Censure et renoncements : le gouvernement
de la honte
Le courage ne se contrefait pas,
c’est une vertu
qui échappe à l’hypocrisie.
Bonaparte
Ce gouvernement socialiste, toute honte bue, s’est couché devant les
petites foules réactionnaires et fascisantes. Est-ce par peur, incompétence ou
électoralisme stupide, qu’il les légitime et les renforce ? Le renoncement
des socialistes à leurs dernières convictions est –il le signe de leur fin ?
On attend en vain du président un
sursaut républicain.
Non seulement le peuple subit la pire des politiques néolibérales qui soit,
non seulement il s’enfonce dans la crise, le chômage et la pauvreté, non
seulement les services publics qui sont le bien de tous sont affaiblis ou
démantelés, mais toutes celles et tous ceux qui nourrissaient encore quelques
fragiles espoirs de progrès social et d’avancées dans les domaines de
l’égalité, des libertés, des droits ou de la politique familiale, en sont pour
leurs frais. Dans le très volumineux Livre noir des renoncements de ce
gouvernement, une page et un chapitre resteront marqués du sceau de l’infamie.
La page en question porte comme date « Le 3 février 2014 ». Au
lendemain de la « Manif pour tous », Jean-Marc Ayrault, doublé par un
« Premier ministre bis » de l’Intérieur qui jette aux orties la PMA,
annonce que la loi sur la famille ne sera pas adoptée en 2014. Premier
renoncement qui provoque la jubilation des droites réactionnaires. Les députés
socialistes mangent la moitié de leur chapeau et gardent l’autre pour le
lendemain.
Le second renoncement ne porte pas de date. Il s’est développé sur la
durée, pendant une année certainement, à l’abri de tous les regards,
sournoisement, comme un président « normal » sait si bien le
faire : il s’agit de la lente et méticuleuse censure Il a fait l’effet
d’un tremblement de terre à toutes celles et tous ceux qui se mobilisaient au
même moment pour faire reculer les réactionnaires et les manipulateurs qui
trompent des millions de parents.
Le mot
« genre » est banni du dictionnaire de la République.
Seconde victoire pour l’anti-genre
de tous poils et caution pitoyable
apportée à l’offensive idéologique et religieuse contre l’Ecole. Sont ainsi
fragilisées quarante années de recherches pour asseoir toute la richesse de la
notion de genre, qui est aujourd’hui utilisée communément dans une dizaine de
champs disciplinaires. Sont mis à mal
aussi les luttes féministes et le combat pour l’égalité des droits qui ne
sauraient se satisfaire de la parité promue par les socialistes, et qui
demeurera une coquille vide aussi longtemps que les conditions sociales et
professionnelles effectives des femmes n’évolueront pas. Evolution qui
passe évidemment par la promotion de l’égalité à l’école et dans l’ensemble du
système éducatif.
Cette censure constitue une insulte à l’intelligence, au devoir et au
courage politique élémentaires qui consistent à expliquer le sens d’une
réforme.
Une insulte à l’intérêt public.
Une insulte à la recherche et à l’université française, méprisée et
appauvrie comme jamais par ce gouvernement.
Une insulte à l'Ecole et à tous les
enseignants qui ont œuvré à l’ABCD de
l’égalité et dont les travaux pédagogiques se trouvent
amputés d’un outil méthodologique fondamental, le tout dans une situation
ubuesque : « Vous n’utiliserez plus ce mot parce qu’il fait peur, même s’il
n’y a pas d’autre mot pour désigner ce qu’il désigne ! ».
Je pose alors la
question suivante : dans quel régime politique censure-t-on l'usage d'un
mot? Plus avant, c'est aussi une insulte faite à l’adoption du "mariage
pour tous", qui restera probablement la seule avancée sociale de ce
gouvernement, et certainement du quinquennat d’un président, qui a renié ses
engagements, ses convictions et son parti.
Car l’homme qui a congédié sans
ménagement la « première dame de France», pouvait-il avoir un grand
souci des questions de genre ?
Le président qui, le 30 janvier dernier, lors de sa visite à l’Université
de Strasbourg, ne donne même pas la parole à sa ministre de l’Enseignement
supérieur et de la Recherche, pouvait-il avoir un grand souci des questions de
genre ?
Tout ceci, très petit, dessine le portrait triste d’un président des
renoncements, qui sait cependant prendre appui sur les vices de la Vème
République pour gouverner seul et mal, et qui ne sait plus où aller quand il
est dans l’adversité, sinon au renoncement, et à sa perte, et avec lui à la
perte des valeurs qui sont celles de sa fonction.
C’est son pacte
d’irresponsabilité, entre lui et lui-même.
Au sommet de l’impopularité, certains
auraient osé l’intelligence de vraies réformes, économiques, sociales et
audacieuses. Si possible un peu de gauche. Et bien non ! Les seules auxquelles on a droit,
désespèrent un peu plus ce qui reste du peuple de gauche, et le peuple en
entier. Elles annoncent les pires naufrages. Ce
pouvoir, ainsi que le pensent certains analystes, serait-il tétanisé,
impuissant, confus et désordonné ? Peut-être moins qu’on ne le pense. Car il sait dire non à la vraie gauche et aux
syndicats, en ne cédant sur rien. Il sait par ailleurs très bien dire oui au
MEDEF. Et nous avons appris ces derniers jours qu’il pouvait aussi dire oui
aux forces de la réaction, au conservatisme et à l’extrême droite. Il a au
moins la vertu d’une certaine cohérence idéologique : la pleine adhésion au néolibéralisme, le
courage politique en moins, et la trahison en plus. Il devra donc en assumer les conséquences, non devant le choix
des électeurs – sur ce point, aucune illusion : le pire est certain -, mais devant le peuple en colère.
A la stratégie du contournement des obstacles politiques succède ainsi la
double marche-arrière. La première allait dans le mur. La seconde nous
conduit au précipice. Imaginant pouvoir désamorcer la montée des droites
réactionnaires et extrêmes, il ne manque pas de s’aliéner les faibles soutiens
qu’il lui reste sur sa « gauche », tout en provoquant les foudres
légitimes de la vraie gauche. Ce faisant, il prend le risque majeur de fédérer
plus encore les oppositions des extrêmes, une frange non négligeable des
classes populaires de gauche les plus défavorisés n’étant pas insensible aux
discours de l’extrême droite. Sur fond de montée de l’anti-républicanisme, dans
un contexte idéologique où l’Etat, la Finance, l’Education nationale et le
"Système" sont jetés à la vindicte populaire par la nébuleuse des
nouvelles droites, la fusion des idéologies est en marche. Le grand
confusionnisme règne, la perte des repères atteint des sommets. Et quand un pouvoir cède à l’obscurantisme,
fait le jeu de toutes les confusions, perd lui-même ses principes et ses
repères, il est à craindre qu'il fasse le nid du néo-fascisme qui vient.
Face à cela
que peu imaginaient au mois de mai 2012, il ne reste plus aux citoyens, encore
épris de démocratie et de valeurs humanistes et républicaines – espérons qu’ils
sont encore majoritaires -, qu’une seule issue : se battre tout à la fois
contre un gouvernement de la honte et contre cette honte brune qui monte,
inexorablement. Il faudra arrêter les deux, pour ne pas prendre le risque de
perdre ce qui est si fragile et si précieux : la dignité et la liberté.
Et je pense avant tout à la dignité et à la liberté des femmes, qui
continuent d'être opprimées partout.
Dans une lettre à son ami Herbert Belmore, le 23 juin 1913, le jeune Walter
Benjamin s'interrogeait ainsi : "Masculin
et féminin ne sont-ils pas extrêmement mêlés dans l'être humain! Et ainsi tu
comprends que dans une réflexion sur la culture j'estime un peu primaire la
typologie "homme", "femme". Pourquoi en rester si souvent à
cette distinction (comme principe conceptuel? Bien!). Mais si l'on vise le
concret, l'atomisation doit aller beaucoup plus loin, jusqu'à l'individualité
la plus singulière. L'Europe est faite d'individus (comportant chacun du
masculin et du féminin), non pas d'hommes et de femmes."
Walter Benjamin encore, dans le dixième fragment de l’un de ses tout
derniers textes de 1940, intitulé Sur le concept d’histoire, écrivait ceci : « A
cet instant où gisent à terre les politiciens en qui les adversaires du
fascisme avaient mis leur espoir, où ces politiciens aggravent leur défaite en
trahissant leur propre cause, nous voudrions arracher l’enfant politique du
monde aux filets dans lesquels ils l’avaient enfermé » (traduction de Maurice de Gandillac). Entre lucidité et
utopie, les mots du penseur juif allemand prennent aujourd’hui une résonance
toute particulière.
Enfin,
dans une version rédigée en français par Walter Benjamin lui-même, le fragment
N° 10 s’achevait ainsi, en manière d’avertissement : « Il faudra
déranger sérieusement les habitudes les plus chères à notre esprit. C’est à ce
prix seulement qu’on concevra un concept de l’histoire qui ne se prête à aucune
complicité avec les idées de ceux qui, même à l’heure qu’il est, n’ont rien
appris ». Les socialistes n’ont rien appris.
Pascal Maillard
"Contre l'ennemi, nous habitions
et nous défendions
un édifice de concorde républicaine,
ébranlé trop tôt par des mains imprudentes, il va
crouler.
Par quelle porte en sortirons-nous ?
Par la porte du passé ou par la porte de l'avenir ?"
Jean Jaures
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