mardi 7 avril 2015

Les effets catastrophiques du traité transatlantique

Les politiques grecs ne reconnaissent d'autre force que celle de la vertu.
Ceux d'aujourd'hui ne vous parlent que de manufactures,              de commerce, de finances, de richesses et de luxe même.
Montesquieu


A Jacques Sapir
Sur son blog, Jacques Sapir explique qu'il convient d'être "critique" vis-à-vis des "prévisions avancées par l’Union européenne" sur les effets du traité transatlantique s’il venait à être signé. "Les exemples lors des négociations de l’OMC ont montré que les modèles utilisés par les institutions internationales, ou par les bureaux d’études qui leurs sont liés, tendent à surestimer dans des proportions importantes les effets “positifs” de ces accords." D’ailleurs, lui en est convaincu : cet accord commercial "va entraîner une forte hausse du chômage dans l’Union européenne".
On sait que l’Union européenne et les États-Unis ont engagé depuis maintenant plusieurs années, des négociations pour le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) appelé aussi TAFTA. Cet accord, qui a fait couler beaucoup d’encre et suscité de violentes polémiques, est supposé être un accord commercial majeur qui devrait à intégrer de manière profonde leurs économies et créer une « zone » économique et commerciale importante. Cet accord, il convient de le souligner, est négocié dans une absence totale de transparence, qu’il s’agisse du mandat réel de négociation ou des négociations elles-mêmes.
Les défenseurs du TTIP soutiennent l’idée que ce traité stimulera la croissance en Europe et aux États-Unis. De fait, les prévisions qui sont avancées par la Commission européenne, mais aussi par des bureaux d’études (comme le CEPII [1]) annoncent des gains qui sont considérés comme politiquement significatif. En fait, ces gains apparaissent comme négligeables, en termes de PIB et de revenus des particuliers dès que l’on cherche à les estimer avec des instruments fondés sur des méthodologies réalistes. De plus, on peut paradoxalement constater que ces prévisions montrent aussi que tout le bénéfice lié au traité se ferait aux dépens des échanges intra-européens et va entraîner une forte hausse du chômage dans l’Union européenne. Le traité remettrait donc en question le processus d’intégration économique européenne. Le soutien dont il est l’objet par la Commission européenne n’en apparaît que plus étrange alors.
On doit cependant être critique quant aux prévisions avancées par l’Union européenne. Les exemples lors des négociations de l’OMC ont montré que les modèles utilisés par les institutions internationales, ou par les bureaux d’études qui leurs sont liés, tendant à surestimer dans des proportions importantes les effets « positifs » de ces accords.
La plupart des études sur le TTIP (ou TAFTA), sont assorties de calculs divers. Ces derniers sont censés prévoir des bénéfices en termes d’échanges commerciaux et de PIB tant pour l’UE que pour les États-Unis. Certaines des ces études font mêmes état de bénéfices pour les pays non membres du TTIP, suggérant alors qu’aucun acteur de l’économie mondiale ne serait lésé par cet accord. C’est en point important de l’argumentaire en faveur du TTIP. Il convient de montrer, quitte pour cela à tordre les faits, que l’accord serait profitable pour tous. Si c’était le cas, le TTIP serait donc une bonne solution pour garantir une répartition plus efficace des ressources mondiales. Il correspondrait à l’image que l’on se fait d’une solution optimale qui permettrait à certains pays d’améliorer leur niveau de bien-être tandis que tous les autres bénéficieraient au minimum du même niveau de bien-être qu’auparavant. Mais, ces résultats s’appuient en réalité sur plusieurs hypothèses irréalistes et des méthodes qui se sont avérées inadéquates pour évaluer les répercussions des réformes commerciales comme on a eu l’occasion de le dire, dans d’autres traités internationaux les résultats des études préliminaires ont été démentis au fur et à mesure que l’on s’avançait dans la mise en œuvre du traité.
Le modèle Linkage annonçait ainsi un gain total de 832 milliards de dollars, dont 539 uniquement pour les pays en voie de développement (PVD). De tels chiffres justifiaient naturellement les politiques de libéralisation du commerce mondial. Ils renforçaient aussi la crédibilité de l’OMC dans son rôle de « garant » d’une gouvernance internationale de la globalisation. Ces chiffres ont donc servi à justifier l’idée que le libre-échange était un partage d’un « gâteau » mondial et qu’il fallait désormais que, par esprit de justice, laisser une place plus grande à ces pays. Cette argumentation a d’ailleurs été le pendant de « gauche » de l’argumentaire sur la contrainte extérieure et la nécessité de maintenir nos marges de compétitivité qui était celui de la droite depuis le début des années 1970. On a entendu ainsi des dirigeants socialistes français affirmer que le libre-échange était l’internationalisme d’aujourd’hui. !!!
Cette euphorie n’a pas duré. Lors des discussions préparatoires au sommet de l’OMC d’Hong Kong en 2005, on a ressenti le besoin d’utiliser des bases de données plus réalistes.
En fait, si l’on retirait la Chine de ce groupe de pays, le gain devenait quasiment nul (dans le bloc des PVD, la Chine est incluse. Si on la retire, on est en présence de pertes nettes pour les autres PVD). Une telle variation dans les estimations laisse rêveur et ne manque pas d’attirer l’attention sur la nature des modèles utilisés. Il faut ici rappeler que les « gains » de la libéralisation, tels qu’ils sont donnés tant par GTAP que Linkage, ne sont pas des gains annuels mais des gains totaux obtenus une fois pour toutes. Rapportés au PIB sur une période de cinq années (correspondant au délai de mise en œuvre des mesures de libéralisation envisagées). Il est admis que les estimations économiques sont toujours entachées d’une marge d’erreur. Mais celles que l’on constate entre les estimations de 2002 et de 2005 dépassent, de très loin, ce qu’il est d’usage d’accepter en la matière.
Si une activité voit sa production décroître et une autre sa production s’accroître, les « facteurs de production » (soit le capital et les travailleurs) sont réputés pouvoir automatiquement passer de l’une à l’autre. La possibilité de déséquilibres locaux, même transitoires mais pouvant entraîner une hausse du chômage et une montée des coûts sociaux, n’est pas prise en compte.

Il faut donc révoquer radicalement en doute les modèles de type EGC/CGE du fait de l’irréalisme de leurs hypothèses. Des modèles alternatifs existent comme le Modèle des politiques mondiales des Nations Unies. Tout d’abord, ils respectent le principe de la demande effective,  ces modèles intègrent aussi les effets de la répartition et de la distribution des revenus sur le niveau général d’activité.  Ensuite, ils permettent une vision réaliste des mécanismes macroéconomiques tels qu’ils sont à l’œuvre dans les différentes régions du monde. En fait, de manière plus générale, c’est l’absence de prise en compte des coûts de la libéralisation des échanges qui rend les résultats de ces modèles suspects. On peut donc en conclure que le libre-échange n’a nullement favorisé les plus pauvres parmi les PVD. Il n’y a donc nulle « justice » dans le domaine du commerce international.

Aux totalitarismes de XXe siècle ont succédé
La tyrannie d'un capitalisme financier
Qui ne connait plus de bornes, soumet États
Et peuples à ses spéculations,
Et le retour de phénomènes de fermeture
Xénophobe, raciale, ethnique et territoriale.
Le chemin de l'espérance
Edgar Morin


La légitimité de cet accord ne saurait exister tant que cette absence de transparence continuera de se manifester et tant qu’un débat honnête, centré sur des outils réalistes, n’aura pas eu lieu quant aux conséquences de cet accord.

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