lundi 22 octobre 2018

Perquisitionné, Jean-Luc Mélenchon tord les faits et la République


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Ce qui s’est passé, mardi 16 octobre, n’est pas un épiphénomène de plus dans la longue liste des coups d’éclat de Jean-Luc Mélenchon. La mise en scène insoumise autour des perquisitions qui ont visé le parti politique est grave. Il serait dangereux d’avoir à s’y habituer venant d’hommes et de femmes politiques qui font l’objet d’une enquête judiciaire.

Voici la scène. Une escouade de policiers anticorruption débarque, sous la présidence de François Hollande, chez Nicolas Sarkozy. Dans le même temps, le siège des Républicains est perquisitionné, à l’instar des domiciles de plusieurs proches de l’ancien président. Le visage déformé par la fureur, Nicolas Sarkozy déboule dans les locaux du parti qu’il dirige et pousse sans ménagement des deux mains un procureur venu superviser les opérations.
Il crie. « La République, c’est moi ! » Il provoque un policier impassible, se colle nez à nez à lui. Il hurle. « Ma personne est sacrée ! » Derrière lui, ses plus fidèles soutiens opinent du chef avec la mine des jours sombres. « C’est une agression politique ! Ce n’est pas du droit ! » Quelques minutes plus tard, dans la rue, il continue de vociférer, mû par la rage. « Je ne suis pas un passant du coin ! »
Tout est filmé par des caméras de télévision qui ont rappliqué dare-dare et par des téléphones portables fébriles.
Problème : cette scène n’existe pas. Du moins pas avec Nicolas Sarkozy, bien que l’ancien président français ait connu son lot de perquisitions, suivies par la suite de nombreuses mises en cause judiciaires (financements libyens, Bygmalion, Bismuth, etc.), et qu’il n’ait jamais été avare d’outrances pour dénoncer une prétendue justice politique le traquant. Il a même comparé un jour la police anticorruption à la Stasi.
En revanche, cette scène a existé telle quelle avec Jean-Luc Mélenchon, le patron de la France insoumise, ancien candidat à la présidence de la République qui se présente aujourd’hui comme le leader du premier parti d’opposition en France.
Visé par deux enquêtes judiciaires distinctes, l’une sur des soupçons de faux assistants parlementaires au Parlement européen et l’autre sur de possibles détournements de fonds pendant la campagne présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélenchon et son parti ont souhaité créer le chaos autour de leurs déboires pour faire diversion.
Mais ce qui s’est passé, mardi 16 octobre, n’est pas un épiphénomène de plus dans la longue liste des coups d’éclat du leader insoumis. La mise en scène de Jean-Luc Mélenchon et des siens autour des perquisitions est grave. Il serait dangereux d’avoir à s’y habituer venant d’hommes et de femmes politiques qui font l’objet d’une enquête judiciaire. La seule insoumission visible, ce 16 octobre, fut celle à un certain esprit de la République.
Car le premier scandale, dans cette séquence, n’est pas un parquet aux ordres, même si le débat est plus que nécessaire, comme l’a rappelé François Bonnet sur Mediapart, mais Jean-Luc Mélenchon lui-même, sa réaction tapageuse et l’aveuglement de ceux qui font cortège à ses arguments.
Depuis deux jours, les fausses nouvelles volent en escadrille. La première d’entre elles consiste à dire, par un habile syllogisme, que les procureurs de la République n’étant pas indépendants en France, la perquisition visant un membre de l’opposition est la preuve d’une justice aux ordres de l’Élysée. CQFD.
C’est pourtant bien plus compliqué que cela. Mais que valent la complexité et la nuance quand il s’agit de s’ériger en martyr ?
Le contexte judiciaire dans lequel ces perquisitions ont eu lieu est en effet un peu particulier. Jean-Luc Mélenchon et les Insoumis sont visés dans le cadre d’une enquête préliminaire, c’est-à-dire d’investigations placées sous l’autorité directe du procureur de la République, contrairement à une information judiciaire, dirigée, elle, par un juge d’instruction, statutairement indépendant.
Dans une enquête préliminaire, une perquisition – c’est la règle générique – ne peut avoir lieu qu’avec l’assentiment du perquisitionné. Mais il y a une exception, sinon ce serait trop facile : si l’enquête le nécessite – le besoin de surprise et de simultanéité des actes, par exemple –, la perquisition peut avoir lieu sans l’accord des principaux concernés à la seule condition qu’elle ait été validée par… un juge indépendant. En l’occurrence, un juge des libertés et de la détention (JLD) qui, comme un juge d’instruction, n’est pas soumis à une hiérarchie placée sous l’autorité du pouvoir exécutif.
L’argument du procureur tout-puissant et seul responsable des mésaventures judiciaires de Jean-Luc Mélenchon perd de facto en consistance. Et c’est aussi oublier un peu vite le rôle des policiers dans de telles opérations qui ne sont pas que les factotums d’un procureur, lui-même à la botte de l’Élysée.
Une autre contrevérité semble être savamment entretenue depuis plusieurs jours par Jean-Luc Mélenchon et ses amis. Celle-ci consiste à mettre en cause le nouveau procureur de Paris, Rémy Heitz, choisi par le pouvoir exécutif après une affligeante reprise en main voulue par l’Élysée, qui aurait ordonné la vague de perquisitions pour le bon vouloir d’Emmanuel Macron. Problème : Rémy Heitz n’avait pas encore pris ses fonctions ce jour-là… Et c’est son futur prédécesseur, François Molins, qui a fait la démonstration de son indépendance ces dernières années en ouvrant des enquêtes aussi bien sur Jérôme Cahuzac que sur Nicolas Sarkozy, qui était encore en poste.
Évidemment, toutes ces vérités de fait ne peuvent, seules, effacer le débat plus que légitime, essentiel même, sur le problème structurel de la non-indépendance des procureurs en France, comme Mediapart ne cesse de le chroniquer et de le dénoncer depuis dix ans. Et tout particulièrement du rapport incestueux qu’Emmanuel Macron et son premier ministre Édouard Philippe entendent entretenir avec les représentants du parquet.
Les hommes et femmes politiques qui refusent de donner l’indépendance aux procureurs sont les premiers responsables de cette situation délétère. Le cirque des indignations factices commence à se voir comme le nez au milieu de la figure quand, à chaque déboire judiciaire des uns, les autres louent l’indépendance de la justice, mais crient à l’agression politique quand les mêmes sont la cible de la curiosité de la justice. En la matière, Jean-Luc Mélenchon vient de faire comme Marine Le Pen, qui avait fait comme François Fillon, qui avait fait comme Nicolas Sarkozy, etc. Ni plus ni moins. Jean-Luc Mélenchon a "vis-à-vis de la justice des comportements et des opinions qui divergent au gré de ses intérêts propres. Pendant la campagne législative de 2017, il avait demandé à ses candidats de signer la charte de l'association Anticor demandant la suppression de l'immunité parlementaire. Selon cette charte, l'immunité parlementaire "concourt à une justice à deux vitesses et protège les élus plus que les simples citoyens" .Mis au pied du mur par des juges, il en invoque l'application pour lui-même."
Pour autant, cette question de la non-indépendance du parquet est, dans le cas des perquisitions visant Jean-Luc Mélenchon, à mettre au second plan. Non seulement les raisonnements par association d’idées du leader insoumis reposent sur du sable, mais les lecteurs de Mediapart sont bien placés pour savoir que l’actuel soupçon judiciaire repose sur des éléments concrets, notamment dans l’affaire du financement de la campagne de 2017. Ceux-ci constituent-ils un délit pénal ? Seule la justice peut le dire et c’est d’ailleurs à cette fin qu’elle tente, tant bien que mal, de mener des perquisitions avant d’auditionner les personnes concernées.  
Le drame de ces derniers jours est bien le visage politique qu’a offert Jean-Luc Mélenchon aux citoyens. Ce fut le dévoilement d’un homme qui revendique, en furie, d’être intouchable, qui pense être la République comme jadis Louis XIV l’État, qui assure sans ciller que sa personne est sacrée.
Le patron des Insoumis voudrait faire accroire qu’au nom de la séparation des pouvoirs le représentant du pouvoir parlementaire qu’il est ne pourrait être inquiété de la sorte par la justice. Rien n’est plus faux. Quand Montesquieu théorise en 1748 la séparation des pouvoirs dans L’Esprit des lois, c’est pour éviter précisément l’abus de chaque pouvoir. « Il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir », écrivait ce père de la nation dans sa maxime célèbre.
En un mot, c’est exactement l’inverse de la position de Jean-Luc Mélenchon. Non, la séparation des pouvoirs, ce n’est pas la liberté donnée à chacun d’entre eux de faire ce qu’il veut à l’abri d’on ne sait quelle espèce d’immunité. M. Mélenchon a beau se penser supérieur à un passant, son statut ne peut empêcher que la justice passe.
Le patron des Insoumis réalise-t-il que, contrairement au scandale qu’il dénonce, il fut traité durant cette vague de perquisitions avec égard et privilège ? N’importe qui se permettrait de pousser un procureur de la sorte, légitimant une forme de violence à l'égard de l'autorité judiciaire et policière, finirait dans la seconde en garde à vue.  Pas Jean-Luc Mélenchon.
Le patron des Insoumis se rend-il compte de la violence symbolique d’un prétendant à la magistrature suprême qui pense pouvoir s’en prendre physiquement à un représentant du ministère public parce qu’il ne supporte pas d’être la cible de l’œil judiciaire ? Que se passera-t-il si un jour il atterrit à l’Élysée ? Qu’arrivera-t-il aux policiers et aux procureurs non soumis, auxquels il n’a d'ailleurs pas prévu de donner une totale indépendance, qui voudront enquêter sur un proche du président Mélenchon ?                                                    Benoît Hamon ne veut pas se ranger derrière le «nouveau César» Mélenchon «La gauche a-t-elle vocation à se rallier derrière un nouveau César? Non. La gauche a toujours été diverse», a t'il rappelé, renvoyant le leader de La France Insoumise à la figure du général romain. «Je constate une pratique personnelle de Jean-Luc Mélenchon qui ne correspond pas à l'idée que je me fais de l'intelligence collective»                             Le chroniqueur Yann Moix dézingue Jean-Luc Mélenchon"Ce n'est pas parce qu'on est l'ennemi de la xénophobie et du fascisme, ce qui est son cas, et l'ennemi des antisémites et de l'extrême droite ce qui est son cas, qu'on est un démocrate pour autant. Il nous a prouvé, de nouveau qu'il n'était ni démocrate, ni républicain. On s’aperçoit que c’était un petit dictateur de carton-pâte ! Je suis heureux qu’il ait échoué aussi près du but parce que c’est le signe d’un homme blessé, vexé, humilié par sa défaite. C'est vraiment indigne de tout ce que j'imaginais sur lui", a conclu le chroniqueur. 
La réponse se trouve dans les images du 16 octobre, mais il n'est pas certain que le chef insoumis sera pressé, ce jour-là, de les diffuser sur Facebook et Twitter.

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