dimanche 7 janvier 2018

L'islam, encore et toujours

L'islam, encore et toujours

Emmanuel Macron veut dépassionner le débat sur l’islam. Il l’a dit dans un long discours sur la laïcité prononcé devant les autorités religieuses de France et il a évidemment raison. L’hystérie qui s’empare du débat public autour de cette question atteint parfois les sommets du grotesque. Non qu’elle soit secondaire. Mais elle met en jeu beaucoup d’affects et peu de réalités. Dès qu’on y jette un regard froid, dès qu’on s’attache au réel, elle révèle un accord bien plus large qu’on ne croit. Citons quelques pommes de discorde.
- Sur le voile islamique, objet de tant d’envolées sonores, il est en fait entendu – et accepté – par une nette majorité de Français que les signes religieux ostentatoires doivent être prohibés dans l’administration et les salles de classe, autorisés ailleurs, même sur les plages. Certains demandent leur réintroduction dans les écoles ; d’autres, à l’inverse, voudraient étendre l’interdiction du voile à l’université : ils sont ultraminoritaires dans les deux cas et personne ou presque parmi les leaders politiques du pays ne songe sérieusement à imposer l’une ou l’autre mesure.
- La construction de mosquées suscite parfois des polémiques. Elles sont circonscrites et personne ou presque ne propose de les interdire. A l’inverse, les musulmans évitent en général, par souci d’apaisement, l’érection de minarets très visibles.
- L’immense majorité de l’opinion refuse l’ingérence de la religion dans les programmes d’enseignement, y compris parmi les musulmans. A la différence de ce qui existe aux Etats-Unis, aucune force organisée, notable, ne demande que le créationnisme, par exemple, soit enseigné à l’école, encore moins à égalité avec la théorie de l’évolution. Le corps enseignant maintient avec courage l’intégrité des programmes établis par l’autorité républicaine.
- La viande halal – ou casher – a droit de cité. Le débat se réduit en fait à une discussion sur les conditions d’abattage, par souci de limiter la souffrance animale. Beaucoup de responsables religieux sont ouverts au compromis sur ce point. De même, les menus de cantine scolaire sont progressivement adaptés pour tenir compte des traditions culturelles en matière d’interdits alimentaires (l’école avait déjà admis ce principe en servant du poisson le vendredi pour tenir compte de la tradition catholique).
- Les religions sont consultées systématiquement lors de la préparation de lois de bioéthique. Mais personne ou presque n’exige que leurs demandes soient acceptées par principe. Les élus sont libres de légiférer comme ils l’entendent.
- La grande majorité de l’opinion s’accorde pour refuser les exigences intégristes à l’hôpital ou en matière de sport à l’école. Les conflits se résolvent la plupart du temps par la discussion. Evidente, la poussée fondamentaliste est largement contenue, sinon rejetée la plupart du temps.
- Protecteurs des religions et de la liberté de culte, les principes laïques sont en fait massivement approuvés par l’opinion et chez une majorité de musulmans.
- Les indices de tolérance entre communautés, mesurés par les sondeurs ou les sociologues, sont orientés à la hausse malgré les attentats ; les agressions contre les musulmans ont nettement baissé entre 2015 et 2016.
- Deux points noirs persistent ou s’étendent : l’emprise intégriste sur certaines cités, celle que décrivent par exemple Ariane Chemin et Raphaëlle Bacqué dans leur livre sur Trappes ; l’antisémitisme, qui connaît un regain alarmant. Ce n’est pas rien… Mais la puissance publique et les municipalités s’efforcent de les combattre. C’est une lutte nécessaire et constante. Personne ne peut dire qu’elle est perdue d’avance.
Irénisme ? On le dira. Mais les Cassandre doivent, pour réfuter ce constat, y opposer des faits tangibles et non des fantasmes. Les difficultés sont réelles, parfois inextricables ; encore faut-il, pour les résoudre, les évaluer à leur juste proportion.

Et aussi

Faire revenir les «revenants», ces jihadistes français, femmes ou hommes, prisonniers en Irak et en Syrie ? Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, a posé un critère utile : ils peuvent être jugés sur place si les garanties de droit en vigueur dans les démocraties leur sont appliquées. Aujourd’hui, nous n’y sommes guère. Des procès tenus en France, aussi bien, auraient la vertu pédagogique et informative qui est propres à la bonne administration de la justice.
On oublie, en tout cas, de relever un paradoxe. Ainsi ces terroristes qui n’avaient que haine et mépris envers la République française, jusqu’à prendre les armes contre elle, jusqu’à à se faire les complices d’attentats ignobles perpétrés contre leurs compatriotes, découvrent soudain ses vertus. Vaincus, ils ont changé d’idée. On aurait pu penser, avec une pointe d’ironie, qu’ils auraient préféré comparaître devant un tribunal islamique… Bizarrement, ils s’en remettent maintenant à l’état de droit laïque et républicain qu’ils vouaient aux gémonies, à des tribunaux composés de mécréants, à un Etat français par ailleurs qualifié de raciste et de post-colonial. Cela tend à prouver que le courage des fanatiques a ses limites. Ou que la défaite est parfois mère de sagesse.
LAURENT JOFFRIN

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