« A quelques-uns l’arrogance tient lieu de grandeur ;
l’inhumanité de fermeté ;
et la fourberie, d’esprit. »
de Jean de La Bruyère
Depuis l’attentat du 14-Juillet, Christian Estrosi pilonne le
gouvernement pour mieux masquer ses propres responsabilités. Au nom des Niçois,
l’ancien maire exige la « vérité », mais n’en offre qu’une version partielle. Le
résultat de son tintamarre médiatique est stupéfiant : on ne voit que lui
et on ne parle que des autres.
Il le dit et le répète. Sans rire. Sans sourciller. Sans jamais
mesurer à quel point l’assertion peut paraître grotesque. Christian Estrosi se
sent « porteur d’une
exigence de vérité ». Au nom des proches des victimes de l’attentat du
14-Juillet, mais aussi, plus largement, au nom de tous les Niçois. Lui, le « fils de
Nice », ne souffre pas que l’on s’en prenne à sa ville
et à ses habitants. Mais c’est en réalité sa propre personne qu’il ne veut
surtout pas voir attaquée. Ainsi allume-t-il chaque jour de nouveaux
contre-feux pour mieux se faire oublier. Partout, dans la presse, à la
télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux, il s’exclame, dénonce, accuse.
Et se drape dans le costume de « l’élu local révolté » face aux « mensonges » de l’État.
L’ancien maire,
devenu premier adjoint en juin dernier, est monté au créneau quelques heures
seulement après le drame, accusant la préfecture des Alpes-Maritimes d’avoir
menti sur le nombre de policiers nationaux présents ce soir-là. Les choses se
sont ensuite enchaînées avec une rapidité exemplaire en matière de
communication politique. Très vite, ont filtré dans la presse toute une série
de documents, dont une lettre du président de la région
Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), datée du 13 juillet, réclamant à François Hollande « un grand plan
d’urgence pour protéger les policiers et leur donner les moyens d'agir ». Mais ce sont évidemment les photos publiées par Libération le jeudi 21 juillet qui ont précipité les événements.
Avec ces images issues de la vidéosurveillance de la ville, l’ancien maire
tenait enfin la preuve du « mensonge d’État ». Oui, la
préfecture des Alpes-Maritimes a failli en concentrant ses forces au mauvais
endroit. Oui, l’entrée de la zone piétonne de la promenade des Anglais n’était
“protégée” que par des agents municipaux en charge de la fluidification du
trafic. Oui, le dispositif prévu pour les festivités du 14-Juillet était trop
léger au regard du « risque d’un véhicule fou » dont le préfet lui-même a pourtant
reconnu qu’il « avait
été pris en compte ». Christian Estrosi avait donc raison. Est-ce à
dire qu’il n’avait aucun tort ? Certainement pas.
Quoi qu’il en
dise, le premier adjoint en charge de la
sécurité (mais aussi des transports, des finances, de la voirie, des ressources
humaines…) de Nice a sa part de responsabilité dans les événements. D’abord, parce
que le dispositif prévu ce soir-là avait
été élaboré avec la mairie et qu’il aurait dû être présent lors des
réunions préparatoires en préfecture, ce qui n’était pas le cas. C’est la
limite du cumul des fonctions. Lorsqu’on
est président de région, président de métropole, suppléant de celle qui lui a
succédé à l’Assemblée et premier adjoint délégué à quasi tous les sujets de son
successeur à la mairie, on ne peut évidemment pas être partout.
Ensuite, parce
que les conditions dans lesquelles
l’attentat a été orchestré mettent à mal la politique sécuritaire dispendieuse
défendue par ses soins depuis de nombreuses années. Malgré la présence de 1 257 caméras de vidéosurveillance,
réparties dans toute la ville, et l’existence
d’un arrêté interdisant la circulation
sur l'ensemble de la commune des véhicules dont le poids total est égal ou
supérieur à 3,5 tonnes, il est aujourd’hui avéré que le camion de 19 tonnes qui a foncé dans la foule a effectué trois jours durant
plusieurs allers-retours de repérage sur la promenade des Anglais, y compris quelques heures avant de passer à
l’acte. Et ce, sans jamais être
inquiété.
Quand on l’interroge sur le sujet,
Estrosi botte en touche. « Si
tous ceux qui passent deux fois sur la promenade étaient des criminels… On ne
peut pas supposer le pire à chaque fois, a-t-il affirmé à Nice-Matin. Et si, comme nous l’avions demandé, le
gouvernement nous avait autorisés à utiliser le système de reconnaissance
faciale, peut-être les choses auraient été différentes. » Idem pour les plots en béton qui auraient pu
être installés le soir du 14-Juillet, comme l’a rappelé son ancien premier
adjoint, Benoit Kandel, passé à l’opposition divers droite. Idem pour le fait que ni lui ni son chef de la police
municipale, ni l’adjoint de ce dernier, n’étaient présents sur la Prom’ pour
superviser le dispositif.
On
aura beau chercher, rien n’est jamais de la faute de Christian Estrosi. Sa
politique ultra-sécuritaire a montré ses limites, mais il ne la remettra pas en
question. C’est là où réside sa force : expliquer avec une sincérité
déconcertante que ses paradoxes n’en sont pas. Il l’avait déjà fait lors des
régionales de 2015 en se déguisant en « résistant » pour draguer les électeurs de gauche, face à la frontiste Marion Maréchal-Le Pen. « Je
n’aime pas cette notion de droite et de gauche, affirmait-il
à l’époque à Mediapart. Je me sens si différent des
commentaires qui sont faits sur moi… Dans ma ville, tout le monde sait que je
suis plus socialiste que les socialistes et plus écolo que les Verts. » Les
ficelles de la stratégie adoptée par l’ancien édile depuis dix jours sont aussi
énormes que celles qu’il avait utilisées pour sa campagne. Et pourtant, elles
parviennent à créer un embrouillamini aux relents complotistes. Lorsqu’il
accuse le gouvernement de vouloir « détruire des preuves » en brandissant la réquisition demandant
l’effacement des images de l’attentat, sans préciser que ces dernières ont déjà
été versées au dossier d’instruction, il crée de la confusion. Lorsqu’il
explique sérieusement que l’État est sans doute « jaloux » des réussites de sa ville et que
c’est pour cette raison qu’il essaie de le « déstabiliser, en donnant par exemple
l’autorisation d’ouverture » à la
mosquée En-Nour, il crée aussi de la confusion.
Lorsqu’il
souligne dans la presse à quel point il regrette que Manuel Valls se soit fait
huer lors de l’hommage aux victimes, sans reconnaître que c’est en réalité
l’ensemble des responsables politiques, lui compris, qui étaient visés ce
jour-là, il crée toujours de la confusion. Lorsqu’il communique sur une main courante de « Sa
police municipale » indiquant que l’un des complices du tueur était sous
le coup d'une mesure de reconduite à la frontière, qui n’a jamais été
effective, il crée encore de la confusion. Le président de la région PACA distille
dans la presse les éléments matériels et langagiers qui appuient sa version des
faits. Le résultat de son tintamarre
médiatique est stupéfiant : on ne voit que lui et on ne parle que des
autres. Pourtant, Christian Estrosi le jure : jamais il n’a voulu
sombrer dans la polémique politicienne. « La
polémique est détestable et ce qui nourrit la polémique ; c’est le mensonge, a-t-il
encore expliqué samedi sur RTL Si l’État cesse de mentir, il n’y aura
plus de polémique. Et moi je ne cherche pas la polémique, je ne cherche que la
vérité. » Comment, dans ce cas, qualifier chacun des propos qu’il
tient depuis dix jours ? Que penser
de ses comparaisons de cours de récréation avec le premier ministre, quand il
précise qu’il a « exercé
des fonctions gouvernementales plus longtemps que lui » ? Comment réceptionner ses plaintes dans Paris
Match où il se lamente d’avoir été « traité comme un subalterne, un
moins que rien » par le gouvernement ?
« Il a été décidé qu’on reparlerait, dès les petites classes, d’éducation civique,
d’honnêteté, de courage, de refus du racisme et d’amour de la République.
Il est dommage que l’école ne soit fréquentée que par les enfants. »
André Frossard
Estrosi
dit parler « au nom des Niçois », mais c’est
surtout son ego que l’on entend. Il dit vouloir « défendre ses policiers
municipaux », mais c’est lui et lui seul qu’il protège. Il martèle que « chacun doit prendre ses
responsabilités », mais ne cesse de fuir les siennes.
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