Mobilier, voiture, téléphones... Médiapart dévoile les
privilèges accordés à l'ex-président Sarkozy
Malgré son retour à la tête de l'UMP, Nicolas
Sarkozy conserve la quasi-totalité des moyens que l'État offre à ses anciens
présidents. Mediapart les dévoile, jusqu'au moindre détail. Du loyer déboursé
pour ses bureaux aux salaires de ses collaborateurs en passant par ses
porte-manteaux ou autres lampadaires, les chiffres donnent le tournis.
L’idéal, c’est quand on peut mourir pour ses idées,
la
politique, c’est quand on peut en vivre. »
Charles
Péguy
Nicolas Sarkozy doit cacher bien des secrets
d’État. Trois semaines après son départ de l’Élysée en mai 2012, l’État
français, bonne mère, lui a payé un « coffre fort » (1 016 euros), un « coffre de sécurité » (1 074 euros) et une « armoire
forte » (2 073 euros), aussitôt livrés dans les cossus bureaux
de la rue de Miromesnil à Paris où l'ancien chef de l'État venait de poser ses
guêtres.
Le contribuable a aussi payé le déménagement
(8 513 euros), de même que l’équipement de son repaire en lampadaires,
canapé, fauteuils avec « accoudoirs
fixes et réglables », porte-manteaux, « imprimante jet
couleur », ordinateur de bureau, portable,« smartphone », « GSM », « bureaux en verre
transparent », etc. En tout, 56 724 euros d’achats.
Depuis lors, l’État règle le loyer de Nicolas Sarkozy à hauteur de 16 341 euros par mois, soit 196 092 euros par an, en toute légalité.
Tous les anciens présidents vivent en effet sous perfusion de la République
depuis une décision de 1985 – une
simple lettre – paraphée par le socialiste Laurent Fabius,
alors premier ministre. Mais la nature et le coût exacts de ces largesses,
estimées entre 1,5 et 2 millions d'euros
annuels par tête de pipe, sont toujours restés confidentiels.
Alors que Nicolas Sarkozy a repris fin novembre les rênes
du principal parti d'opposition, à mille lieues d'une retraite politique, Médiapart
les dévoile aujourd'hui jusque dans le moindre détail. Toutes les données
publiées par Mediapart, qui couvrent la période mai 2012 à décembre 2014, sont
tirées de pièces officielles qu'un militant de la transparence, Raymond
Avrillier, a obtenues du gouvernement mercredi 14 janvier, après quatre mois
d'attente et de recours. Elles lui ont été transmises par le service
de Matignon qui gère les privilèges dévolus aux trois "ex" (Giscard
d'Estaing, Chirac et Sarkozy). Fin 2014, plusieurs
députés PS ont déjà dénoncé une « utilisation (de
ces moyens) à des fins personnelles » et un conflit d'intérêts en ces
termes : « Au
nom de quoi le contribuable français doit-il être le complice du retour
caricatural du chef (Sarkozy) ? »
En tant
qu'ancien président (il s'était augmenté
son salaire de 170 %), Nicolas Sarkozy sera de toutes façons
bénéficiaire d'une indemnité de 6 000
euros à vie.
Une caverne d'Ali Baba rue de Miromesnil :
570 000 euros depuis 2012. On
découvre aujourd'hui que l'État a
déboursé précisément 215 392 euros en 2014 pour la location de ces bureaux
et leur entretien.
Dans la liste : frais de nettoyage, électricité,« dépenses informatiques »,
copieurs, papier, timbres, machines à affranchir... Nicolas Sarkozy, lui,
s'affranchit peu des mamelles de l'État puisqu'en 2013, une note de« blanchissage » de 284 euros a même été prise en
charge.
Côté
communication, on relève encore 11 119 euros de factures de téléphones
mobiles, plus 4 720 pour des fixes. Sur deux ans et demi (achat du mobilier
compris), l’addition de la rue de
Miromesnil dépasse ainsi les 570 000 euros. Et dire que Nicolas
Sarkozy déclarait encore en
octobre dernier, à propos du RSA (revenu de solidarité active) et
de « l'assistanat » : « Est-ce que toute allocation doit
avoir comme contrepartie une activité ? Pour moi la réponse est
oui. »
Depuis
mai 2012, le conférencier Sarkozy, traditionnel pourfendeur des déficits publics, roule en C6V6 HDI Exclusive, « la
dernière limousine française haut de gamme » (dixitLa Tribune). La facture adressée à l'État révèle que cette voiture a
été achetée 44 141 euros à un
vendeur Citroën de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), cinq jours seulement après la défaite de Nicolas Sarkozy à la
présidentielle, et qu'elle a été agrémentée d'un« toit ouvrant électrique » et d'un « pack lounge ». Évidemment, l'ancien président ne paie pas son
carburant lui-même (4 046 euros par an, 5 301 euros d'entretien).
Ce ne sont pas les cinq fonctionnaires d'État
mis à disposition qui coûtent le plus cher, mais les cinq conseillers contractuels rémunérés entre 5 247 euros et
7 020 euros en net par mois, recrutés au bon vouloir de Nicolas Sarkozy. Il
est bien possible que le plus gros
salaire revienne à la demi-sœur de Carla Bruni, Consuelo Remmert, « conseillère
diplomatique » chargée de vendre les conférences du patron aux
banquiers et dirigeants du monde.
En extrapolant sur deux ans et demi, on peut
estimer qu'environ 1,6 million d'euros a
ainsi été encaissé par la fine équipe (avec un coût encore plus lourd
pour l'État, qui assume toutes les charges sociales). Dans l'absolu, il
faudrait aussi compter les traitements des policiers assurant la protection de
l'ancien chef d'État, que Matignon a occultés des documents transmis à
Raymond Avrillier, estimant que la « divulgation (de telles informations) porterait atteinte à la
sécurité de Monsieur Nicolas Sarkozy »*. Impossible de savoir combien ils sont. Au
passage, on notera que le chauffeur
fourni par le ministère de l'intérieur (4 000 euros mensuels) alterne
bizarrement au volant avec un collègue
détaché du conseil général des Hauts-de-Seine (5 339 euros), que
Nicolas Sarkozy a dirigé de 2004 à 2007, et où son fils Jean siège comme
vice-président.
Questionnée jeudi 15 janvier sur le renoncement
à ces avantages, la conseillère en communication de Nicolas Sarkozy explique
que son patron, désormais à la tête de l'UMP, va conserver ses locaux de
Miromesnil. « Il reste ancien président, argue Véronique Waché. La
circulaire de 1985 s'applique donc comme pour Chirac et Giscard. Il travaille
trois jours par semaine à l'UMP et deux jours rue de Miromesnil, où sont
organisés des rendez-vous non politiques avec des personnalités diplomatiques
ou de la société civile, qui ne viennent pas voir le président de l'UMP mais
l'ancien chef d'État. » « Pour qu'il n'y ait pas
d'ambiguïtés », l'organisation a été « doublée » (un directeur de cabinet de chaque
côté, deux secrétariats, etc.).
Si l'on comprend bien, Nicolas Sarkozy garde
tous ses collaborateurs de la rue de Miromesnil à l'exception de Véronique
Waché, qui « quitte son
poste et change d'employeur pour basculer à 100 % sur l'UMP ».
L'État continuera en particulier de rémunérer la « conseillère diplo »,
Consuelo Remmert, « parce qu'il y a des fonctions de
représentation diplomatique à assurer ». Quant à Michel Gaudin, le
directeur de cabinet côté Miromesnil, Véronique Waché assure qu'« il
est préfet à la
retraite » et qu'il
ne plombe donc pas « l'enveloppe ancien président ».
Après dépouillement de ces documents, Raymond
Avrillier, lui, ne compte pas en rester là. Il estime « raisonnable » de
conserver à Nicolas Sarkozy ses « moyens de protection,
dont la voiture peut faire partie »,
de même qu'« une ou
deux secrétaires pour répondre au courrier ». « Mais pour le reste,
depuis qu'il a été élu président de l'UMP, la question se pose de l'usage de
cet argent public à des fins politiques. »
Raymond Avrillier rappelle ainsi qu'un parti
n'a pas le droit de bénéficier de dons ni d'avantages en nature de la part
d'une personne morale (association, collectivité, entreprise, etc.). « En
l'occurrence, pointe-t-il, le
président de l'UMP reçoit de l'argent du secrétariat général du gouvernement.
L'État est-il encore, dans tous les sens du terme, une personne
morale ? »
L'ancien élu de Grenoble compte bien
interpeller la Commission nationale des financements politiques (CNCCFP),
chargée de vérifier les comptes des partis, « sur la régularité de ce
financement ». « Ne
faudrait-il pas comptabiliser une partie des avantages de Nicolas Sarkozy dans
les recettes du parti ? » lance
Raymond Avrillier. Quid par exemple de ses déplacements ? Pour rappel, la
décision de 1985 de Laurent Fabius offrait aux anciens présidents « la
gratuité pour eux-mêmes et leur conjoint sur l'ensemble des réseaux publics
ferroviaires, aériens et maritimes, dans la meilleure classe »,
pour aller à Doha ou Pékin, au cap Nègre ou à Varennes.
*Pour assurer la protection de Pierre Sarkozy, l'ambassade sollicite d'ailleurs «le
concours de la Police fédérale» brésilienne
(comme mentionné par Le Canard du 8 février). Ce courrier, cependant,
dévoile surtout le dispositif de sécurité français dont bénéficie le
« DJ ». Dans leur lettre, les services réclament en effet « une autorisation d’introduction et de
port d’armes à feu sur le territoire (brésilien) en faveur de deux officiers ».
On découvre ainsi que deux policiers du GSPR (le groupe de sécurité du
président de la République) escortent le
fils du chef de l’Etat dans ses déplacements aux quatre coins du monde.
Interrogée par Mediapart, la direction générale de la
police nationale (dont dépend le prestigieux GSPR) refuse de détailler. «Ce serait fragiliser le dispositif»,
nous objecte le service communication. Et de balayer nos interrogations sur le
coût d’une telle protection, le nombre de membres de la famille présidentielle
« sécurisés », ou le nombre d’officiers assignés en permanence à
cette tâche.
Du point de vue du contribuable, ces questions sont
pourtant légitimes. Pour assurer la sécurité rapprochée de Nicolas Sarkozy et
de ses proches, le GSPR est passé de 84 hommes au 1er janvier 2008 à 89 aujourd’hui
– qui viennent s’ajouter aux effectifs de la gendarmerie et de la
préfecture de police traditionnellement affectés à la surveillance de l’Elysée
(362 personnels recensés au début du quinquennat).
« Il est évidemment nécessaire de protéger certains
membres de la famille du chef de l’Etat», réagit le député
socialiste René Dosière, spécialiste du budget de l’Elysée. «Les
enfants du président de la République font l'objet d'une protection policière comme
les enfants et petits-enfants des présidents précédents», se charge
d'ailleurs de rappeler le porte-parole du ministère des affaires étrangères à
Mediapart.
Mais René Dosière affine sa réponse : «Je comprends que Louis, le fils de 14 ans
du Président, installé avec Cécilia aux Etats-Unis, soit sécurisé par le GSPR,
même si ça coûte cher. Mais
l’Etat doit-il protéger Pierre, enfant majeur qui a sa propre indépendance
financière, quand il parcourt le monde pour ses activités
professionnelles ? Je mettrais un point d’interrogation. Protège-t-on
le père de Nicolas Sarkozy ? Ses frères ? Sa mère ? »
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