dimanche 10 novembre 2019

Macronisme et pauvreté LAURENT JOFFRIN

On entend souvent que les politiques ne servent à rien, que droite et gauche mènent des politiques identiques, que les gouvernements successifs finissent par se ressembler comme deux gouttes d’eau. Léger problème : les chiffres disent le contraire. Un chiffre, en tout cas, symbolique en ce jour dédié à la lutte mondiale contre la misère : le taux de pauvreté.
L’Insee vient de publier l’indicateur avancé qui mesure le nombre de Français, et souvent de Françaises, percevant moins de 1 050 euros par mois : il a augmenté en 2018 à 14,7%, pour un total de 9,3 millions de personnes, contre 14,3% en 2017.

Sur une plus longue période, le même indicateur a augmenté après la crise de 2008, pour décroître nettement de Sarkozy à Hollande et se stabiliser à ce niveau plus bas jusqu’en 2017 (malgré une croissance étique). Il remonte depuis l’élection d’Emmanuel Macron (alors que la croissance s’est améliorée). De la même manière, l’indice de Gini, qui exprime l’inégalité des revenus, s’est dégradé depuis 2017 (alors que la situation s’était améliorée de 2012 à 2017), principalement à cause des mesures fiscales prises en faveur des catégories les plus aisées. Comme on dit en anglais, et contrairement aux idées reçues, politics matter, la politique compte. Celle qui favorise les «premiers de cordée» pénalise les derniers : la corde est élastique et ils sont à la traîne.
Certes, ce gouvernement, qui n’est pas forcément dédié à l’écrasement des pauvres, a relevé certains minima sociaux. Mais il a raboté énergiquement d’autres prestations (en matière de logement notamment), ce qui débouche sur un solde négatif. Décidément le macronisme n’est pas un socialisme. Ce qui n’est pas étonnant : il a décrété que la distinction droite-gauche n’existait plus. Vieille idée qui émane en général de la droite.
Un coup d’œil sur l’évolution du taux de pauvreté à moyen terme permet de détecter au passage quelques vérités souvent oubliées. La France, qu’on décrit parfois comme une terre de misère, présente l’un des taux de pauvreté les plus bas d’Europe (et donc du monde), dans un groupe de pays égalitaires où l’on trouve le Danemark, la Norvège ou les Pays-Bas. L’alternance de gouvernements libéraux-colbertistes et sociaux-démocrates y est pour quelque chose. Politics matter.
On entend encore que le progrès n’existe plus, que le bien-être matériel stagne. Encore faux : le taux de pauvreté a été divisé par deux entre 1970 et 1990. Il évolue à un niveau bas depuis cette date, selon les politiques menées. C’est encore beaucoup trop, évidemment. Mais on a progressé…
Cette stagnation relative de l’indicateur depuis le début du siècle (avec les variations précitées, selon les politiques menées) s’explique pour l’essentiel par la faiblesse de la croissance. Les sympathiques partisans de la décroissance qu’on trouve dans les rangs des écologistes pourraient peut-être en tenir compte. Si, au lieu de croître lentement, le PIB commençait à diminuer rapidement, on ne voit pas très bien comment la pauvreté pourrait reculer. On peut consommer autrement, plus intelligemment, dans le respect de l’impératif écologique. Mais consommer moins quand on gagne 1 050 euros, est-ce une bonne idée ? Une aporie sur laquelle les avocats des «limites», également procureurs de la «croissance verte» gardent un silence pudique…
LAURENT JOFFRIN

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