Pour que celui qui exécute ne puisse pas opprimer, il faut que les armées qu’on
lui confie soient peuple, et aient le même esprit que le peuple.
Montesquieu
Benoît
Puga. Le nom claque comme un élastique trop tendu. Ou, si l’on veut filer la
métaphore militaire, comme le son étouffé d’un pistolet-mitrailleur. Derrière
son maintien impeccable et un sourire un brin goguenard, Benoît Puga est l’un
des hommes les plus puissants de la République, mais aussi l’un des plus
secrets. Général d’armée arborant cinq étoiles sur son képi, le plus haut grade
de l’armée de terre, il est le chef d’état-major particulier du président,
c’est-à-dire son conseiller militaire et son principal collaborateur sur toutes
les questions de défense.
Mais le général Puga possède une particularité qui le
distingue de tous ses prédécesseurs de la Ve République :
nommé de manière surprenante en mars 2010 par Nicolas Sarkozy, il est toujours
en fonction aujourd’hui après deux années de mandat de François Hollande. Un
cas unique de résistance à l’alternance qui en dit beaucoup sur l’homme
lui-même, mais aussi sur la manière de gouverner de l’actuel locataire de
l’Élysée.
«Directeur du renseignement militaire pour rentrer
dans la Sarkozie»
L’aspect le plus saillant de la biographie du général Puga est son
appartenance à la mouvance catholique intégriste, ce qu’il n’a d’ailleurs
jamais caché. Il est le fils du colonel
Hubert Puga qui a rejoint les généraux putschistes d’Alger en avril 1961 et qui
fut condamné à cinq ans de prison avec sursis et exclu de l’armée française
(une notice biographique très complète a été publiée lors
de sa mort en 2010 dans Le Bulletin des amis de Raoul Salan). Un de ses frères, Denis, est abbé à
Saint-Nicolas du Chardonnet à Paris, une église affiliée à la Fraternité
sacerdotale Saint-Pie-X, qui se qualifie de« traditionaliste »,
mais qui est communément appelée « intégriste » et qui refuse les décisions du
Concile de Vatican II. Les enfants du général Puga – il en a
onze – sont presque tous passés par des écoles privées liées à la
Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (notamment Saint-Bernard, à Courbevoie), et
leurs baptêmes et mariages ont été célébrés à Saint-Nicolas du Chardonnet.
En juin 2013, le Lys noir, un groupe
d’extrême droite, a appelé à un coup
d’État afin de renverser l’actuel pouvoir, en proposant les noms de trois
militaires pour diriger le pays : les généraux Puga, Dary et Pierre de
Villiers (l’actuel chef d’état-major des armées).
Même si
ces officiers n’avaient rien à voir avec cet appel, qu’ils l’ont dénoncé sans ambages
et que leurs convictions républicaines n’ont jamais été prises en défaut, leurs
patronymes ne s’étaient pas retrouvés en tête de junte par hasard.
« Aujourd’hui, une grande partie des chefs
militaires français appartient à la mouvance catho intégriste », affirme l’ancien adjoint de Puga, qui estime qu’il a eu
à pâtir de cette tendance, lui qui était athée et divorcé. « Comme l’institution
militaire a beaucoup perdu de son prestige depuis la Seconde Guerre mondiale,
le recrutement à Saint-Cyr est devenu extrêmement restreint et se fait de
manière disproportionnée au sein de familles très traditionalistes. Or ces gens
sont sectaires et carriéristes. Ils s’appuient entre eux. »
L’un
d’entre eux est Benoît Puga qui, à l’époque, dirige le renseignement militaire.
Mais le favori est Pierre de Villiers, frère de Philippe, que la plupart des
militaires et des civils du ministère de la défense tiennent en haute estime.
Il est le plus jeune général cinq étoiles de l’armée française en temps de paix
et possède une expérience tous azimuts, du Kosovo à l’Afghanistan en passant
par l’hôtel Matignon ou les affaires financières du ministère de la défense. Il
est à la fois le candidat parfait et celui qui est poussé par
l’état-major.
Nicolas Sarkozy le reçoit à l’Élysée et lui confirme sa
nomination. Il le quitte en lui disant : « À
lundi ! » Pierre de
Villiers organise le pot de départ de ses précédentes fonctions et annonce à
ses pairs qu’il a été choisi. Quelques jours plus tard, la nouvelle
tombe : ce n’est finalement pas lui mais Puga. Selon plusieurs sources qui travaillent à l’Élysée et à l’Assemblée
nationale, c’est Claude Guéant et Bernard Squarcini qui ont convaincu Sarkozy,
lors d’un déplacement à l’étranger, de revenir sur sa décision et de
sélectionner Puga, avec, en substance, l’argument suivant : « C’est un type très bien qui
rend beaucoup de services à la direction du renseignement militaire. »
Selon l’une de nos sources, « ce
genre de chose n’arrive jamais ! En termes de culture militaire, c’est
quelque chose d’énorme qui s’est produit. La direction du renseignement
militaire aurait dû être le dernier poste de Puga avant sa retraite ». « Il s’est servi de son poste
de directeur du renseignement militaire comme d’un tremplin pour rentrer dans
la Sarkozie », confie une autre source. « Il s’est appuyé sur
des réseaux civils, sur le cœur de la machine Sarkozy et ce qu’elle a de plus
malsain, pour dégager de Villiers et se faire nommer ! C’est Salieri qui a
pris la place de Mozart… »
Un
ancien haut gradé, qui connaît toujours beaucoup de monde, rapporte que Puga et
Hollande ont sympathisé sur un point commun : leurs pères respectifs ont
tous deux frayé avec l’OAS. C’est sans doute un lien, mais il illustre surtout
la propension qu’a Benoît Puga à être un « homme
de cour », selon une expression qui revient régulièrement dans la
bouche de la plupart de ceux qui évoquent le général. « C’est un abbé de cour, il
est très obséquieux », grince un familier de l’Élysée. « C’est un type qui va
attendre devant son bureau que le président passe dans le couloir et qui va
l’accompagner comme si c’était une rencontre impromptue. » « Il est très proche, il est
toujours là. Il mène une politique de cour », sourit un autre
conseiller du Château. « Il
est jovial, il fait des blagues », raconte un dernier, qui l’a connu
auparavant, austère et renfermé.
Aujourd’hui,
le ministère de la défense s’irrite de l’importance prise par Puga et de
l’ambition qui lui est prêtée de devenir « le seul conseiller de défense de
Hollande ». « Il
est monté en puissance depuis deux ans et il ne touche plus terre
désormais », balance un haut fonctionnaire du côté de la rue
Saint-Dominique. « Il tronque les informations qu’il
transmet au chef de l’État, il sélectionne les dossiers qu’il lui transmet, ce
qui est inadmissible ! Il est dans une logique de prise de pouvoir sur le
cerveau du président. Il entend mener sa propre politique de
défense. »
« Quand
le ministre explique au président qu’il est impératif de maintenir le budget de
la défense car cela va déjà très mal, Puga repasse par derrière pour expliquer
que "c’est une posture" et que, lui, il connaît bien l’armée et cela
ne va pas si mal ! », poursuit
le haut fonctionnaire. Une position que le secrétaire général de l’Élysée
Jean-Pierre Jouyet admet à demi-mot : « Il
est l’un des plus distanciés à l’égard du lobby militaire par rapport aux
questions budgétaires. » « Il n’est pas très à l’aise avec ce
genre de conflit et il a adopté l’attitude particulière de dire "On va
trouver une solution", tout en minimisant les préoccupations par rapport
au malaise dans les armées »,
« Il
ne s’intéresse qu’aux contrats de prestige, les missiles et les Rafales, parce
que c’est valorisant, qu’il y a beaucoup d’argent, et que les industriels
parlent directement au président » Pour
le reste, il sélectionne les dossiers, en fonction de ses propres critères, ce
qui irrite les industriels qui tentent désormais de le contourner. De plus,
selon un conseiller de l’Élysée, il a plusieurs fois botté en touche au sujet
des programmes d’armement qui concernent directement les armées
françaises : « Il
n’a exprimé aucune préférence pour tel ou tel programme. Or, il est impératif
qu’ils soient assumés par les militaires qui vont en être les bénéficiaires ou
pas, surtout en période de restrictions budgétaires. Les civils ne peuvent pas
assumer seuls les choix d’armements des unités françaises ! »
Pendant
deux ans, les socialistes travaillant sur les questions de défense se sont tus,
et« Puga a bénéficié d’une omerta à l’Élysée », selon l’un
d’entre eux. Plus maintenant. Certains se sont lassés de « cette gestion à la François
Mitterrand qui s’imagine une grandeur à protéger les hommes de l’opposant
politique ». D’autres estiment simplement que la fonction de CEMP est
un poste éminemment politique et qu’il est donc anormal qu’un homme aux idées
aussi droitières et aux manières aussi courtisanes l’occupe, d’autant qu’il
largement dépassé l’âge de la retraite pour les militaires (en 2014, les
soldats nés en 1956 raccrochent leur képi, or Puga est né en 1953).
Les derniers, enfin, le voient comme un véritable
problème, un conseiller qui ne remplit pas ses fonctions et qui, dans la
réorganisation du cabinet du président consécutive aux défaites des municipales
et des européennes, risque de prendre encore plus de poids. « Jean-Yves
Le Drian est obligé de le contourner pour exposer ses dossiers au
président, et il lui a récemment envoyé à la figure, lors d’une réunion avec
Hollande, qu’il ne remplissait pas son rôle », rapporte un socialiste. « Il joue un rôle de filtre
sélectif et le problème, c’est que Hollande ne s’en rend pas compte. »
Mais la
place occupée par Puga, alors qu’il n’est pas un proche de Hollande, que la
France est engagée dans au moins deux opérations militaires majeures, et qu’il
reste un personnage secret ne rendant de compte à personne sauf au président,
demeure une interrogation.
Un avocat spécialiste des question africaines a
trouvé une formule qui n’est qu’à moitié une plaisanterie :
« Il
a marabouté Hollande ! »
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