Le retour de Sarkozy :
une coupure vertigineuse
Nicolas Sarkozy, en pleine tempête, fait annoncer son
intention de revenir. Il indique sa méthode : s'emparer du parti qu’il a
détruit. La dernière sortie de l'ancien président résume à elle seule la
vertigineuse coupure entre la France des politiques et la France des Français.
Commençons par
l'intéressé. Dans la vie courante, celle d'une entreprise par exemple, il
serait viré depuis longtemps pour avoir tapé dans la caisse. Dans la vie
politique, on fait semblant de s’interroger. Était-il au courant ? Voilà
donc un patron dont le haut état-major a été pris la main dans le sac,
état-major dont une bonne partie est convoquée par la justice à ce propos. Ses
partisans assurent qu’il ne savait pas ! Que c'était dans son
dos ! Voilà donc un candidat qui a fait péter le jackpot de ses comptes de
campagne, sans avoir raflé la mise, mais à l'insu de son plein gré ! Parti
ratiboisé financièrement, entourage moralement ruiné, dans la société civile
cet homme se ferait tout petit. Dans la société politico-médiatique, il grimpe
sur un tremplin ! Il annonce son retour irrésistible et trouve, de fait, des
relais pour recueillir ses fanfaronnades comme les apôtres jadis,
enregistrèrent la Sainte Parole…
Prenons
le parti. Ses nouveaux chefs, Fillon en tête, repris par Éric Ciotti, parlent
carrément de mafia. Dans une France exsangue, à laquelle, depuis bientôt
quarante ans, on explique qu'il faut cesser de vivre au-dessus de ses moyens,
et qu'il faut compter chaque sou, cette UMP a fait couler des torrents d'argent
douteux pour organiser des espèces de Nuremberg, c'est-à-dire des spectacles
médiatiques à la gloire du chef en campagne. Les faits sont établis. Mediapart
a publié les fausses factures. Dans une vie démocratique normale, et saine, ce
parti politique devrait disparaître ou nettoyer les écuries, en dénonçant celui
qui l'a conduit dans cette impasse, et osons le mot, dans cette honte
démocratique.
Or
l’ancien président de la République, et ancien président du parti, est bel et
bien en passe de revenir à la tête de cette UMP-là. Peu importe qu’il ait gardé
le contrôle effectif de son parti après son arrivée à l’Élysée. Peu importe
qu’il ait voulu que personne ne lui succède, et que le parti soit dirigé par un
secrétaire général et non plus par un président, c’est-à-dire par une espèce de
gérant dont il resterait le patron. Son UMP a dérivé, s’est endettée, a truqué
sa comptabilité, mais il ne savait pas ! Mieux encore : son UMP, même
à l’agonie, pourrait le réélire lors du congrès de cet automne, parce que le
vote serait confié à une poignée de militants galvanisés, deux ou trois fois
moins nombreux qu’il y a deux ans. Ainsi, dans ce paysage ravagé, le dernier
carré deviendrait le premier cercle. Plus le parti se serait enfoncé dans la
crise, plus les militants choqués auraient pris leurs distances, moins il y
resterait d’adhérents, donc de votants au congrès, et plus les fidèles de
l’ancien président pourraient dicter leurs volonté. Plus ils perdraient et plus
il gagnerait : dans la vie courante, on dirait que ce parti marche sur la
tête, dans le fonctionnement du sarkozysme on s’émerveille d’une fulgurante reconquête.
Tout
cela n’aurait pas grande importance si ces affaires privées n’étaient pas des
affaires publiques. Si le candidat en question, éclaboussé dans sa personne et
ses méthodes, et potentiellement porté par un parti publiquement gangrené,
n’avait pas de bonnes chances de redevenir le président de notre République.
C’est là que la coupure entre le pays réel et les institutions censées
l’incarner touche à la crise de régime.
La
Cinquième République, voulue par Charles de Gaulle, avait pour objectif de
libérer le pays de l’emprise des partis politiques, et de les dépasser en
instituant l’élection du président de la République au suffrage universel. Il
s’agissait de rapprocher le peuple de ceux qui les gouvernent, en instituant le
fameux “lien direct” incarné par le président. Où en sommes-nous cinquante-six
ans plus tard ? Premièrement la vie démocratique s’est réduite à un
rendez-vous une fois tous les sept ans, puis une fois tous les cinq ans. Puis
la somme des pouvoirs confiés, sans contre-pouvoirs, à une seule personne, a
limité le débat démocratique à une question obsédante : que désire le
patron ? Cette personnalisation a laminé les partis, qui n’ont plus
produit d’idées, mais les a en même temps renforcés. Ils se sont transformés en
écuries, en champs clos de coteries, en comités Théodule capables de
transformer Nadine Morano en diva, en visiteurs du soir, en Pierre Juillet, en
Marie-France Garaud, en Alain Minc, ou en Patrick Buisson, et l’élection
présidentielle en concours de beauté. Le contraire du projet de 58 !
Avec
le retour potentiel de Nicolas Sarkozy, nous en sommes arrivés au stade ultime.
En avant pour le concours de laideur ! La distance entre la vie réelle et
le système de sélection du chef suprême a pris une telle dimension que, grâce
aux mécanismes mêmes de la Cinquième République, un président renvoyé dans ses
foyers, et concerné par une multitude d’affaires, pourrait revenir en
s’appuyant sur le parti qu’il a démoli !
Cet homme ment comme les autres hommes respirent. Il annonce une
intention honnête, prenez garde ; il affirme, méfiez vous ; il fait un serment,
tremblez. Machiavel a fait des petits. ...
Dans ses entreprises il a besoin d’aides et de collaborateurs ; il lui faut ce qu’il appelle lui-même "des hommes". Diogène les cherchait tenant une lanterne, lui il les cherche un billet de banque à la main. Il les trouve...A de certaines époques de l’histoire, il y a des pléiades de grands hommes ; à d’autres époques, il y a des pléiades de chenapans. ... Il a pour lui désormais l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort, et tous ces hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que de la honte.
Dans ses entreprises il a besoin d’aides et de collaborateurs ; il lui faut ce qu’il appelle lui-même "des hommes". Diogène les cherchait tenant une lanterne, lui il les cherche un billet de banque à la main. Il les trouve...A de certaines époques de l’histoire, il y a des pléiades de grands hommes ; à d’autres époques, il y a des pléiades de chenapans. ... Il a pour lui désormais l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort, et tous ces hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que de la honte.
En
attendant, depuis sept mois, il s’étale ; il a harangué, triomphé, présidé des
banquets, pris des millions, donné des bals, dansé, régné, paradé et fait la
roue ; il s’est épanoui dans sa laideur à une loge d’Opéra…
Il ne reste pas un moment tranquille ; il sent autour de lui avec effroi la
solitude et les ténèbres ; ceux qui ont peur la nuit chantent, lui il
remue. Il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant
créer, il décrète.
Non,
cet homme ne raisonne pas ; il a des besoins, il a des caprices, il faut qu’il
les satisfasse. Ce sont des envies de dictateur.
il disait à ses concitoyens dans son manifeste : "Je me sens obligé
de vous faire connaître mes sentiments et mes principes. Il ne faut pas qu’il y
ait d’équivoque entre vous et moi. Je ne suis pas un ambitieux... Élevé dans les
pays libres, à l’école du malheur, je resterai toujours fidèle aux devoirs que
m’imposeront vos suffrages et les volontés de l’Assemblée. Je mettrai mon
honneur à laisser, au bout de quatre ans, à mon successeur, le pouvoir affermi,
la liberté intacte, un progrès réel accompli." L’histoire a ses tigres. […] Elle ne mêle pas avec eux les
chacals...
-
Qu’est-ce que c’est que cet homme ?
- C’est
le chef, c’est le maître. Tout le monde lui obéit.
- Ah !
tout le monde le respecte alors ?
- Non,
tout le monde le méprise.
- O
situation ! Cet homme de ruse, cet homme de force, cet homme de mensonge, cet
homme de succès, cet homme de malheur !
Victor Hugo
Si le feuilleton du
retour de Sarkozy ne suffit pas à convaincre tous les politiques sincères, et
il en existe beaucoup, que le temps de réfléchir à une nouvelle République est
arrivé, c’est que la coupure entre la France des Français et la France de la
Cinquième n’est pas seulement profonde. Elle serait irrémédiable.
La droite peut-être, mais alors sans lui !
Justice au singulier
Le blog de Philippe Bilger
Puisque les politiques, à droite ou à gauche, au pouvoir ou dans l'opposition, n'osent pas s'exprimer clairement sur certains sujets, comme s'il y avait en dépit des antagonismes un corporatisme, une solidarité de ceux qui gouvernent, de ceux qui aspirent à gouverner et de ceux qui désirent gouverner à nouveau, puisque les journalistes répugnent à révéler la nudité du roi, il faut bien que le citoyen s'en mêle.
J'ai attendu pourtant. Vainement. J'ai espéré. Pour rien.
Cependant le choc que j'ai ressenti en lisant ce propos de Nicolas Sarkozy dans Le Journal du Dimanche n'était pas léger ni artificiel. Il aurait dû être celui de beaucoup. En lisant, je n'en ai pas cru mon esprit, mes yeux.
"Je ne suis pas décidé à laisser la France dans un tête-à-tête entre le FN et le PS".
D'abord, je l'avoue à ma grande honte, le toupet du personnage a presque suscité une forme d'estime pour un caractère capable non pas de retourner sa veste mais de l'offrir alors qu'elle est mitée, trouée de toutes parts. Qu'elle a trop servi.
Ensuite, je me suis rappelé un sondage récent faisant d'Alain Juppé le rempart le plus efficace contre le FN, ce qui ne semblait pas absurde au regard des positions constantes du maire de Bordeaux.
Enfin, et c'est alors seulement que j'ai pris la pleine mesure de l'énormité de cette assertion, je me suis questionné. Nicolas Sarkozy qui est réputé pour être hypermnésique n'a-t-il des trous de mémoire que pour sa vie politique et sa démarche présidentielle ?
En effet, comment oser soutenir qu'il veut faire échapper les Français à un affrontement entre le PS et le FN alors qu'en 2012 il a fait gagner le premier et progresser le second ?
Sa campagne de 2007 est bien lointaine qui avait permis d'assécher, croyait-on pour longtemps, le FN alors que cinq ans plus tard, sa démagogie et son cynisme, motivés par son retard substantiel dans les sondages, n'avaient fait qu'amplifier l'avancée de ce parti extrême en favorisant sa représentante.
Dans ces conditions, il est inconscient ou mensonger de se présenter comme un sage quand on a été un incendiaire, comme un médiateur alors que, pour sauver sa mise présidentielle, on a fait perdre la France sur les deux tableaux et conduit beaucoup de tenants de la droite non sarkozyste à voter en faveur de François Hollande.
Un jour, peut-on espérer que l'UMP atteindra ce niveau minimal d'éthique qui la dissuadera par principe non pas tant de donner ses suffrages à un vaincu que d'en faire bénéficier un ancien président qui a déjà mal servi, qui est englué dans les affaires, la dernière en date, Bygmalion, n'étant pas la plus anodine ?
Ou bien faudra-t-il attendre que Jérôme Lavrilleux aille au bout de la vérité et Eric Cesari vers plus de sincérité que de fidélité pour que ce grand parti secoué, mais pas encore mort, se ressaisisse et se décide enfin, pour avoir l'esprit propre et un avenir honnête, à faire l'impasse sur celui qui, ayant tout décidé, doit tout assumer, ayant tout validé, doit tout s'imputer ?
Les médias qui ne sont guère originaux ne cessent de nous répéter que Nicolas Sarkozy demeure "serein" - un adjectif absurde aussi bien au regard de son être que de la réalité trouble qui, au fil des semaines, émerge et qui aurait dû dégoûter depuis longtemps tout citoyen normalement constitué.
Quand j'entends les duettistes Didier et Peltier, au demeurant sympathiques, s'obstiner à chanter la gloire de leur héros, je suis partagé entre l'étonnement ou l'irritation. Sont-ils aveugles, sourds ou bien l'éthique, à cause de la contagion d'un quinquennat calamiteux pour l'état de droit, est-elle devenue le cadet de leurs soucis et une misérable obligation ?
Ainsi cette indifférence à l'honorable, cette désinvolture, cette sous-estimation de l'intégrité seraient consubstantielles aux quelques-uns qui continuent d'afficher une inconditionnalité pour Nicolas Sarkozy, de plus en plus intense à proportion même de son caractère de moins en moins crédible et légitime ? On force puisqu'au fond, on n'est plus dupe.
A l'UMP, le temps des révérences est révolu. Alain Juppé qui s'est enfin déclaré pour la primaire et sa roideur laconique, François Fillon, son audace par écrit et ses heureuses provocations qui, peut-être, ne seront pas rétractées dès le lendemain, Xavier Bertrand qui suit son sillon et n'est pas offensé mais stimulé par le peu d'importance et d'influence qu'on lui prête, Bruno Le Maire dont le verbe seul est révolutionnaire et qui refuse une restauration, d'autres encore qui ne feront pas de la droite sans Sarkozy un monde orphelin. Bien au contraire. Ce serait comme l'équipe de France sans Ribéry : une merveilleuse aubaine.
Notre ancien président a raison sur un point capital : il faut tout changer. Ce "tout" doit l'englober, l'intégrer.
On a donné sa chance, en 2012, à François Hollande et, pour l'instant, il ne l'a pas saisie. Il a trahi à la fois ceux qui le désiraient et ceux qui ne voulaient plus de Sarkozy, la gauche pure et dure et le conservatisme éclairé et décent. Il n'est pas impossible que ce qui se déroule actuellement à droite, les nuages lourds et noirs dissipés, représente une aurore certes encore modeste mais plus qu'un frémissement : une envie de se débarrasser d'hier, d'inventer demain.
Alors la droite pourra redevenir un horizon. On aura le droit de revenir. Sans honte.
Mais alors forcément sans lui !
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