La scène est surréaliste. "Tu vois, j'ai gagné ! J'ai
gagné !" lance, triomphant et vengeur, Nicolas Sarkozy au député du Nouveau Centre Charles de
Courson, présent à l'Élysée pour une cérémonie début 2010. De quelle victoire
si importante se prévaut donc le président de la République ? D'avoir fait
baisser le chômage ou rétabli l'équilibre du commerce extérieur ? Rien de tout
cela, bien sûr. Nicolas Sarkozy se félicite des 390 millions d'euros qui vont
échoir au couple Tapie (dont
45 au titre du préjudice moral) à la suite d'un arrêt du Conseil d'État qui rejette le recours intenté par
quelques députés, dont Courson, contre les conclusions d'un tribunal arbitral
sur l'affaire Adidas-Crédit lyonnais. "J'ai gagné ! J'ai gagné !"
Stupéfiant car, si victoire il y a, c'est celle de Tapie, l'ami du président.
Et pas du tout celle de l'État, contraint de faire un gros chèque.
Auteurs d'Un quinquennat à 500 milliards, Mélanie
Delattre, journaliste au Point, et Emmanuel Lévy, à Marianne,
recensent avec gourmandise et sévérité les petites et grandes libéralités du
président de la République avec ses "amis" Liliane Bettencourt ou Guy
Wildenstein, ou, fait moins connu, avec Hubert Martigny, auquel l'État a
racheté à prix d'or la salle Pleyel. Quand ils ne cherchent pas la petite bête,
les deux auteurs se mettent aussi en surplomb pour livrer aux
lecteurs-électeurs le "vrai bilan" économique du quinquennat Sarkozy.
Et là ils ne font pas dans la dentelle. Leur audit étant assez terrifiant, on pourrait
le juger militant. Mais les faits sont les faits. Depuis que Nicolas Sarkozy
est arrivé au pouvoir, la dette de la France a augmenté de 630 milliards
d'euros, passant de 1 150 milliards à 1 780 milliards d'euros. Énorme.
L'Élysée, relayé par Bercy, met ces résultats - "calamiteux",
pourrait dire Alain Juppé - sur le compte de la crise économique la plus grave
depuis 1929. Trop facile, rétorquent Delattre et Lévy. S'appuyant sur des
documents officiels, ils montrent que la crise de 2008, en abaissant les
recettes et en grevant les dépenses, aurait alourdi la dette de 109 milliards
d'euros. Mais le reste, entièrement imputable au président, s'élève à 520
milliards d'euros (le titre de leur livre l'arrondit à 500). Explications :
"Le budget dont a hérité Nicolas Sarkozy, à l'instar d'une voiture mal
réglée (...), grillait 3,2 points de PIB." Plutôt que de "soulever le
capot pour régler la machine", l'Élysée a laissé filer. En ne freinant pas
cette dérive, il a fait gonfler la dette de 370 milliards d'euros. Auxquels
s'ajoutent 153 milliards, car "le nouveau président a aussi appuyé sur le
champignon". Nicolas Sarkozy, l'homme qui voulait mettre l'État à la
diète, a fait bondir la dette publique de la France de 20 points (dont
seulement 5,5 imputables à la crise) !
Le syndrome de Pénélope
Où est la "véritable révolution
économique" promise au pays ? Le président a certes ouvert un nombre
impressionnant de chantiers qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait osé toucher.
Il s'est attaqué au marché de l'emploi, à la représentativité syndicale, au
regroupement de Pôle emploi et des Assedic, à la carte des tribunaux, à la
formation professionnelle et même aux régimes spéciaux de retraite (tout juste
écornés, cependant)... L'hyperprésident a été hyperactif. Mais alors, pourquoi
la réussite n'est-elle pas au rendez-vous ? En exposant les raisons de la
dérive économique et financière du pays durant le quinquennat, les deux auteurs
n'ont pu s'empêcher d'évoquer la personnalité d'un président qu'ils qualifient
de "caméléon". Pour eux, Nicolas Sarkozy "n'a jamais eu de
véritable substrat idéologique en matière économique". Libéral, il a un
temps prôné des subprimes à la française ; interventionniste, il vole au
secours des entreprises en difficulté, croyant, chaque fois, renouveler le coup
d'Alstom ; ami des P-DG (ah ! le Fouquet's), il flirte aussi avec la CGT.
Sarkozy schizophrène, comme le prétendent
les auteurs ? Quatre ans après, en tout cas, son "message est
brouillé". Quand il arrive en 2007 à l'Élysée, Sarkozy est attiré par la
Grande-Bretagne (surtout celle de Margaret Thatcher) et ignore l'Allemagne. En
fin de mandat, c'est tout le contraire. Élu en promettant de baisser les
prélèvements obligatoires de 4 points, il a fait preuve d'une redoutable
créativité pour inventer des impôts : taxe sur le poisson, les huiles de
moteur, la copie privée des disques durs, la téléphonie et Internet, les sodas,
les assurances...
"
Les Français ont conscience que nous ne pouvons accumuler toujours plus de
dépenses, plus de déficits, plus de dette et plus d'impôts. "
Nicolas
Sarkozy, 30 mars 2007
L'acte économique fondateur du quinquennat, cela n'a pas
échappé aux auteurs, c'est, bien sûr, la loi Tepa de l'été 2007. L'esprit en
est limpide : il faut laisser les riches s'enrichir, car toute la société en
profitera. Voilà comment arrivent les exonérations massives des droits de
succession et le fameux bouclier fiscal, manière déguisée de réformer l'ISF.
Voilà comment arrive aussi, en vertu du "travailler plus pour gagner
plus", l'exonération d'impôts et de charges sur les heures
supplémentaires, manière de contester les 35 heures. À ces mesures coûteuses
s'ajouteront la pérennisation, l'augmentation ou la création de niches fiscales
(exonération des plus-values sur les cessions de titres des entreprises, crédit
impôt-recherche, TVA réduite pour les restaurateurs...). Le plus déconcertant,
c'est que, dans une volte-face rare, le président va détricoter une partie de
la loi Tepa. "Même au pays de l'instabilité fiscale, on n'avait jamais vu
une majorité défaire en fin de mandat ce qu'elle avait voté à son
arrivée."
Le paradoxe de Bercy
Tout aussi troublant, à aucun moment la
question d'une baisse des dépenses n'est posée. Elles ne cesseront donc de
grimper (de 52,4 % du PIB à 57 %, niveau exceptionnel pour un grand pays
industrialisé). Sarkozy a conforté son image de "dépensier" acquise
lors de son passage au Budget en 1993. Ses tentatives pour dompter le mammouth
étatique n'ont ni connu de grands résultats ni ouvert de grandes perspectives.
Il est vrai que le président lui-même ne donne pas l'exemple. Si - et les
auteurs le soulignent - le budget de l'Élysée n'a jamais été aussi transparent,
cela n'empêche pas les dérapages : voyages multiples avec des cohortes
d'accompagnants, augmentation des effectifs, factures de travaux, service
d'ordre à l'américaine...
Plus sérieusement, la mesure emblématique
consistant à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite
n'a pas produit de miracles comptables (264 millions d'euros net d'économies en
2009). Il est vrai que "plus de 80 % des économies sont allées non dans la
poche du contribuable..., mais dans celle des fonctionnaires". Le "1
sur 2" pécherait par son côté aveugle : "La démarche est purement
quantitative." Une critique que l'on retrouve pour la Révision générale
des politiques publiques, qui ne s'interroge pas, comme l'ont fait le Canada et
la Suède, sur l'utilité de certains services. Le dévoiement de ces bonnes
intentions est illustré aussi par la fusion des deux services-phares de Bercy,
la Direction générale des impôts (elle encaisse) et la Direction générale de la
comptabilité publique (elle calcule).
Politique budgétaire
On ne compte plus les ministres qui se
sont cassé les dents sur le projet. Beaucoup en avaient rêvé, Sarkozy, lui, l'a
fait. Chapeau, l'artiste ! Pourtant, nos compères duPoint et de Marianne (ils
ont la dent dure) ne lui en reconnaissent qu'un mérite relatif. La fin des bastilles
de Bercy, écrivent-ils, "aurait pu être érigée en symbole de la rupture
promise avant la campagne". Au lieu de cela, le gouvernement est très
"discret sur le sujet". La raison ? Les économies attendues ne sont
pas au rendez-vous. Car "le choix a été fait d'aligner les salaires des
personnels vers le haut", ce qui, pour certains, a engendré des gains de
30 à 40 % "sans bouger de leur siège". Si les effectifs ont baissé,
la masse des rémunérations, elle, a augmenté.
"Le président a toujours été plus
pragmatique que dogmatique", résume un haut fonctionnaire chiraquien cité
par Delattre et Lévy. Ils expliquent de la sorte les deux bonnes surprises du
mandat, la réforme des universités et la réforme sur les retraites, cette
dernière n'ayant jamais été promise par le candidat Sarkozy. Tout au contraire
: "Le droit à la retraite à 60 ans doit demeurer", déclarait-il. Les
auteurs duUn quinquennat à 500 milliards expliquent l'activisme du
président à propos des retraites par le besoin de l'Élysée d'accomplir en fin
de mandat "un acte politique marquant" qui permet de faire apparaître
la gauche comme ringarde. La stratégie marche plutôt bien. Au point, d'ailleurs,
que le président cherche à refaire le coup avec la "règle d'or" sur
les équilibres budgétaires, laquelle n'était pas non plus au programme. L'homme
qui pèse 500 milliards n'a peur de rien. Car l'épisode de la Cades en dit long
sur la conversion toute récente du président de la République à la vertu
budgétaire. En octobre 2010, la Cades, caisse où l'on a pris l'habitude de
loger les déficits de la Sécurité sociale, a été autorisée à emprunter 130
milliards d'euros supplémentaires. Créée par Alain Juppé en 1996, elle devait
disparaître en 2009 (en même temps que sa recette, la CRDS, acquittée par tous
les Français). Lionel Jospin avait repoussé l'échéance à 2014, Jacques Chirac à
2018. Sarkozy crève le plafond en passant à 2025. Dans la crise internationale,
le "candidat de la rupture" a certes fait preuve d'esprit de décision
et d'initiative, souligné dans le livre. En revanche, pour ce qui est de la
politique budgétaire, "il n'a fait que marcher dans les traces de ses
prédécesseurs". Cela ne vaut pas condamnation, concluent Delattre et Lévy.
Même si le mandat est un "fiasco" économique, "à quelques mois
de la présidentielle tout laisse à penser que le président sortant sera
davantage jugé sur sa stature d'homme d'État que sur son bilan"
500 milliards
envolés en cinq ans...
Merci, Monsieur le président
Parmi les
grands gagnants du dispositif Tepa pour les heures supplémentaires figurent les
professeurs des classes préparatoires. Ils peuvent défiscaliser 30 000 euros
sur un revenu annuel de 80 000.
De 2007 à 2011...
- le
nombre de chômeurs a augmenté
de 600 000.
- le déficit
budgétaire est passé de 2,7 %
du PIB à 5,7 %.
- le déficit
commercial est passé de 39,2
milliards d'euros à 75.
- l'endettement
personnel des Français a crû
de 100 milliards d'euros.
0% : C'est
l'évolution du " revenu disponible des ménages " en 2011, autrement
dit du pouvoir d'achat.
"
Les Français ont conscience que nous ne pouvons accumuler toujours plus de
dépenses, plus de déficits, plus de dette et plus d'impôts. " Nicolas
Sarkozy, 30 mars 2007
" Le
droit à la retraite à 60 ans doit demeurer, de même que les 35 heures
continueront d'être la durée hebdomadaire légale du travail. Que ce soit un
minimum me va bien. " Nicolas Sarkozy, 23 janvier 2007
128 291 euros Coût d'un déplacement de deux heures et demie
dans l'Ain par le président de la République en 2008.
"La
politique est l'art de se servir des hommes en leur faisant croire qu'on les
sert."
Voltaire
PATRICK BONAZZALe Point
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