lundi 18 mars 2013

La laïcité n’est pas une opinion, c’est la liberté d’en avoir une." Jean-Marie Matisson


Cohen-Askolovitch-Haziza-Hanouna :
la curée des "Rabins Intégristes du Paf "
contre Frédéric Taddéi

Le droit de dire et d’imprimer ce que nous pensons
est le droit de tout homme libre,
dont on ne saurait le priver sans exercer
la tyrannie la plus odieuse".
Voltaire

A quoi sommes-nous obligés d’assister depuis quelques jours ?
 Après le clash au sein de « C à vous », sur France 5,
 entre Patrick Cohen et Frédéric Taddeï, le 12 mars dernier,
c’est Cyrille Hanouna, sur D8, de s’en prendre avec violence
 à l’émission de débat du vendredi de France 2, le 15 mars,
et à son animateur.
Rappel des faits
Frédéric Taddeï anime sur France 2, le vendredi soir, en deuxième partie de soirée, une émission de débat en direct, « ce soir ou jamais », où il reçoit, en fonction de l’actualité, un plateau d’intervenants directement concernés et ou apportant leur connaissance du sujet.
Cette émission qui se veut culturelle, née quotidienne en 2006 sur France 3, où elle partageait avec un certain bonheur les soirées avec le Journal du Soir, a ensuite été chahutée dans sa programmation par les différentes directions. Elle est d’abord devenue hebdomadaire en 2011, en occupant la case du mardi soir, durant 2 heures, toujours sur France 3 et toujours en deuxième partie de soirée. Puis, le 8 mars 2013, elle est passée au vendredi soir, sur la chaîne France 2, dans la case sinistrée laissée, contre son gré, par Bruce Toussaint, qui n’a pas pu résister au tsunami Arthur, sur TF1, dont le concept de divertissement a remporté tous les suffrages.
Qu’est-il passé dans la tête des directeurs pour envoyer au feu ses meilleures troupes ? Pour lancer son unité des Forces Spéciales à l’assaut de la division des Panzer de la maison d’en face ?
Ce jeu de chaises musicales aura eu pour effet de mettre sous les feux du microcosme médiatique et de tous ceux qui observent, l’animateur Taddeï, sommé de sauver le soldat Service Public. Invité de C à vous, sur France 5, en début de semaine dernière, Frédéric Taddeï a eu droit en direct à une violente diatribe de Patrick Cohen, chroniqueur de l’émission et par ailleurs animateur de la tranche 7-9 sur France Inter, une station où il a eu l’occasion de croiser Taddeï.
Le reproche principal de Cohen à l’animateur de débats était de recevoir (parmi tant d’autres) Dieudonné, Alain Soral, Tariq Ramadan ou Marc-Edouard Nabe : 
« Des gens que vous êtes le seul à honorer à la télévision ». «  Et à mon avis, pas seulement pour de bonnes raisons [...]. On a une responsabilité, quand on anime une émission de débat public, de ne pas propager des thèses complotistes ou de ne pas donner la parole à des cerveaux malades. »
Bien sûr on a déjà vu Nabe, Dieudonné, BHL, Finkielkraut ou la hardeuse Katsumi plusieurs fois sur le plateau de Ce soir ou jamais. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt assure l’animateur qui préfère rappeler que certaines personnalités ne viennent quasiment que dans son émission, comme Stéphane Hessel
Romain Bouteille, Alain Badiou, Paul Ariès, Edgar Morin ou, récemment, Noam Chomsky.
Le procureur Cohen a poursuivit ainsi durant de longues minutes, sous les yeux ébahis d’Alexandra Sublet, qui voyait le ton monter entre les deux hommes. Et Frédéric Taddeï de rappeler que c’est justement la transgression qui est le moteur de son émission et qu’il faut faire honneur à la liberté d’expression, qu’il y veille et qu’il se félicité de n’avoir jamais eu à faire à la justice pour quelque propos condamnable, car il veillait à ce que la liberté d’expression reste dans les limites de ce qui est autorisé par la loi, c’est à dire que l’on peut tout dire, sauf ce qui est condamnable.

 « Pour moi, il n’y a pas de liste noire [...]. Je m’interdis d’être le procureur ou le défenseur des uns et des autres, et surtout de censurer qui que ce soit à partir du moment où il respecte la loi [...]. “Ce soir ou jamais !” est l’émission la plus transgressive du PAF »... « Je défie qui que ce soit de dire ce que je pense des sujets, des débats que j’anime.   Je suis illisible. Je suis un animateur de débat. C’est moi, avec mon équipe, qui choisis les invités, c’est déjà une intervention énorme,  je choisis ce qui me semble être le sujet d’actu le plus intéressant et    sous quel angle on le traite. J’invite des artistes et des intellectuels représentatifs. Je prends garde à ce qu’il y ait des antagonismes, des centristes et des excentriques, des contestataires, des hommes et des femmes, des vieux et des jeunes. Bref, la configuration idéale. Je veux qu’ils aient le temps de parler et qu’ils aient le temps de finir leur phrase. Je rends la parole à celui qui a été coupé. Quand on anime une émission comme celle-ci on doit bien connaître la loi... »

 Ce soir-là, Cohen a pointé un doigt accusateur vers Taddeï en le désignant comme le dernier repère de la bête immonde, qu’il fallait dénoncer, mais aussi et surtout supprimer ou recadrer éditorialement, pour n’autoriser qu’une palette politique acceptable, allant du rouge sang au bleu pâle.
On aurait pu en rester là tant le procès d’intention était manifeste et l’attaque disproportionnée. Seulement, les jours qui ont suivi ont été marqués par des contributions comme celle de Claude Askolovitch, journaliste politique et sportif, qui dit sur Twitter que Taddeï « invite les salauds que les autres ne valident pas ailleurs, et qu’il offre une tribune au racisme, à l’antisémitisme et à l’islamophobie… »
Frédéric Haziza (La Chaine Parlementaire et Radio J) ne fait pas mieux en délivrant son gazouillis où il fustige à nouveau Taddeï qui inviterait des pseudo-intellos antisémites. M. Haziza s’est dans un passé récent illustré en refusant d’inviter Alain Soral au nom du respect à son grand-père mort à Auschwitz (je ne me risquerai d’ailleurs pas à relayer ce qui se dit à ce sujet, car l’homme a la plainte facile).
Cyril Hanouna entre dans la danse ou « Le Bal des Débutants »
Last, but not least, vendredi 15 mars, c’est Cyril Hanouna qui s’est risqué à la critique. Enfin, critique est un doux euphémisme. Dans son émission quotidienne consacrée à l’actualité de la télé, l’animateur, meneur d’une bande de chroniqueurs du métier rejoints par un Jean-Marie Bigard qu’on a connu mieux inspiré, avait semble-t-il une forte envie d’en découdre avec Taddeï.
Sous la formule « je matte ou je zappe », chacun était appelé à se prononcer sur telle ou telle émission et à justifier, si possible avec talent, le pourquoi de son choix. Celui de Cyril Hanouna, en n’ayant semble-t-il prévenu personne de son initiative, s’en est pris assez vertement à Frédéric Taddeï et son émission.
Il a d’abord construit (enfin le verbe est sans doute un peu trop fort) son argumentaire sur le fait que ce n’était pas un succès, Hanouna s’est fâché encore plus rouge en laissant comprendre le fond de sa pensée.
Il a dénoncé le fait que Taddeï ait commis le crime horrible de prendre la place (que semble-t-il on lui a imposé) de Bruce Toussaint, dont le projet de rentrée, un talk show bavard, a fait un flop. Il semble qu’Hanouna n’aime pas qu’on fasse du mal à ses copains. Et puis, Hanouna a finalement lâché, entre deux éructations, sa réelle motivation, dans le droit fil des accusations des consorts Cohen/Askolovitch/Haziza. Il a parlé du problème d’offrir une tribune « à ces gens-là ».
Docteurs de la Foi Cathodique et de la Vérité Acceptable,
en reprochant à Ce Soir ou Jamais d’être un lieu de débat où peuvent aussi venir s’exprimer une pensée différente, marginale parfois, dérangeante souvent. Une pensée de droite. Parfois très à droite. Cyril Hanouna se garde bien de dire que pourtant, l’expression de ces propos est toujours très encadrée, par Taddeï lui-même, mais aussi et surtout par les contradicteurs qui sont en général en nombre et de qualité.
Je suis donc un peu sonné ce matin. Ma télévision, à la carte, était faite de Ce Soir ou Jamais. Je voyais en Cyril Hanouna un vrai gentil, Il inventais une autre télévision à sa manière. Mais en ce 15 mars 2013, il semble qu’il se soit laissé aller à un réflexe communautariste qui ne peut hélas que nourrir la vindicte et le ressentiments des observateurs qui vont crier à la conspiration pour avoir la peau d’un animateur qui détone dans le microcosme… Sans le talent d’orateur hélas.
Seule Enora Malaguet a su dire, avec justesse et force, tout ce que la culture de masse et la liberté d’expression avaient à gagner avec CSOJ et Taddeï et que les propos de son « chef » étaient minables et à côté de la plaque.
Il faut espérer que certaines voix d’intellectuels et d’artistes monteront pour dénoncer cette entreprise de « bashing » qui vise à sortir des grilles des programmes un des seuls moments de liberté d’expression qu’il reste aux Français, quelles que soient leurs opinions.
L’affaire aurait pu en rester là. Mais voilà que ce lundi matin dans les pages “Rebonds” de Libération, Daniel Schneidermann met son grain de sel. Et le fondateur du site “Arrêt sur images” de se faire l’avocat de Frédéric Taddéï. Et par conséquent le pourfendeur de Patrick Cohen. “Se priver d’invités intéressants parce qu’on n’est pas d’accord avec eux, est, pour un journaliste payé par le contribuable, une faute professionnelle. Et non seulement c’est indéfendable, mais c’est contre-productif”, écrit-il dans “Libé”.




Pourvu que je ne parle ni de l’autorité, ni du culte,
ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place,
ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles,
ni de personne qui tienne à quelque chose,
je puis tout imprimer librement,
 sous l’inspection de deux ou trois censeurs.
Beaumarchais



Service public, service de soi ?

Justice au singulier 

 

Sous l'égide aimable d'Alessandra Sublet, une controverse passionnante, courtoise mais sans complaisance entre Patrick Cohen et Frédéric Taddéï (France 5).

Si on en a beaucoup parlé, c'est que la joute concerne un problème essentiel qui est le rôle du journaliste dans le service public et le rapport qu'il doit entretenir avec la liberté d'expression.

Quand Christophe Hondelatte, kamikaze médiatique et intelligemment provocateur, énonce que Véronique Genest non seulement a le droit d'être islamophobe mais de le dire, il suscite une forte réprobation chez ceux pour lesquels cette hostilité serait contraire à la bienveillance systématique qu'imposerait leur humanisme. Mais son propos n'est pas de nature à susciter, au-delà de lui-même, une effervescence critique et stimulante.

Qui a été secrétée, au contraire, par l'opposition entre Cohen d'un côté et Taddéï soutenu par Schneidermann de l'autre.

Je connais ces trois personnalités et je les apprécie pour les avoir pratiquées dans leur exercice professionnel. Je n'ai jamais eu à pâtir, en aucune façon, de l'une d'elles. Aussi, pour écarter d'emblée tout soupçon de connivence et donc d'inévitable fadeur, je souligne que mon parti est pris et que je me range - cela n'étonnera personne pour qui me connaît - dans le camp du service public plutôt que dans celui du service de soi. Sous la bannière de Taddéï de préférence à celle de Cohen.

Il convient cependant de rendre grâce à Patrick Cohen qui, au lieu de se livrer à une censure sournoise, comme certains, et de la nier avec des protestations d'innocence civique, a explicitement admis que sur France Inter, une liste noire existait et qu'au moins cinq personnalités n'y seraient jamais invitées parce qu'on n'avait pas envie de les entendre : Tariq Ramadan, Dieudonné, Alain Soral, Marc-Edouard Nabe et Mathieu Kassovitz. En approfondissant cette hostilité analysée par Schneidermann, il apparaît que pour quatre d'entre elles au moins, elle est liée "aux choses désagréables qu'elles ont dites sur les Juifs, Israël ou le sionisme" et donc au fait qu'elles auraient contrevenu "à un dogme" (JDD.fr).

Ce n'est pas faire injure à Patrick Cohen que de souligner que l'atmosphère de liberté maîtrisée à laquelle il aspire ne lui est pas propre et que sur cette radio des journalistes n'ayant pas son talent - en particulier, je ne supporte pas Pascale Clark dont le ton et la posture de questionnement me hérissent - s'inscrivent dans cette même mouvance d'éthique décrétée.

En réplique, la position de Frédéric Taddéï est infiniment limpide et cohérente. Je peux la résumer ainsi : "Le service public ne m'appartient pas, mes sympathies ou antipathies ne doivent pas entrer en ligne de compte. Je m'interdis toute liste noire et de censurer sur le service public à partir du moment où on respecte la loi".
Taddéï, pour dissiper les inquiétudes morales de Patrick Cohen, faisait un constat décisif qui à mon sens l'a constitué comme le vainqueur de ce dialogue musclé. Au cours des 657 émissions de "Ce soir (ou jamais !)", pas une seule fois l'animateur n'a été obligé d'intervenir pour faire taire quelqu'un.

Cet affrontement intellectuel est vieux comme le journalisme et ne cesse pas aujourd'hui d'engendrer des effets contrastés. 





Refuser le diktat du profit et de l'argent,
s'indigner contre la coexistence d'une extrême pauvreté
et d'une richesse arrogante,
refuser les féodalités économiques,
 réaffirmer le besoin d'une presse vraiment indépendante,…
Mais si, aujourd’hui, une minorité active se dresse,
cela suffira, nous aurons le levain pour que la pâte lève.







Le journaliste s'efface parce que, auxiliaire du service public, il a pour mission et pour honneur de mettre en oeuvre un pluralisme qui, même discutable éthiquement, n'a pas vocation à être brimé dès lors qu'aucune foudre judiciaire ne l'a atteint. C'est la conception de Taddéï à laquelle Cohen objecte que le journaliste se doit aussi d'être un citoyen engagé et que tout ne peut pas être soutenu par n'importe qui sur le service public. La conscience de Cohen accomplit et accomplira le tri au nom d'une subjectivité elle-même lourde de préjugés. Pour résumer, profondément Cohen est un juge quand Taddéï se veut seulement - et c'est beaucoup - un journaliste, un éveilleur. Taddéï exclut quand la loi l'a ordonné, Cohen quand il l'a décidé. L'un est un serviteur, l'autre un maître.

Je ne sais pas si la démarche de Cohen relève de la "faute professionnelle" comme le lui impute Schneidermann mais en tout cas d'une vision professionnelle impérieuse, guère modeste dans son expression. Il y a, derrière elle, le risque de l'hypertrophie du personnage qui informe, la tentation du justicier qui pointe. Ils sont d'autant plus à craindre qu'on a pu constater, de sa part comme de celle d'autres dans l'audiovisuel, que la contrainte d'avoir à inviter et à questionner des politiques qui ne plaisent pas s'accompagne généralement d'une partialité et d'une rudesse réservées seulement à quelques-uns.

Il me semble que, poussé dans ses retranchements, Cohen a traité avec trop de désinvolture - à cause de sa gêne ? - la réplique perfide de Taddéï lui rappelant que "des ministres condamnés, y compris pour pour racisme" avaient été conviés dans la matinale de France Inter. Nul n'ira jusqu'à lui contester cette liberté mais, "journaliste payé par le contribuable", il devrait alors être attentif à ce que sa bienséance éthique et sélective a d'inéquitable. Plutôt que de s'attacher à un journalisme de responsabilité impossible dans sa définition pleine et entière, Patrick Cohen pourrait accepter l'humilité à la fois républicaine et médiatique de Frédéric Taddéï : sa force, son pouvoir résident dans un comportement qui précisément ne s'en assigne aucun.

Je me souviens d'Anne Sinclair qui, star de la télévision, refusait systématiquement de faire venir sur son plateau Jean-Marie Le Pen. Je l'ai critiquée, j'avais tort. Elle avait un motif pour s'abstenir : le procès les ayant opposés. Que je sache, avec les cinq personnalités interdites à France Inter, Patrick Cohen n'a nul contentieux.

Trop souvent, pour la liberté d'expression et les défaillances des journalistes, la discussion tourne court parce que le progressisme dominant et le désir incoercible de censure ne sont, par commodité, que confrontés à une sorte de parole et de justification libres et sauvages.

Mais Frédéric Taddéï, c'est autre chose.

Que cette vigoureuse empoignade ait eu lieu entre eux - utile pour tous - est à l'honneur de l'un et de l'autre.

On progresse.

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