L'autoproclamé
"journaliste indépendant" Vincent Lapierre perce depuis sa couverture
engagée du mouvement des gilets jaunes.
Il
ne serait "pas corrompu par l'État'". Il serait,
contrairement aux autres journalistes traditionnels, "indépendant", "honnête". En gros, ce serait un "bon reporter". Vincent Lapierre est -
c'est un euphémisme - apprécié de nombreux gilets jaunes, qui ne lésinent pas sur les compliments sur les réseaux
sociaux.
Ils
saluent non seulement ses reportages sur le terrain, mais aussi d'anciennes
vidéos du journaliste, parues du temps où il n'était pas encore aussi
indépendant qu'il l'affirme aujourd'hui. Parmi les plus relayées, on trouve une
séquence datant de juin 2018, dans laquelle Vincent Lapierre affirme, face
caméra, que la liberté d'informer serait en danger. Il s'insurge notamment contre la loi anti-fake news, supposée
"museler Internet." "La
France glisse de plus en plus dans la dictature, débute-t-il. [...] Tous les
moyens sont bons pour interdire aux journalistes indépendants de travailler.
[...] Les libertés d'informer et de s'informer sont piétinées aujourd'hui en
France. Cette censure s'appuie sur des milices qui signalent en meutes sur
Internet, menacent sur le terrain." Ces milices, affirme-t-il, ce sont les
antifas et la Ligue de Défense Juive, qui forment ensemble une "police
politique protégée par le pouvoir." De quoi gagner la
confiance d'Eric Drouet, figure du mouvement des gilets jaunes. Celui-ci affirmait
ainsi le 21 décembre dernier avoir seulement contacté Brut, site spécialisé
dans les vidéos, et Vincent Lapierre pour l'acte
VI de la protestation, le 22 décembre.
Vincent
Lapierre, encensé par les protestataires, se décrit lui-même sur sa page Facebook (suivie par plus de 15
000 personnes) comme "un jeune français qui veut être utile à son
pays". Sur le site
Tipee, où il demande à ses fans une petite participation (grâce à
laquelle il gagne mensuellement 1422 euros), il entre davantage dans le détail,
égratignant par la même occasion les fameux médias traditionnels.
"Je
réalise depuis plus de trois ans des reportages de terrain dans lesquels je
vais à la rencontre des Français de tous bords, connus ou inconnus, pour leur
poser les questions que les autres médias ne leur posent pas, sans tabous et
sans exclusive de sujet," écrit Lapierre, qui affirme que cet exercice
n'est pas si simple. "En effet, la police de la pensée règne dans notre
beau pays, ce qui rend la tâche difficile au journaliste honnête : agressions,
séquestration, menaces de mort, tout ce que j'ai vécu jusqu'à maintenant démontre
que mes questions semblent déranger du monde."
Plus
d'une fois, Vincent Lapierre se met effectivement en scène dans des situations
tendues. Parmi les plus connues, une vidéo de 2016 où l'on voit le journaliste
de LCP Frédéric Haziza perdre son sang-froid face
au reporter. Vincent Lapierre, également connu sous le nom
"librepenseur007", se présente comme anti-"médias
dominants", "à contre-courant du système" et a longtemps été
proche d'Alain Soral. Ce dernier, polémiste antisémite,
homophobe et misogyne, a été condamné à de multiples reprises pour ses propos antisémites et
négationnistes.
Lapierre
officie ainsi trois ans durant pour le site d'extrême droite de Soral, Egalité
et Réconciliation, où il publie des vidéos (sa page Les Reportages de Vincent
Lapierre est quant à elle aimée
plus de 113 000 fois) consacrées à des sujets divers et variés. On y
trouve des reportages consacrés aux
fans de Johnny Hallyday ou de Star Wars, mais
aussi des interviews de militants anti-avortement, lors de la "marche pour la vie" organisée en janvier
2018.
Quand
il se rend à la marche pour les femmes, le 8 mars 2018, force
est de constater que Vincent Lapierre interroge davantage les participants sur
la lutte des classes plutôt que sur le sexisme. "Je dis qu'en France, les
femmes ne sont pas si mal loties que ça, on a un problème de chômage massif,
prétend-il. [...] On n'a pas de problème hommes/femmes. [...] Il y a des hommes
qui souffrent en France aussi. Pourquoi opposer les hommes et les femmes
?"
Vincent
Lapierre est aussi un "dieudonniste" averti, puisqu'il est très
proche de l'humoriste condamné lui aussi pour ses propos antisémites à plusieurs
reprises. En 2013, il participe par exemple à une soirée hommage au
défunt président vénézuélien Hugo Chavez, en compagnie d'Alain Soral et de
Dieudonné. Il faut dire que ce chaviste assumé a rédigé une thèse sur la pauvreté au Venezuela et en Colombie.
Vincent
Lapierre a interrogé plusieurs fois Dieudonné ces dernières années, toujours
avec la plus grande bienveillance malgré les provocations du polémiste. Pour preuve,
cette vidéo parue en janvier 2018, s'intéressant à la future expulsion de
l'humoriste du théâtre de la Main d'or, à Paris.
Ou encore
une vidéo parue quelques mois plus tard, intitulée "Dieudo en
cavale." Vincent Lapierre y suit l'humoriste à la campagne alors qu'il
cherche une salle pour se produire.
Pro-Dieudonné,
anti-CRIF et anti-Ligue
de Défense Juive, Vincent Lapierre reçoit plusieurs fois la quenelle d'or pour
son travail journalistique. La dernière fois, c'est en juin 2018. Un mois
après, il quitte Égalité et Réconciliation afin de se lancer en solo, notamment
sous le nom du "Média
pour tous."
C'est là que les choses se gâtent entre lui et Alain Soral. En octobre
2018, ce dernier lui
reproche notamment une vidéo
tournée pendant la dédicace du dernier livre d'Eric
Zemmour, Destin
Français, à la librairie d'extrême droite la "Nouvelle
Librairie". Soral l'accuse de faire là du journalisme non-militant.
"Ça n'a rien à voir avec ce qu'on faisait avant ensemble, et c'est ça le
vrai problème", déplore-t-il. La rupture est consommée. Aujourd'hui, si Vincent Lapierre est tant soutenu par les
gilets jaunes, c'est pourtant grâce à ce "journalisme militant."
Engagé dans le mouvement, il ne se prive pas d'apporter aux manifestants son
soutien sur les réseaux sociaux, en plus des vidéos tournées lors des
différents actes des manifestations.
"Je
reviens de la manifestation des gilets jaunes acte VI, et je dois dire que non
seulement le mouvement n'a pas perdu de sa force mais qu'au contraire, il
s'adapte à la stratégie des autorités visant à l'étouffer, écrit-il par exemple
sur Facebook, le 22 décembre dernier. Les gilets jaunes
gagnent en expérience, en mobilité. Le mouvement se fait insaisissable. Et même
si les autorités parvenaient à leurs fins, tout indique que ça se répétera plus
tard, plus fort."
La
veille, pour lancer l'un de ses reportages, il affirme
: "Le pouvoir cherche à étouffer ce mouvement par tous les moyens"
"Blocage des gares et contrôle des accès à Paris, fouilles permanentes,
répression totalement disproportionnée, fausses promesses de Macron et diabolisation
de gens comme Etienne Chouard (faut le faire !). Ça sent le régime qui a peur
et qui vacille. Les gilets jaunes doivent tenir bon. Je serai encore avec eux
demain pour relater ce qu'il se passe réellement." On est davantage dans
la subjectivité assumée que dans la recherche de neutralité journalistique.
C'est peut-être ce qui séduit autant certains gilets jaunes, qui, par
ailleurs, affichent une défiance hors-norme envers les médias traditionnels. On
ne compte plus les agressions
de journalistes de BFMTV, LCI, CNews ou de
France Télévisions. Vincent Lapierre,
lui, n'a pas ce problème.
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