper à la porte d’Oséo et a obtenu très rapidement des financements publics. Alors que beaucoup de PME peinent à trouver des crédits,
lui y est parvenu sans difficulté. Selon nos informations, les financements d’Oséo au profit de Talenteis seraient d’environ
400 000 euros.
En
clair, la Cour de justice de la République ouvre une enquête visant Christine
Lagarde pour complicité de détournements de fonds publics, mais cela n’empêche
pas une structure publique, Oséo, d’apporter des financements à une société
dont Bernard Tapie est le principal actionnaire. À la décharge d’Oséo, il faut toutefois observer que la
présidence de l’établissement n’a pas, à notre connaissance, été informée que
Bernard Tapie était le propriétaire de Talentéis.
Pour autant, l’enseignement pour
chacun de ses projets d’investissement est le même : Bernard Tapie vit
désormais dans l’opulence, mais aussi dans l’inquiétude et se montre
excessivement prudent dans sa stratégie d’investissement. En tout cas en
France. Car, comme l’a révélé voilà quelques mois une enquête deCharlie Hebdo,
publiée le 15 novembre 2011, Bernard Tapie a transféré en
Belgique le même mois tout son magot provenant de l’arbitrage. Au préalable, le
14 octobre 2010, Bernard Tapie avait fait enregistrer à Bruxelles une
société dénommée GBT Holding, dont le capital passera rapidement en 2011 de
20 000 euros à... 215,4 millions d’euros. Et selon une enquête récente de Rue89,
Bernard Tapie a dupliqué en Belgique toutes ses sociétés déclarées en France.
Ce qui n’a pas empêché le même
Bernard Tapie de faire la morale à Bernard Arnault. Réagissant dans Le Parisien au fait que le patron de LVMH ait
demandé la nationalité belge, le président de la société « Les combines à
Nanard » a eu ce mot : « Je
n’arrive pas à le croire, je suis extrêmement surpris. » Il faut oser...
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