dimanche 22 mai 2016

Au secours, la droite (ultralibérale) revient !



Ce n'est plus un programme économique, 
c'est une frénésie sacrée.
La perspective hautement probable d'un retour au pouvoir conduit la droite à une surenchère sémantique et libérale avivée par la primaire. 
La droite serait « enfin » libérée et disposerait d'un programme jamais vu.
 Erreur, elle fait du Balladur.

Officiellement, c'est un programme de mesure et de sagesse. Une analyse lucide et pragmatique de la société française. La sagesse des visionnaires. Dans les faits, les fauves sont lâchés, et leur fureur peut se lire dans le vocabulaire ambiant.
Dernier exemple en date, l'édito de Franz-Olivier Giesbert, cette semaine dans Le Point. Le titre : « Pour un coup de pied libéral dans la fourmilière. » Pourquoi pas… Mais écoutez les mots : « Exaspération » (4 fois, dont 3 en gras), « loi débile sur les 35 heures »« Mme Aubry fée Carabosse »« gauche formol et naphtaline », « Nuit debout = ravis de la crèche, infantilité, merguezisation (sic), imposture »… Pire encore, la France serait « un pays adepte d'une sorte de communisme mou » ! 
Giesbert n'est pas le pire, ni le plus antipathique des chroniqueurs. Mais qu'il en arrive à ce niveau de déchaînement est un symptôme, un de plus, dans la longue liste inaugurée par les Zemmour, Ménard, Brunet, et amplifiée sur le plan intellectuel par Finkielkraut et “ses fils”, ou par les adeptes du grand déclin…
Convaincue de se venger bientôt de ce qu'elle ressent toujours comme une expropriation, la droite politique prend sa frustration pour la réalité de la France. 
Emportés, ses responsables paraissent ne pas avoir remarqué que depuis bientôt cinq ans l'exécutif a mis en place une politique conforme aux exigences de Bruxelles, et que ces exigences-là ne sont pas communistes ! Ils s'apprêtent donc à démanteler une forteresse mythique qui n'existe plus depuis longtemps. Les 35 heures ont été tellement assouplies que les Français travaillent en moyenne 39 heures. Le déficit sera quasiment ramené aux fameux 3 %. La croissance est voisine de celle de l'Allemagne. 
Au nom de la lutte contre le chômage, qui reste écrasant, les candidats à la primaire à droite s'apprêtent, si on les prend au mot, à nous faire passer des ténèbres à la lumière !  
Comment ? En imposant à la France un remède de cheval. 100 milliards d'économie en plus des 40 milliards du pacte de responsabilité, une baisse générale d'impôts, la fin de l'ISF, la réduction des indemnités pour les chômeurs, etc. L'une de ces potions que même les durs de la Commission européenne n'osent plus mettre en avant, à propos de la Grèce, à la veille du référendum sur le Brexit . Cette potion rejetée partout, sous toutes les formes, dès qu'une élection le permet.
L'Irlande avait appliqué le programme, elle était la magnifique élève, son gouvernement a été viré. Le Portugal était l'exemple à suivre. Même sort pour ses dirigeants. L'Espagne “se relevait” : elle a voté contre le “releveur” et devra revoter.
Partout le programme libéral européen est repoussé par les peuples, et voilà que la droite française, à la veille de revenir au pouvoir, n'a qu'une idée dans sa besace : appliquer avec un zèle de converti les préceptes de la dérégulation, de la privatisation des entreprises et des contrats, de la réduction au sabre des dépenses publiques…
Au moment où l'Allemagne a instauré un Smic, où la Grande-Bretagne envisage de le faire, où le FMI s'interroge à voix haute sur les limites des politiques d'austérité, la droite française, à contretemps, s'apprête à appliquer aux Français ce que la Troïka a imposé aux Grecs.
Elle le fait au nom d'une sorte de révolution idéologique. Elle aurait enfin compris. Elle aurait décidé de s'engager hardiment dans le vingt-et-unième siècle. Or elle replonge dans le vingtième.
Déjà, dans les années 80, elle a été victime d'un même accès de fièvre libérale. Elle n'avait d'yeux que pour Reagan et Thatcher, elle supprimait l'ISF, et Valéry Giscard d'Estaing qui voulait doubler Chirac sur sa droite s'était érigé en observatoire de la réforme libérale. Et voilà que la droite de 2016 innove avec le programme économique de Balladur en 1986 et 1993.
Le modèle Balladur, on ne fait pas plus avant-gardiste ! 
                                                                                                                               HUBERT HUERTAS

Les politiques grecs ne reconnaissent d'autre force que celle de la vertu.
Ceux d'aujourd'hui ne vous parlent que de manufactures, de commerce, de finances, de richesses et de luxe même.
Montesquieu



Trop occupée à ferrailler contre le PS et la loi El Khomri, une partie de la gauche en oublie de fourbir ses armes contre Juppé, Sarkozy, Fillon et Le Maire, qui ne reculent devant aucune promesse pour reprendre le pouvoir.
Quelqu’un prend-il la peine de lire ce que proposent les candidats à la primaire de droite ? On y pensait en voyant les cortèges défiler dans la rue le week-end dernier à l’occasion de la Fête du Travail. Vent debout contre la loi El Khomri, les manifestants ont multiplié les slogans hostiles au gouvernement. "Non au retour à 'Germinal'", a-t-on pu lire sur certaines banderoles. Curieux anachronisme… Et drôle d’aveuglement surtout ! Car tant qu’à se hasarder dans les raccourcis historiques, c’est bien plutôt du côté de la droite qu’il faut redouter le retour des maîtres des forges.

Qui dit mieux ?

Engagés dans un concours Lépine ultralibéral, les concurrents de la primaire rivalisent de propositions chocs. Sans dire toujours pourquoi ni comment chacun y va de sa surenchère. 100 milliards d’euros d’économie pour Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, 110 milliards pour François Fillon, 130 milliards pour Hervé Mariton… Qui dit mieux ?Bruno Le Maire peut-être ? L’outsider des Républicains paraît en effet bien parti pour décrocher la palme avec son million de fonctionnaires supprimés – rien que ça ! – ou encore sa volonté de contrôler les comptes bancaires des bénéficiaires du RSA au cas où des pauvres seraient tentés de faire fortune en touchant indûment leurs 524 euros par mois…          On remarquera au passage que ce dernier, comme ses rivaux, se montre beaucoup plus discret sur la lutte contre la fraude fiscale pourtant quarante fois plus élevée que celle aux minima sociaux. Le même Le Maire, décidément très en forme, a déclaré récemment qu’il ne négocierait pas avec les syndicats, tandis que Nicolas Sarkozy assure, lui, vouloir remettre en cause leur monopole de représentativité et même en finir avec le paritarisme…

« Pour avoir le droit de parler, il faut avoir les mains propres.

Il faut avoir eu le courage de reconnaître, de réagir si on s’est trompé. »

Abbé Pierre


Indifférence quasi-générale

Mais de tout cela, nulle trace dans les défilés du 1er-Mai ! Trop occupée à ferrailler avec un Parti socialiste auquel tous les sondages promettent une défaite en rase campagne à la prochaine présidentielle, une partie de la gauche en oublie de fourbir ses armes contre une droite qui ne reculera devant aucune promesse, fût-elle démagogique et inapplicable, pour prendre le pouvoir.
Ne nous y trompons pas : c’est en effet une droite de rupture, revancharde plus que réformiste, qui prépare son retour aux affaires. Austérité, contournement du dialogue social, dérégulation, réduction des services publics, révision des acquis sociaux et du temps de travail… Son projet se construit à ciel ouvert et sans ambiguïté dans une indifférence quasi générale.
Dans un an pourtant, personne ne pourra dire qu’il n’a pas vu les coups venir. "Au secours, la droite revient", pronostiquait un slogan pendant la campagne des législatives il y a trente ans. A l’époque tout le monde en avait ri. Et la gauche avait perdu le pouvoir !

Matthieu Croissandeau

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