samedi 18 juillet 2015

La Grèce contemporaine, en 1854 par Edond About




Le régime de la Grèce est tellement extraordinaire et ressemble si peu au nôtre, que je crois nécessaire avant d'entrer dans les détails du budget, de placer ici quelques observations générales. 

La Grèce est le seul exemple connu d'un pays vivant en pleine banqueroute depuis le jour de sa naissance. Si la France ou l'Angleterre se trouvait seulement une année dans cette situation, on verrait des catastrophes terribles: la Grèce a vécu plus de 20 ans en paix avec la banqueroute. 

Tous les budgets depuis le premier jusqu'au dernier sont en déficit. 

Lorsque dans un pays civilisé, le budget des recettes ne suffit pas à couvrir celui des dépenses, on y pourvoit au moyen d'un emprunt fait à l'intérieur. C'est un moyen que le gouvernement grec n'a jamais tenté, et qu'il aurait tenté sans succès. 

Il a fallu que les puissances protectrices de la Grèce assurent sa solvabilité pour qu'elle négociât un emprunt à l'extérieur. 

Les ressources fournies par cet emprunt ont été gaspillées par le gouvernement sans aucun fruit pour le pays. Et une fois l'argent dépensé, il a fallu que les garants, par pure bienveillance, en servissent les intérêts: la Grèce ne pouvait pas les payer. 

Aujourd'hui, elle renonce à l'espérance de s'acquitter jamais. Dans le cas où les trois puissances protectrices continueraient indéfiniment à payer pour elle, la Grèce ne s'en trouverait pas beaucoup mieux. Ses dépenses ne seraient pas encore couvertes par ses ressources. 

La Grèce est le seul pays civilisé où les impôts sont payés en nature. L'argent est si rare dans les campagnes qu'il a fallu descendre à ce mode de perception. Le gouvernement a essayé d'abord d'affermer les impôts, mais les fermiers, après s'être témérairement engagés, manquaient à leurs engagements, et l'état qui est sans force, n'avait aucun moyen de les contraindre. 

Depuis que l'état s'est chargé lui-même de percevoir l'impôt, les frais de perception sont plus considérables, et les revenus sont à peine augmentés. Les contribuables font ce que faisaient les fermiers: ils ne payent pas. 

Les riches propriétaires, qui sont en même temps des personnages influents, trouvent moyen de frustrer l'état, soit en achetant, soit en intimidant leurs employés. Les employés mal payés, sans avenir assuré, sûrs d'être destitués au premier changement de ministère, ne prennent point comme chez nous, les intérêts de l'état. Ils ne songent qu'à se faire des amis, ménager les puissances et à gagner de l'argent. 

Quant aux petits propriétaires qui doivent payer pour les gros, ils sont protégés contre les saisies, soit par un ami puissant, soit par leur propre misère. 

La loi n'est jamais en Grèce, cette personne intraitable que nous connaissons. Les employés écoutent les contribuables. 

Lorsqu'on se tutoie et qu'on s'appelle "frères", on trouve toujours un moyen de s'entendre. Tous les grecs se connaissent beaucoup et s'aiment un peu. Ils ne connaissent guère cet être abstrait qu'on appelle l'Etat, et ils ne l'aiment point. Enfin, le percepteur est prudent: il sait qu'il ne faut exaspérer personne, qu'il a de mauvais passages à traverser pour retourner chez lui, et qu'un accident est bientôt arrivé. 

Les contribuables nomades, les bergers, les bûcherons, les charbonniers, les pêcheurs, se font un plaisir, et même un point d'honneur de ne point payer d'impôts. Ces braves gens se souviennent qu'ils ont été Pallicares: ils pensent comme du temps des turcs, que leur ennemi est leur maître, et que le plus beau des droits de l'homme est de garder son argent. 

(ndlr: pallicares: soldats grecs ou albanais combattants contre les turcs du temps de la guerre d'indépendance de 1821 à 1828) 

C'est pourquoi les ministres des finances jusqu'en 1846 faisaient deux budgets des recettes: l'un , le "budget d'exercice" indiquait des sommes que le gouvernement devrait recevoir dans l'année, les droits qui lui seraient acquis. L'autre, le "budget de gestion", indiquait ce qu'il espérait recevoir. Et comme les ministres sont sujets à se tromper à l'avantage de l'Etat dans le calcul des ressources probables qui seront réalisées, il aurait fallu faire un troisième budget, indiquant les sommes qu'il était sûr de percevoir. 

Par exemple, en 1845, pour le produit des oliviers du domaine public, affermés régulièrement aux particuliers, le ministre inscrivait au budget d'exercice une somme de 441 800 drachmes. Il espérait (budget de gestion) que sur cette somme l'Etat serait assez heureux pour percevoir 61 500 drachmes. Mais cette espérance était au moins présomptueuse, car l'année précédente, n'avait perçu pour cet exercice, ni 441 800 drachmes, ni 61 500 drachmes, mais 4457 drachmes et 31 centimes, c'est à dire environ 1 pour 100 de sur ce qui lui était dû. 

En 1846, le ministres des finances ne rédigea pas de budget de gestion, et l'habitude s'en est perdue. l'Etat ne peut pas prévoir en principe qu'il ne sera pas payé de ce qui lui est dû. Mais, quoique les budgets suivants soient plus réguliers dans la forme, l'Etat continue à solliciter vainement ses débiteurs récalcitrants ou insolvables. 

Une dernière observation qui m'est suggérée par l'examen des différents budgets de 1833 à 1853, c'est que les ressources de l'Etat ne se sont pas accrues sensiblement pendant ces 20 années. 

De 1833 à 1843, la recette moyenne de chaque année a été de 12 582 968 drachmes et 9 lepta. La dépense moyenne a été de 13 875 212 drachmes 39 lepta. Le déficit annuel de 1 292 244 drachmes et 39 lepta. 

En 1846, les recettes espérées se montaient à la somme de 14 515 500 drachmes. 

Le budget 1847 était le même qu'en 1846, sauf une augmentation espérée de 360 725 drachmes et 79 lepta sur les recettes.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire