La guerre incessante menée par les populistes contre la vérité connaît ces jours-ci un pic remarquable. Au Royaume-Uni, Boris Johnson menace de mettre au pain sec la BBC, l’une des institutions médiatiques les plus respectées au monde. Motif : la télévision publique britannique se serait rendue coupable de partialité envers lui pendant la campagne électorale. Apparemment, l’engagement supposé de la BBC contre les conservateurs n’a pas eu grand effet, puisqu’ils ont remporté haut la main le scrutin. La plupart des commentateurs de bonne foi estiment par ailleurs que la chaîne n’a fait que son travail. Indice supplémentaire : certains travaillistes l’accusent d’avoir concouru à leur échec cinglant, reproche symétrique qui laisse à penser que la partialité de la BBC est pour le moins incertaine. L’accusateur, enfin, est-il bien placé pour donner des leçons d’honnêteté intellectuelle ? On sait qu’il a été pris en flagrant délit de désinformation caractérisée pendant la campagne référendaire sur le Brexit.
Peu importe : pour un leader comme Johnson, ce ne sont pas les raisonnements qui comptent en politique, mais les émotions qu’il est capable de répandre dans l’opinion. A cette aune, on comprend la motivation de ses attaques contre la BBC, qui s’efforce, chacun peut le constater, de respecter l’impératif de véracité journalistique et devient par là même un obstacle à ses entreprises.
Remplacer la logique par l’outrance
Aux Etats-Unis, la Chambre de représentants s’apprête à mettre en accusation Donald Trump. Le Président se défend bec et ongles, non en argumentant, mais en écartant tous les faits. Il proclame sur tous les tons son innocence sans se donner la peine d’avancer un seul élément tangible et en reproche à ses adversaires de «déclarer une guerre ouverte contre la démocratie américaine». Excusez du peu…
Or quiconque consulte de bonne foi les enregistrements de Trump rendus publics comprend bien qu’il a effectivement tenté de monnayer une aide américaine auprès du président ukrainien en échange de l’ouverture d’une enquête contre le fils d’un de ses adversaires politiques dans la prochaine campagne présidentielle. Tous les témoins convoqués par les députés américains l’ont d’ailleurs confirmé. Qu’à cela ne tienne : Trump, comme à son habitude, remplace la logique par l’outrance et déclare qu’une conversation de toute évidence litigieuse est parfaitement conforme à l’éthique. Emboîtant le pas, les Républicains majoritaires au Sénat s’apprêtent à l’innocenter, quelles que soient les preuves amassées contre lui, pour la seule raison qu’ils ont besoin du président pour se faire réélire.
«L’histoire est une suite de mensonges»
Qui ne voit, dans ces dangereuses palinodies, l’incroyable déclin du débat public dans les démocraties gangrenées par le populisme. Le mensonge est courant en politique. Mais il s’apparente en général à une ruse : par différents artifices rhétoriques, on travestit les faits pour plaider sa cause et gagner des voix. Péché habituel, corrigé par une sanction potentielle : s’il est démontré qu’un responsable a menti sur un point important, il en subit les conséquences. Implicitement en démocratie, majorité et opposition admettent, malgré tout, que la vérité, dès lors qu’elle est établie, reste un critère de jugement, que la logique élémentaire et le respect des faits sont une langue commune (quitte à se battre sur les interprétations), même s’ils la malmènent à l’occasion.
Il s’agit maintenant de tout autre chose : un leader populiste peut déclarer qu’il fait nuit à midi, que les chats aboient ou que la Terre est plate, il n’encourt aucun dommage s’il garde sa majorité. Le mensonge n’est plus une ruse mais une démonstration de force. Chacun voit que Trump ment. Mais comme ce mensonge arrange une majorité, il garde cours légal. Au fond, les leaders populistes ont fait leur la cynique maxime de Napoléon : «L’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on s’accorde.» Le rapport au réel disparaît. Seul reste en lice le rapport de force. George Orwell avait en son temps diagnostiqué le mal dans son 1984 en montrant comment le mensonge manifeste qu’on impose sans vergogne est une arme redoutable. Mais il parlait des régimes totalitaires. Son livre peut désormais s’appliquer à de grandes démocraties.
L’exemple du Brésil qui est devenu le laboratoire d’un nouvel autoritarisme. Jair
Bolsonaro montre qu’il entend gouverner non pas avec de la planification et des
projets, pas davantage à partir d’études et de calculs solides ou de grands
débats avec la société, mais à coups de hurlements sur les réseaux sociaux.
Il incarne le retour d'un courant d'extrême-droite brésilien puissant dans
les années trente
Bolsonaro vient de déclarer lui-même que son élection sonnait le glas de
tous les "problèmes" de son pays : le socialisme, le communisme,
l'extrême-gauche et ... le populisme! Donc, le populisme est plutôt une
tradition de gauche, selon lui. Du point de vue de l'Amérique latine, il
représente la fin du tournant à gauche qui avait débuté avec l'élection d'Hugo
Chavez en 1998. La plupart des pays du continent sont désormais passés à
droite.
Elle marque le retour d'un mouvement politique, l'action intégraliste
brésilienne, un parti fasciste des années trente qui se montrait très admiratif
envers Mussolini et Hitler. Ce courant a été éliminé politiquement par Getulio
Vargas, que ses sympathisants surnommaient le "père des pauvres" et
qui a gouverné le Brésil à deux reprises, entre 1930 et 1954.
Il y a trois emplois du mot "peuple" propres à trois traditions
différentes : la tradition populiste, la tradition fasciste et la tradition
nationaliste. Pour le populisme, le peuple, ce sont les citoyens qui décident.
Pour le nationalisme, le peuple est la nation, la nation unifiée par son
appartenance à la même ethnie. Dans le fascisme, le peuple est incarné tout
entier dans la personne du chef. Le populisme a pour ambition de renouveler la
démocratie de l'intérieur en représentant tous ceux qui sont exclus par la
démocratie en place. Mais il peut tout à fait se transformer en fascisme. L’Italien Alessandro Baricco nous livre son regard
sur le populisme, ce phénomène politique qui, partout ou presque, gagne du
terrain. De Donald Trump à Jair Bolsonaro en passant par Boris Johnson,
plusieurs de ses incarnations ont réussi à se frayer un chemin à la tête
d’États démocratiques. Et si ses propres intrigues ont fini par éloigner Matteo
Salvini des allées du pouvoir italien, sa côte de popularité demeure
élevée. En outre, même quand ils ne gouvernent pas, comme en France, les
populistes pèsent lourdement sur la vie et les pratiques politiques.
Un certain pacte entre les élites et le peuple s’est rompu,
si bien que le peuple a choisi de se débrouiller seul. Ce n’est pas vraiment
une insurrection, pas encore. C’est une suite implacable de refus, de réactions
brusques, de défis apparents au bon sens, voire à la raison. De façon
obsédante, les gens continuent – en votant ou en descendant dans la
rue – d’envoyer un message très clair : ils exigent que l’Histoire
retienne la faillite des élites et que celles-ci soient condamnées à se retirer.
Alexandro Barrico
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LAURENT JOFFRIN
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mercredi 18 décembre 2019
Trump, Johnson et Orwell, Remplacer la logique par l’outrance
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