dimanche 24 juillet 2016

Attentat de Nice: la «vérité» toute personnelle de Christian Estrosi

« A quelques-uns l’arrogance tient lieu de grandeur ;

l’inhumanité de fermeté ;

et la fourberie, d’esprit. »

de Jean de La Bruyère


Depuis l’attentat du 14-Juillet, Christian Estrosi pilonne le gouvernement pour mieux masquer ses propres responsabilités. Au nom des Niçois, l’ancien maire exige la « vérité », mais n’en offre qu’une version partielle. Le résultat de son tintamarre médiatique est stupéfiant : on ne voit que lui et on ne parle que des autres.

Il le dit et le répète. Sans rire. Sans sourciller. Sans jamais mesurer à quel point l’assertion peut paraître grotesque. Christian Estrosi se sent « porteur d’une exigence de vérité ». Au nom des proches des victimes de l’attentat du 14-Juillet, mais aussi, plus largement, au nom de tous les Niçois. Lui, le « fils de Nice », ne souffre pas que l’on s’en prenne à sa ville et à ses habitants. Mais c’est en réalité sa propre personne qu’il ne veut surtout pas voir attaquée. Ainsi allume-t-il chaque jour de nouveaux contre-feux pour mieux se faire oublier. Partout, dans la presse, à la télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux, il s’exclame, dénonce, accuse. Et se drape dans le costume de « l’élu local révolté » face aux « mensonges » de l’État.
L’ancien maire, devenu premier adjoint en juin dernier, est monté au créneau quelques heures seulement après le drame, accusant la préfecture des Alpes-Maritimes d’avoir menti sur le nombre de policiers nationaux présents ce soir-là. Les choses se sont ensuite enchaînées avec une rapidité exemplaire en matière de communication politique. Très vite, ont filtré dans la presse toute une série de documents, dont une lettre du président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), datée du 13 juillet, réclamant à François Hollande « un grand plan d’urgence pour protéger les policiers et leur donner les moyens d'agir ». Mais ce sont évidemment les photos publiées par Libération le jeudi 21 juillet qui ont précipité les événements. Avec ces images issues de la vidéosurveillance de la ville, l’ancien maire tenait enfin la preuve du « mensonge d’État ». Oui, la préfecture des Alpes-Maritimes a failli en concentrant ses forces au mauvais endroit. Oui, l’entrée de la zone piétonne de la promenade des Anglais n’était “protégée” que par des agents municipaux en charge de la fluidification du trafic. Oui, le dispositif prévu pour les festivités du 14-Juillet était trop léger au regard du « risque d’un véhicule fou » dont le préfet lui-même a pourtant reconnu qu’il « avait été pris en compte ». Christian Estrosi avait donc raison. Est-ce à dire qu’il n’avait aucun tort ? Certainement pas.
Quoi qu’il en dise, le premier adjoint en charge de la sécurité (mais aussi des transports, des finances, de la voirie, des ressources humaines…) de Nice a sa part de responsabilité dans les événements. D’abord, parce que le dispositif prévu ce soir-là avait été élaboré avec la mairie et qu’il aurait dû être présent lors des réunions préparatoires en préfecture, ce qui n’était pas le cas. C’est la limite du cumul des fonctions. Lorsqu’on est président de région, président de métropole, suppléant de celle qui lui a succédé à l’Assemblée et premier adjoint délégué à quasi tous les sujets de son successeur à la mairie, on ne peut évidemment pas être partout.
Ensuite, parce que les conditions dans lesquelles l’attentat a été orchestré mettent à mal la politique sécuritaire dispendieuse défendue par ses soins depuis de nombreuses années. Malgré la présence de 1 257 caméras de vidéosurveillance, réparties dans toute la ville, et l’existence d’un arrêté interdisant la circulation sur l'ensemble de la commune des véhicules dont le poids total est égal ou supérieur à 3,5 tonnes, il est aujourd’hui avéré que le camion de 19 tonnes qui a foncé dans la foule a effectué trois jours durant plusieurs allers-retours de repérage sur la promenade des Anglais, y compris quelques heures avant de passer à l’acte. Et ce, sans jamais être inquiété.
Quand on l’interroge sur le sujet, Estrosi botte en touche. « Si tous ceux qui passent deux fois sur la promenade étaient des criminels… On ne peut pas supposer le pire à chaque fois, a-t-il affirmé à Nice-Matin. Et si, comme nous l’avions demandé, le gouvernement nous avait autorisés à utiliser le système de reconnaissance faciale, peut-être les choses auraient été différentes. » Idem pour les plots en béton qui auraient pu être installés le soir du 14-Juillet, comme l’a rappelé son ancien premier adjoint, Benoit Kandel, passé à l’opposition divers droite. Idem pour le fait que ni lui ni son chef de la police municipale, ni l’adjoint de ce dernier, n’étaient présents sur la Prom’ pour superviser le dispositif.
On aura beau chercher, rien n’est jamais de la faute de Christian Estrosi. Sa politique ultra-sécuritaire a montré ses limites, mais il ne la remettra pas en question. C’est là où réside sa force : expliquer avec une sincérité déconcertante que ses paradoxes n’en sont pas. Il l’avait déjà fait lors des régionales de 2015 en se déguisant en « résistant » pour draguer les électeurs de gauche, face à la frontiste Marion Maréchal-Le Pen. « Je n’aime pas cette notion de droite et de gauche, affirmait-il à l’époque à Mediapart. Je me sens si différent des commentaires qui sont faits sur moi… Dans ma ville, tout le monde sait que je suis plus socialiste que les socialistes et plus écolo que les Verts. »                                                                              Les ficelles de la stratégie adoptée par l’ancien édile depuis dix jours sont aussi énormes que celles qu’il avait utilisées pour sa campagne. Et pourtant, elles parviennent à créer un embrouillamini aux relents complotistes. Lorsqu’il accuse le gouvernement de vouloir « détruire des preuves » en brandissant la réquisition demandant l’effacement des images de l’attentat, sans préciser que ces dernières ont déjà été versées au dossier d’instruction, il crée de la confusion. Lorsqu’il explique sérieusement que l’État est sans doute « jaloux » des réussites de sa ville et que c’est pour cette raison qu’il essaie de le « déstabiliser, en donnant par exemple l’autorisation d’ouverture » à la mosquée En-Nour, il crée aussi de la confusion.
Lorsqu’il souligne dans la presse à quel point il regrette que Manuel Valls se soit fait huer lors de l’hommage aux victimes, sans reconnaître que c’est en réalité l’ensemble des responsables politiques, lui compris, qui étaient visés ce jour-là, il crée toujours de la confusion. Lorsqu’il communique sur une main courante de « Sa police municipale » indiquant que l’un des complices du tueur était sous le coup d'une mesure de reconduite à la frontière, qui n’a jamais été effective, il crée encore de la confusion. Le président de la région PACA distille dans la presse les éléments matériels et langagiers qui appuient sa version des faits. Le résultat de son tintamarre médiatique est stupéfiant : on ne voit que lui et on ne parle que des autres. Pourtant, Christian Estrosi le jure : jamais il n’a voulu sombrer dans la polémique politicienne. « La polémique est détestable et ce qui nourrit la polémique ; c’est le mensonge, a-t-il encore expliqué samedi sur RTL Si l’État cesse de mentir, il n’y aura plus de polémique. Et moi je ne cherche pas la polémique, je ne cherche que la vérité. » Comment, dans ce cas, qualifier chacun des propos qu’il tient depuis dix jours ?  Que penser de ses comparaisons de cours de récréation avec le premier ministre, quand il précise qu’il a « exercé des fonctions gouvernementales plus longtemps que lui » ? Comment réceptionner ses plaintes dans Paris Match   où il se lamente d’avoir été « traité comme un subalterne, un moins que rien » par le gouvernement ?   

« Il a été décidé qu’on reparlerait, dès les petites classes, d’éducation civique,

d’honnêteté, de courage, de refus du racisme et d’amour de la République.

Il est dommage que l’école ne soit fréquentée que par les enfants. »

André Frossard




Estrosi dit parler « au nom des Niçois », mais c’est surtout son ego que l’on entend. Il dit vouloir « défendre ses policiers municipaux », mais c’est lui et lui seul qu’il protège. Il martèle que « chacun doit prendre ses responsabilités », mais ne cesse de fuir les siennes.                                         

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