Au Maroc, la réforme du code pénal menace un peu plus les libertés
ILHEM RACHIDI
« Les dictatures fomentent l’oppression, la servilité et la
cruauté ;
mais le plus abominable c’est qu’elles fomentent
l’idiotie »,
Les poursuites intentées contre deux jeunes filles pour avoir porté une
jupe trop courte ont mis le pays en émoi. Elles ont été innocentées, mais de
nombreuses questions subsistent sur la régression des libertés dans le royaume.
Un nouveau code pénal est en cours d'élaboration, qui acte un retour du
religieux.
« Avant, c'était l'État policier.
Maintenant, c'est l'État policier religieux »
Le droit de porter une jupe. C'est pour défendre ce
droit que des centaines de personnes ont manifesté ces derniers jours devant le
Parlement et dans plusieurs villes marocaines. Le 6 juillet, deux jeunes femmes
comparaissaient au tribunal d'Inezgane, près d'Agadir, dans le sud du Maroc,
pour outrage à la pudeur. Leur délit supposé : avoir porté des jupes trop
courtes en se rendant sur un marché local. C'est après avoir été agressées par
des hommes – deux hommes ont été poursuivis depuis – qu'elles sont passées de
victimes à accusées.
Il n'en a pas fallu davantage pour mobiliser des
manifestants de bords politiques divers, du Parti Authenticité et Modernité
(PAM) au parti d'extrême gauche Annnahj Addimocrati, ainsi que des
personnalités politiques comme l'ancienne ministre Nezha Squalli et la
secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU) Nabila Mounib. À
l'audience, une centaine d'avocats, dont le bâtonnier Abderrahim Jamaï, se sont
déplacés des quatre coins du pays. Histoire de marquer le coup. Et dans la
soirée, des manifestations ont à nouveau eu lieu à Casablanca, Rabat et
Marrakech.
Condamner ces
jeunes filles reviendrait à « donner
raison aux takfiristes et aux discours rétrogrades », a déclaré Me Jamaï lors de l'audience. Une semaine
plus tard, le lundi 13 juillet, elles étaient innocentées.
Ce procès a relancé
le débat autour de la régression des libertés individuelles et d'un enjeu plus
fondamental : la refonte du code pénal marocain. Depuis avril, un
avant-projet de réforme, jugé liberticide par ses détracteurs, suscite les
passions.
D'autant plus que
les scandales lié aux mœurs n'ont pas manqué, ces deux derniers mois. En juin, deux homosexuels ont été condamnés à quatre mois de prison pour
« outrage public à la pudeur ». Ils se seraient embrassés près de la
tour Hassan, à Rabat, comme l'avaient fait la veille au même endroit, deux
militantes Femen, aussitôt expulsées vers la France. Quelques jours plus tard, à Fès, un supposé homosexuel manquait
d'être tué par la foule. La vidéo qui montre son agression a choqué la
Toile marocaine. Fin mai, c'était l'interdiction du film sur la prostitution, Much loved, dont des acteurs ont été menacés de mort, et la
diffusion d'un concert en direct sur une chaîne officielle d'une Jennifer Lopez
trop dénudée qui divisaient l'opinion publique. De fait, c'est bien un nouveau code pénal perçu comme ayant
une connotation islamiste qui suscite l'inquiétude chez une partie des
Marocains. Un article notamment reconnaît implicitement les crimes d'honneur.
Il stipule que des circonstances atténuantes doivent être prévues pour les
crimes commis par l’un des époux et, dorénavant, par les membres de la famille,
lorsque le conjoint est surpris en flagrant délit d’adultère.
Certaines
dispositions sont contraires à la Constitution adoptée en 2011. Le maintien de
la peine de mort est ainsi en contradiction avec son article 20, qui reconnaît
le « droit à la vie ».
« La
Constitution de 2011 avait suscité un espoir. Il devait y avoir une mise en
adéquation du code pénal avec la Constitution… Là, ça va dans l'autre sens.
Certains articles sont encore plus répressifs », regrette
Reda Oulamine, avocat et président de l'association Droit et
Justice. « L'actuel code est déjà liberticide,
poursuit-il. On s'attendait à ce qu'après le printemps 2011 et la
nouvelle Constitution, on dépénalise beaucoup d'agissements pour aller dans le
sens des libertés publiques. Nous avons un texte supérieur, qui prévoit ces
libertés et dans la hiérarchie des normes, la loi doit être en conformité avec
la Constitution. Or, ce n'est pas le cas.
Le code est rédigé de façon vague et liberticide pour pouvoir réprimer
n'importe qui, n'importe quand, pour n'importe quoi… Au lieu d'aller dans
le sens de la dépénalisation, ils ont rajouté quelques crimes liés à la
morale. »
Parallèlement,
l'étau se resserre progressivement autour des voix dissonantes. Un autre
article, emblématique de ce nouvel arsenal répressif, selon certains, punit de
un à dix ans de prison « quiconque ayant perçu […] d’une personne
ou d’un groupe étrangers, des dons, prêts ou autres services en vue d’une
activité ou une propagande susceptibles […] d’ébranler l’allégeance des
citoyens à l’État et aux institutions du peuple marocain ». « Il
est clair, connaissant le passé et le contexte d'utilisation de ces termes, que
cet article vise les opposants ou plus globalement ceux qui ne partagent pas
les mêmes positions que le pouvoir en place », regrette Mohamed Jaite,
du bureau parisien de l'Association marocaine des droits humains (AMDH).
D'après lui, ce
nouveau code vise à renforcer la mainmise du pouvoir sur la sphère militante,
déjà nettement affaiblie par la vague de répression initiée en 2012. « Le
cœur du projet est de faire passer des dispositions dangereuses. Tout cela est
maquillé par des “avancées”. Nous sommes dans une phase, celle de l'après
Mouvement 20-Février, où le pouvoir a gagné une bataille »,
explique-t-il.
Le dessinateur
Curzio a pour habitude de surfer habilement sur les lignes rouges, qu'elles
concernent la politique ou la religion. Il assure qu'il continuera à les
contourner. Une tâche qui s'annonce difficile. Le nouveau texte incrimine et
punit de un à cinq ans de prison « celui
qui aura injurié ou moqué les religions, Dieu et les prophètes […] lors de
meetings, de rassemblements ou par le biais d’écrits, dessins, caricatures,
chants, comédie ou mimes » (article 219).
« Si on opte
pour un code pénal qui ne diffère pas de celui qui est actuellement en vigueur,
on risque de plonger la société dans un cycle inquiétant de repli et
d'intégrisme… Cela voudra dire qu'on hypothèque l'avenir du Maroc sur le volet
des libertés pour les 40 ou 50 prochaines années. Ce qui veut dire qu'en 100 ans, le Maroc n'aura pas avancé d'un iota
sur le champ des libertés », explique le dessinateur.
« Ce
code pénal préserve une certaine idée de la société qui est réfutée par les
libéraux. Ils disent que nous sommes dans une société qui se veut démocratique,
où la liberté de conscience, les relations sexuelles, l'homosexualité sont une
donnée incontournable… Les conservateurs veulent maintenir ces infractions qui
sont pour eux fondamentales », explique le professeur de droit Mohamed Larbi Ben
Othmane. « Il a un défaut
originel dans la mesure où il a été rédigé et élaboré à l'intérieur des murs de
l'administration, foncièrement conservatrice, poursuit-il. Le défaut originel a été de confier
la rédaction à des personnes marquées par le conservatisme. La coïncidence a
fait que la réforme soit présentée par représentant d'un parti conservateur et
traditionaliste. »
La
réforme pénale contient certes quelques avancées comme l'introduction des
peines alternatives. Elle prévoit aussi la pénalisation du mariage forcé, de
l'incitation à la haine et de la disparition forcée. Mais d'après de nombreux
analystes et acteurs de la société civile, elle demeure en décalage avec
l'évolution de la société marocaine. Plusieurs partis politiques ont exprimé
leur opposition à ce code et, du même coup, au parti dont est issu le ministre
de la justice et des libertés Mustapha Ramid, le Parti de la justice et du
développement (PJD), un parti islamiste. Même le très officiel Conseil national
des droits de l'homme (CNDH) a appelé à une harmonisation du code pénal avec
les conventions internationales signées par le Maroc en matière de droits de
l'homme.
L'élargissement
des libertés individuelles ne constitue manifestement pas la priorité de cet
avant-projet. L'article 222 maintient
ainsi une peine d’un à six mois contre quiconque, « connu pour
être de confession musulmane », rompt publiquement le jeûne pendant le
mois sacré. La rupture du jeûne en public est déjà sanctionnée par le code
actuel, qui date de 1962. Le 14 juillet, cinq personnes, arrêtées pour avoir
rompu le jeûne en public, ont été condamnées à deux mois de prison avec
sursis.
Dans
cet avant-projet, les relations
sexuelles en dehors du mariage sont toujours incriminées et passibles d’un à
trois mois de prison ; l’homosexualité
reste punie de six mois à trois ans. Sans surprise, Mustapha Ramid a
déclaré que les articles concernant de la rupture du jeûne en public pendant le
ramadan et les relations sexuelles hors mariage ne seraient pas
discutées. « Il ne faut pas penser que l’on va décriminaliser les
relations sexuelles illégitimes ou les repas publics pendant le ramadan,
a-t-il déclaré. Nous avons bien reçu certaines propositions de ce type
dans la plate-forme que nous avons mise en ligne, mais elles sont contre les
valeurs de notre société et remettent en question l’islamité de notre
pays. »
« Il
faut sortir de cette logique punitive pour aller vers une logique de protection
de la victime, de la société, du vivre ensemble. Si on veut vivre ensemble,
est-ce qu'on peut supporter ce qui s'est passé à Fès ?! » s'insurge Ben
Othmane.
L'avocat
et président de l'association Droit et Justice, Reda Oulamine, dénonce un
nouveau code, suffisamment vague pour museler bon nombre de citoyens en
restreignant à la fois les libertés individuelles et toute velléité contestataire.
Si ce code est adopté, toute atteinte
aux valeurs sacrées du royaume sera punie de 2 à 5 ans d'emprisonnement. « Qu'est-ce
que l'atteinte aux valeurs sacrées ? demande Oulamine. C'est
laissé au bon vouloir de l'interprétation. » « Avant, c'était l'État
policier. Maintenant, c'est l'État policier religieux », lance-t-il
La société civile marocaine sera-t-elle au
rendez-vous pour bloquer l'adoption de ce code ? La mobilisation
perdurera-t-elle, une fois passée l'émotion suscitée par l'affaire symbolique
de la jupe ? S'ils sont nombreux à mettre en avant le caractère apolitique
des protestations, ce récent mouvement pour les libertés est éminemment
politique. Et une fois passée la mobilisation citoyenne spontanée, il risque de
ne devenir qu'un simple enjeu électoral.
Lors de la
manifestation en soutien aux jeunes filles à Casablanca, l'activiste du
20-Février et ancien détenu (après son arrestation lors d'une manifestation le
6 avril), Ayoub Boudad a entamé des slogans dénonçant l'exploitation de l'affaire
de la jupe par des partis politiques dits progressistes et soucieux, d'après
lui, de gagner des voix contre le parti islamiste PJD, lors des prochaines
communales prévues pour cet automne. Une militante de l'Union socialiste des
forces populaires (USFP) a tenté de le faire taire car ce sit-in était
organisé, d'après ses camarades, « uniquement
pour défendre les libertés individuelles », pas pour porter d'autres
revendications, comme celle de la liberté de la presse ou l'annulation de
l'avant-projet du code pénal. Boudad a tout de même scandé ses slogans, repris
par les manifestants. Il a tout de même évoqué les violences contre les
homosexuels, qui ont suscité beaucoup moins de sympathie que les jeunes filles
en jupe, et la récente condamnation du caricaturiste Khalid Gueddar à trois
mois de prison, officiellement pour une affaire d'ébriété sur la voie publique
remontant à 2012. Car, dit-il, « comment lutter pour les
libertés individuelles sans dénoncer toutes les atteintes à la liberté, y
compris la liberté d'expression ? » « Je suis sorti
manifester contre la régression qui touche toutes les libertés au Maroc… Comment parler d'un État qui va nous
protéger de la montée de la pensée islamiste et garantir le respect des
libertés individuelles ? On ne peut pas entrer dans une confrontation
entre les islamistes et les progressistes alors que nous sommes dans un pays
qui n'est pas démocratique. Au Maroc, le jeu politique est pipé. Tout est
chez le Makhzen. »
Quatre ans après les révoltes nord-africaines,
le bilan –et c’est le moins que l’on puisse dire – est plus que mitigé. En
effet, seule la Tunisie a pu conduire sa transition démocratique jusqu’à son
terme.
A défaut d’une pensée rationnelle capable de libérer l’individu
des idéologies imposées au nom du dogme et sans un projet humaniste pouvant
faire de l’homme le centre de toute réflexion et projet, le monde musulman s’est enfermé dans des considérations dogmatiques
considérées à tort comme d’origine islamique.
Le monde musulman s’est bloqué intellectuellement et culturellement au 13e siècle, faisant de l’individu un être figé, infantilisé, dépourvu de la moindre liberté de penser et soumis à une lecture textuelle des textes sacrés. De cette crise de pensée, nous avons débouché sur des crises politiques qui ont eu comme conséquences l’historique défaite musulmane lors de la bataille de Las Navas de Tolosa en Andalousie en 1212 ,la chute de Codoue en 1236, la catastrophique chute de Baghdad entre les mains des mongols en 1258,la perte de Grenade comme dernier bastion andalou en 1492,l’occupation de nos pays au 19e siècle par les occidentaux puis depuis les années 50 et 60 du 20e siècle, les dictatures post « indépendances » !
Le monde musulman s’est bloqué intellectuellement et culturellement au 13e siècle, faisant de l’individu un être figé, infantilisé, dépourvu de la moindre liberté de penser et soumis à une lecture textuelle des textes sacrés. De cette crise de pensée, nous avons débouché sur des crises politiques qui ont eu comme conséquences l’historique défaite musulmane lors de la bataille de Las Navas de Tolosa en Andalousie en 1212 ,la chute de Codoue en 1236, la catastrophique chute de Baghdad entre les mains des mongols en 1258,la perte de Grenade comme dernier bastion andalou en 1492,l’occupation de nos pays au 19e siècle par les occidentaux puis depuis les années 50 et 60 du 20e siècle, les dictatures post « indépendances » !
Aujourd’hui, en l’absence de capacités intellectuelles capables
de nous faire quitter le 13e siècle pour que nous puissions enfin aborder la
pensée humaniste et rationnelle tout en respectant les valeurs islamiques authentiques,
notre crise de pensée a débouché sur des crises politiques sources
d’instabilité et de conflits.
Mais comment le monde musulman, a
t-il réussi un tel naufrage intellectuel et culturel pour se retrouver au fond
d’un 13e siècle où il s’est piégé de la sorte ?
En insistant sur les droits de dieu
tout en négligeant ceux de l’individu comme si le Coran et la Sunna avaient
pour mission de défendre le créateur et non pas d’émanciper l’individu, nos théologiens, ont fini par
promouvoir ce qu’ils considéraient comme la morale islamique tout en ignorant
que la morale n’est que l’aboutissement de tout acte émanant d’un individu
musulman .
Or l’acte de tout individu, qu’il soit conforme à la morale ou pas, ne peut être jugé que si l’individu est libre dans sa pensée et dans ses actes !
Or l’acte de tout individu, qu’il soit conforme à la morale ou pas, ne peut être jugé que si l’individu est libre dans sa pensée et dans ses actes !
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