lundi 14 janvier 2013

Le Mariage pour tous





Jean-Paul Cluzel, 65 ans, est président de l'Etablissement public de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais, à Paris. Cet énarque, inspecteur des finances, a été directeur de l'Opéra de Paris, et président de Radio France. Classé à droite, proche d'Alain Juppé, il est homosexuel et catholique. Il s'exprime sur le débat autour du projet de loi de mariage pour tous contre lequel la droite milite.
"Je suis gay, catholique et libéral. 
C'est pour moi une sainte trinité indissociable"
. Je ne suis pas le seul dans ce cas, loin de là, mais je suis un des rares à le proclamer, car je suis un homme libre. Et si mon engagement peut aider d'autres à le vivre mieux... Je ne veux pas choquer, je veux convaincre.

Je me suis pacsé avec mon compagnon - il est comme moi catholique et libéral. Se pacser, c'est une question d'amour, d'affichage de l'amour, d'engagement aussi, comme pour un homme et une femme. Mon compagnon communie à la messe, moi, moins, mais je le fais avec lui, par amour pour lui. Est-ce que nous allons nous marier si la loi est votée ? Je crois que mon compagnon en exprime le désir. Pour moi, ce sera un surcroît d'engagement affectif, aux conséquences minimes, car, à mon âge, je ne me vois pas adopter un enfant.

Dans les dîners en ville, on nous pose beaucoup de questions, moins sur le mariage que sur l'adoption. Je sens une gêne : "Vous qui êtes raisonnable, Jean-Paul..." Comme si les homosexuels ne l'étaient pas... Je trouve l'UMP consternante, tant elle reste bloquée sur des convictions passéistes. J'en parle avec mes amis de droite. L'UMP s'est droitisée depuis la dernière présidentielle et cela s'est amplifié avec la guerre Copé/Fillon. Que Copé aille à la manifestation du 13 janvier est dans la continuité de sa sortie consternante sur le pain au chocolat. Ce M. Buisson [ex-conseiller de Nicolas Sarkozy] a fait de gros dégâts...


La bataille parlementaire autour du projet de loi sur le mariage homosexuel a commencé dès lundi sur plusieurs fronts, avec un premier débat houleux en commission .Les députés UMP ont claqué la porte lundi soir de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, qui a rendu un avis consultatif favorable sur le texte, avant que la Commission des Lois, compétente sur le sujet, s’en saisisse à partir de mardi. L’ensemble des députés débattront du texte en séance publique à partir du 29 janvier.
L’UMP a claqué la porte après le rejet par la majorité socialiste de la commission d’amendements UMP et UDI instaurant des solutions alternatives au mariage pour les personnes de même sexe, alliance civile ou union civile.
«Les députés présents de l’UMP ont refusé de continuer à participer au travail en commission comme si de rien n'était, comme si la loi ordinaire était l’instrument légitime de cette réforme, comme si les Français n’avaient pas exprimé - et avec quelle force - leur souhait d'être consultés par référendum»*, ont expliqué dans un communiqué les députés UMP Henri Guaino et Jean-Pierre Door.
«Dans sa croisade référendaire contre le mariage pour tous, l’UMP est en train de perdre la tête», a aussitôt rétorqué dans un communiqué Bruno Le Roux, président du groupe socialiste.
«En décrétant devant la commission des Affaires sociales, par la voix de M. Guaino, que "le Parlement n'était pas légitime" pour réaliser cette réforme et en quittant la séance, ses représentants se sont disqualifiés et couverts de ridicule», a-t-il ajouté en soulignant: «si le Parlement n’est pas légitime, à quoi servent M. Guaino et ses amis, pourquoi se sont-il présentés devant les électeurs? (....)».
* Mais en dépit de ce que semblent penser les responsables de la droite qui défendent ce projet, la Constitution ne permet pas d’organiser des référendums sur des sujets de société. Selon l’article 11 du texte, Dans le texte initial de la Constitution, les projets de loi susceptibles d'être soumis à référendum ne pouvaient porter que sur l'organisation des pouvoirs publics, l'approbation d'un accord de Communauté ou l'autorisation de ratification d'un traité qui "sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions". "Ce référendum est absolument impossible! Ceux qui font cette proposition instrumentalisent la Constitution à des fins politiques", s’agace Pascal Jan, professeur de droit constitutionnel à Sciences Po Bordeaux. "Les questions de société ne peuvent pas être soumises à référendum parce qu’elles ont toujours été considérées comme plus sensibles.
 
UN CADEAU À LA GAUCHE 
Cette droitisation de l'UMP choque la droite libérale à laquelle j'appartiens. Je suis libéral en économie et libéral dans les moeurs. Or, la droite française n'est libérale qu'en économie - et encore. Elle est beaucoup moins libérale que la droite anglo-saxonne ou celle des pays nordiques. Quand je pense que le premier ministre britannique, David Cameron, va proposer en 2013 une loi pour le mariage gay...
On a eu une période bénie avec Valéry Giscard d'Estaing, entre 1974 et 1981. L'histoire lui rendra hommage pour avoir abaissé le droit de vote à 18 ans et légalisé l'avortement. Et je n'oublie pas, en 1967, la légalisation de la contraception avec la loi Neuwirth. Cette droite-là, elle est où ? Il n'y a pas de relève. Pourtant, Alain Juppé m'a appelé. Beaucoup de membres du Siècle [cercle réunissant des personnalités politiques, scientifiques, culturelles, des hauts fonctionnaires, syndicalistes, industriels ou financiers], auquel j'appartiens, m'ont félicité pour mon engagement.
Il y a aussi Jean-Louis Borloo... Il y a Franck Riester [élu UMP et homosexuel déclaré], qui se fait élire à Coulommiers, une ville qui n'est pourtant pas le Marais à Paris... Mais pas assez de gens de droite se lèvent pour dire à l'UMP : "Vous faites fausse route. Vous n'êtes pas en accord avec votre souhait d'une société laïque. Une société de liberté. Vous militez contre vos couleurs !"
C'est d'autant plus rageant que je suis sûr que, si le mariage pour tous est adopté, la droite actuelle, dans cinq ou dix ans, trouvera ça normal ! Comme pour le pacs. Lors d'un dîner de La Revue des deux mondes, j'ai demandé à Nicolas Sarkozy s'il regrettait de ne pas l'avoir voté. Il a répondu : "Oui, nous avons fait une connerie." Et là, ils sont en train d'en faire une autre... La droite va faire un cadeau à la gauche. Et quel signal désastreux envoyé aux milliers de gens de ce pays qui se sentent discriminés... Quel signal désastreux encore au moment où la France a besoin de laïcité.
CONFUSION ENTRE CONCEPTIONS MORALES ET LOI
Nous avons la chance de vivre dans un pays où il y a une grande liberté de moeurs, qui se retrouve dans le quotidien mais aussi dans les films, la littérature, le théâtre... Et la droite ne veut pas le voir. Comme elle ne veut pas voir que cinquante divorces sont prononcés pour cent mariages, que la moitié des enfants naît hors mariage, que le quart des enfants est élevé dans des familles monoparentales, que les grands-parents sont plus jeunes et élèvent aussi leurs petits-enfants... Au lieu d'inventer une nouvelle citoyenneté, des liens entre les Français, sans tomber dans le communautarisme, la droite ferme les yeux.
Nous avons un législateur très conservateur, qui se trompe sur les convictions des gens et fait une confusion entre les conceptions morales et la loi. Le législateur devrait précéder l'opinion, comme l'a fait Giscard avec l'avortement, ou la gauche avec le pacs, et là, il est en retard sur l'opinion.
Le paquet fiscal de Nicolas Sarkozy contient un point fondamental : il instaure une égalité fiscale entre le couple marié et le couple pacsé au regard des droits de succession. C'est central pour les homosexuels, notamment à cause du sida. Mais le gouvernement n'en a pas parlé, alors qu'un gouvernement libéral aurait mis en avant cette mesure.
UNE ATTITUDE DE L'ÉGLISE INSULTANTE

« J’ai honte de nos hommes enivrés de cette sotte humeur de s’effaroucher des formes contraires aux leurs :
il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village »,
Montaigne.
Même chose sur le débat sur la fin de vie, où le législateur français est bien plus conservateur que dans la plupart des pays européens. Et je suis favorable à la procréation médicalement assistée (PMA). C'est lié à la liberté de la femme d'user de son corps. Certaines n'aiment pas être pénétrées, c'est leur droit !
L'attitude de l'Eglise m'attriste autant. Quarante-cinq pour cent des catholiques pratiquants sont favorables au mariage gay, et que dire des simples catholiques de tradition. Mais l'Eglise s'est longtemps comportée comme si l'homosexualité n'existait pas. Pourtant, des papes l'ont pratiquée allégrement, sans parler des nombreux abus sexuels de prêtres sur des enfants.
En fait, tant que nous, catholiques et gays, nous vivions cachés, l'Eglise n'a rien dit. Mais, depuis qu'on veut vivre publiquement notre homosexualité et notre foi, elle se réveille, nous traite de "PD" ou de "folles"... Des catholiques gays le vivent douloureusement. Moi, je m'en fiche.
 Mais, en se prononçant contre le mariage pour tous, 
l'Eglise veut imposer la loi religieuse sur la loi civile.  
J'appelle cela la charia..."

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