vendredi 22 mars 2013

Les leçons de la démission de Jérôme Cahuzac

Le ministre du Budget a démissionné de ses fonctions mardi 19 mars 2013.

 

Les hommes ne sont convaincus 
de vos raisons, de votre sincérité,

et de la gravité de vos peines, 
que par votre mort.

Tant que vous êtes en vie, 
votre cas est douteux,

vous n'avez droit qu'à leur scepticisme. 





Jérôme Cahuzac a démissionné sans attendre d'être mis en examen. Il a été démissionné à l'Elysée, trois heures après sa mise en cause par un communiqué du Parquet. Sarkozy avait mis 6 mois pour démissionner son ministre Woerth accusé de faits plus étayés. 
 Il suit aussi une jurisprudence inaugurée sous le gouvernement de Lionel Jospin entre 1997 et 2002: un ministre mis en cause par la justice démissionne sans attendre le résultat des courses ni même sa mise en examen. Une jurisprudence qui avait été oubliée pendant la décennie suivante : certains ministres furent condamnés par la justice (Brice Hortefeux), ou accusés de la même sorte (Eric Woerth) sans démissionner avant de longs mois (Woerth, Tron, Joyandet, Blanc), voire jamais (Hortefeux).
A ceux qui braillaient contre une justice aux ordres, ou d'un étouffement de l'affaire, le parquet a fait la preuve de son indépendance. Le procureur François Molins, ancien directeur de cabinet de l'ex-Garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie, a déclenché cette démission. Il a requis, mardi 19 mars, l’ouverture d’une information judiciaire contre X, notamment pour blanchiment de fraude fiscale dans l’affaire concernant l'ancien ministre du budget. Aussitôt le communiqué du Parquet publié, le ministre a été démissionné par l'Elysée. 
La confusion entre le rôle politique de Cahuzac et sa mise en accusation privée était une autre évidence de cette affaire. Quelque part à gauche, on sabrait le champagne. Pourquoi ? Parce que l'affaire était jugée comme une victoire politique. La confusion des genres était totale. Fallait-il rapprocher la chose de l'affaire Woerth ? Pour ceux-là sans conteste. Car Hollande était un ennemi politique aussi important et détestable que Sarkozy. Il fallait, mardi 19 mars, s'avouer mutuellement la chose. 
Bizarrement, l'élégance vint de la droite. « Je ne suis pas là pour jeter la pierre. Je n'en dirais pas davantage» déclarait Christian Jacob, le président du groupe UMP à l'Assemblée. On a même pleuré parfois doublement. Les hommages à l'ancien ministre étaient attendus. Ils firent florès. Il y eut quelques blogueurs de droite pour expliquer, comme le Figaro, que c'était inévitable (et oui), ou pour regretter que d'autres ministres restaient encore en place: « Quand je vois que Cahuzac n'est plus ministre, mais qu'on garde Montebourg, Duflot, et surtout les consternants Arif et Lurel, il y a de quoi être écœuré » écrit ainsi FalconhillIl ne fallait pas être dupe. A droite, les casseroles sont si nombreuses qu'on comprenait la prudence de ses supporteurs.
 
Mediapart n'a pas la victoire modeste: « Au terme d'une enquête préliminaire ouverte le 8 janvier, le parquet valide l'ensemble des informations publiées par MediapartL'affirmation est juridiquement fausse mais Mediapart a médiatiquement raison. La formulation est ambigüe. Mais ne gâchons pas le plaisir des Rouletabille de l'investigation 2.0.  Mediapart a révélé que le ministre avait un compte en Suisse. Le Parquet de Paris a validé non pas les autres révélations du site, mais ses soupçons. Il suffisait de lire le communiqué de presse du procureur. 

Que disait le procureur ? Primo, « l'enregistrement remis aux enquêteurs par Monsieur Michel GONELLE n'a subi aucune altération ou modification ». En d'autres termes, pas de trucage. Est-ce Cahuzac ? Oui, répond le Parquet. Ce dernier se réfugie enfin derrière quelques témoins - sans préciser leur nombre - pour affirmer « qu'il lui avait été rapporté que les sommes versées sur ce supposé compte proviendraient de laboratoires pharmaceutiques.» Enfin, le même Parquet explique qu'il va enquêter jusqu'à Singapour. Il ne dit rien d'autre. Rien d'autre.

L'ancien ministre clame son innocence. Il n'est pas mis en examen. La justice à ce stade n'a rien tranché. Quelques blogueurs et Twittos impeccables jouent aux petits Robespierre.

Cela pourrait être inquiétant s'ils comptaient un peu. Il n'en est rien.




Toutes les explications du monde ne justifieront 

pas que l'on ait pu livrer aux chiens l'honneur d'un homme 

et finalement sa vie au prix d'un double manquement

 de ses accusateurs aux lois fondamentales 

de notre République,

celles qui protègent la dignité et la liberté 

de chacun d'entre nous

François Mitterand

François Hollande a décidé de mettre « fin aux fonctions de Jérôme Cahuzac, à sa demande » et de le remplacer au Ministère du Budget par Bernard Cazeneuve, actuel ministre des Affaires européennes. Le « à sa demande » est certes important, mais ne doit pas masquer la réalité politique : cette décision du chef de l’État était devenue quasi-obligatoire après l’annonce, par le Parquet de Paris, de l’ouverture d’une information judiciaire visant M. Cahuzac au sujet d’un possible compte bancaire en Suisse. M. Cazeneuve est remplacé aux Affaires européennes par Thierry Repentin, actuel ministre délégué à la formation professionnelle. 
L’ouverture de cette information judiciaire pour « blanchiment de fraude fiscale » se justifiait par « la complexité des investigations à diligenter », en particulier « la mise en œuvre complète de l’entraide répressive internationale en Suisse, mais aussi à Singapour ». Selon le site Mediapart, en effet, le compte bancaire qu’aurait détenu Cahuzac chez UBS aurait été clôturé en 2010 et les avoirs auraient été transférés, via des montages complexes, à Singapour. Ces derniers développements de l’affaire Cahuzac appellent plusieurs observations : 
  1.  L’ouverture de cette information judiciaire vient assurément légitimer l’enquête journalistique menée par nos confrères de Mediapart. On attend d’ailleurs, de la part de tous ceux qui, à droite comme à gauche, ont cru bon de mettre en doute les méthodes professionnelles du site dirigé par Edwy Plenel, qu’ils fassent aujourd’hui amende honorable.
  2. Pour autant, Jérôme Cahuzac n’est pas mis en examen. Il continue à clamer son innocence. La justice dira le vrai. En attendant, il doit pouvoir bénéficier de la présomption d’innocence. Attention au lynchage !
  3. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette décision politique, qu’elle émane de François Hollande lui-même ou de Jérôme Cahuzac, tranche singulièrement avec le comportement d’Éric Woerth qui, lui, dans l’affaire Bettencourt où il est mis en examen, s’est accroché jusqu’au dernier moment – malgré les enquêtes judiciaires et quitte à fragiliser sa famille politique, le gouvernement auquel il appartenait et le président de la République lui-même.
  4. La démission de Jérôme Cahuzac s’imposait d’autant plus que, demain, Jean-Marc Ayrault doit prononcer un important discours à l’Assemblée dans le cadre de la motion de censure déposée par l’UMP. La situation devenait politiquement intenable.
 

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