mardi 7 avril 2020

Etats-Unis : la faillite populiste

Etats-Unis : la faillite populiste

L’épreuve tragique que traversent les Etats-Unis va-t-elle enfin ouvrir les yeux des électeurs américains ? Les deux traits distinctifs de la présidence Trump, l’incompétence noire comme méthode et le cynisme électoral pour toute boussole, vont-ils ébranler les certitudes d’un électorat drogué aux fake news et aux «vérités alternatives» ? Au début de la crise, Donald Trump a tout fait pour minimiser le danger de la pandémie, avec une seule idée en tête : maintenir en marche une économie dont la prospérité entrepreneuriale – largement héritée du mandat précédent – était son meilleur argument de campagne, quitte à accepter des pertes humaines supérieures.
Pour flatter les préjugés nationalistes, il a fermé les frontières avec le Mexique et le Canada et interdit les vols en provenance de Chine, assurant que ces lignes Maginot seraient les meilleures protections pour les Américains. Un mois plus tard, les Etats-Unis arrivent en tête des pays les plus touchés par le virus. Le nombre de malades et celui des décès montent en flèche, dans plusieurs Etats les hôpitaux sont débordés. Certains parlent d’un choc humain comparable à l’attaque de Pearl Harbour ou aux attentats du 11 Septembre.
Ignorant l’échec spectaculaire de sa politique sanitaire, il a clamé que le pays reviendrait pour Pâques à un cours normal. On voit maintenant que c’est probablement autour de cette date que la pandémie sera la plus meurtrière. Peu à peu, les gouverneurs mettent en place les mesures de confinement et de distance sociale qu’il a récusées d’emblée, avant de se raviser. Il a tout fait pour détruire la réforme de «l’Obamacare» destinée à procurer une meilleure couverture santé à la population. Aujourd’hui, des dizaines de millions d’Américains se retrouvent sans aucune assurance pour faire face à la maladie, contraints de chercher en panique une place au sein d’un système de santé disparate et coûteux, dont le nombre de lits par habitant est deux ou trois fois inférieur à celui de l’Europe.
La Congrès a voté une aide massive en faveur de l’économie. Mais le refus de toute protection envers les salariés du pays fait bondir le nombre des chômeurs et on parle maintenant d’un désastre social historique qui porterait le taux de chômage à des altitudes vertigineuses. Par calcul démagogique, le Président a même placé les vendeurs d’armes individuelles sur la liste des entreprises de première nécessité. Les achats de fusils, de revolvers et de pistolets-mitrailleurs ont doublé depuis le début de la crise.
Au milieu de la catastrophe, Trump pérore tous les jours à la télévision, enfilant mensonges, approximations et bravades autosatisfaites, l’œil rivé sur son propre audimat et sur l’audience qu’il recueille sur les réseaux sociaux. Pire : l’entreprise de dénigrement qu’il mène depuis des années contre l’information libre et rationnelle lui assure encore le soutien d’un électorat antiélites qui dénie toute légitimité à la science et à la compétence technique. Vivant dans un monde fantasmatique où tout ce qui vient du savoir et de l’expérience est disqualifié, ses électeurs continuent de faire crédit à ses sinistres rodomontades.
Grâce à ce mécanisme politique autoprotecteur, et alors même que son incapacité éclate au grand jour, Trump n’a pas perdu, loin de là, son assise électorale. D’où l’importance cruciale du scrutin de l’automne. Les démocrates, qui ont débattu dans leurs primaires, avec une certaine prescience, de la réforme nécessaire du système de santé, devraient en tirer avantage. Mais le populisme est un récit idéologique qui se met à l’abri des atteintes de la réalité, et se fonde sur la désignation d’un ennemi affublé de tous les vices, les élites du savoir et de la compétence. Ainsi la loi d’airain de la démocratie trouve une nouvelle application : il ne suffit pas d’avoir raison, il faut aussi gagner les élections.
LAURENT JOFFRIN

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