On ne
s'habitue jamais à l'horreur.
Malgré la
répétition des attaques, malgré le nombre de victimes,
Elle nous
afflige et nous terrifie. Elle nous divise aussi.
Massacrer
pour faire peur d'abord en s'attaquant à tous les
symboles
possibles : hier la presse, les juifs, la police, la fête
Matthieu Croissandeau
Jeter le poison de la discorde dans la
population ensuite : religieux contre laïques, musulmans contre chrétiens, banlieues
contre centre-ville, gauche contre droite, peuple contre élites… Faire
vaciller nos institutions enfin pour faire plonger le pays dans le chaos ou la
guerre civile. La France n'a pas le goût de l'union sacrée ni celui des grandes coalitions
politiques. Elle ferait pourtant bien d'y réfléchir plutôt que de réclamer la
démission de tel ou tel, de céder à la polémique et à l'invective. Il n'y a guère que les populistes pour faire
semblant de croire qu'un limogeage soulagerait un tant soit peu la douleur et
le chagrin des familles. Et il n'y a que les idiots – ce sont souvent les mêmes
– pour penser qu'une telle décision améliorerait l'efficacité de la lutte
antiterroriste.
Plutôt que de chercher des victimes
expiatoires donc, occupons-nous des vraies victimes et de leurs familles, celles de Paris, de
Villejuif, de Nice, de Magnanville et de Saint-Etienne-du-Rouvray aujourd'hui
"Les arguties juridiques" dénoncées par Nicolas Sarkozy après
l’assassinat du prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray ne sont rien moins que des
règles d’ordre constitutionnel.
A ce titre, les
mots choisis par le président des Républicains sont à la fois dangereux et
indécents. On ne les retrouve pas dans son interview au Monde et c’est
heureux. Les propositions avancées dans cet entretien précisent les intentions
d’un ancien chef de l’Etat qui aspire à le redevenir. Ce qui est logique et
normal dans un débat démocratique digne de ce nom, même si le projet qu’elles
dessinent attentent, en bloc et en détails, à ce qui en constitue le fondement.
Les institutions de la Cinquième République ne sont
pas un bloc intangible. Elles peuvent être modifiées. Elles l’ont été à de
nombreuses reprises. François Hollande avait d’ailleurs souhaité qu’elles le
soient à nouveau au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 sur l’état
d’urgence et la déchéance de nationalité. Ce n’est pas parce qu’il a échoué
dans cette tentative sous les tirs croisés d’une partie de la gauche et d’une
fraction de la droite que toute tentative de révision doit être exclue par
principe, dans un avenir proche.
De ce point de vue, Laurent Wauquiez est plus
explicite et plus franc que Nicolas Sarkozy quand il suggère aujourd’hui, dans Le
Figaro, d’«adapter» notre loi fondamentale aux exigences de la lutte
anti-terroriste telle qu’il la conçoit. Sur
la présomption d’innocence, via le sort réservé aux fichés S, la droite ne
pourra pas avancer demain, si elle revient au pouvoir, qu’en modifiant le
préambule de la Constitution qui se réfère explicitement à la déclaration des
droits de l’homme de 1789. Rien ne le lui interdit à condition, bien sûr
que cette révolution juridique soit validée par le peuple français, selon les
procédures qui sont celles de notre démocratie. En l’occurrence, on imagine mal
que tout cela ne passe pas par un référendum, en bonne et due forme.
Le jeu de l’émotion dans un
calcul politique
“Nous avons bien des préjugés à vaincre,
Avant de concevoir seulement que la source de
toutes les mauvaises
lois, que l’écueil de l’ordre public,
C’est
l’intérêt personnel, c’est l’ambition et
la
cupidité de ceux qui gouvernent.”...
Robespierre
Là est la vraie limite de cette stratégie du «toujours plus» qui sert de
boussole à la droite depuis quelques semaines. Dans un premier temps, au
lendemain de l’attentat de Nice, elle n’a eu pour seul objectif que de casser
les réflexes d’unité et de rassemblement qui s’étaient manifestés dans la rue en
janvier 2015, après Charlie et l’Hypercacher, puis, en novembre, au congrès de
Versailles, après la réplique du Bataclan. Pour parvenir à ses fins, elle a
utilisé toutes les armes de la polémique, fussent-elles les plus basses, face à
un pouvoir d’autant plus faible qu’il ne dispose plus de bases politique
suffisantes pour lui assurer une crédibilité minimale, au sein d’une opinion
taraudée par la peur.
Christian Estrosi
et, sur un mode mineur, Éric Ciotti,
ont été les artisans de cette politique insensée, dictée par le court-terme,
qui vise à rendre tout gouvernement, par nature, non pas responsable mais
coupable de la moindre action terroriste sur le sol national. Sans doute
fallait-il des hommes de sac et de cordes pour en arriver là. Mais comment ne
pas voir qu’on ne peut à la fois admettre que le pays est «en guerre» pour
longtemps tout en s’en prenant par principe et à la moindre occasion à l’action
de ceux qui sont chargés de la mener?
Sur de telles bases, on souhaite du plaisir à quiconque prétend aux plus
hautes fonctions de l’Etat alors que chacun sait bien que face au terrorisme le
risque zéro, hélas, n’existe pas. Personne n’a jamais contesté qu’on puisse
faire mieux dans ce combat-là. Mais ce n’est pas faire preuve d’on ne sait quel
«fatalisme» que de dire aux Français qu’il ne sera pas gagné de sitôt. Le
profil du tueur de Nice montre en tous cas combien il est illusoire de tout
prévoir et de tout surveiller. Si la droite s’est saisie de ce drame pour faire
le procès du gouvernement, c’est d’abord par calcul. Derrière l’émotion du
moment, il y avait une intention déclinée de sang-froid.
On remarquera au passage que les leaders les plus «modérés» de la droite
n’ont pas su résister à cette stratégie de délégitimassions systématique,
dictée par des enjeux liés à la future primaire de l’opposition. Alain Juppé a
ainsi montré sa faible capacité de résistance aux ultras de son camp. Le maire
de Bordeaux est peut-être «droit dans ses bottes» mais celles-ci sont en
caoutchouc. S’il devient un jour Président, ce n’est pas ainsi chaussé qu’il
parviendra à ne pas être, à son tour, un de ces «petits bouchons» ballotés par
les frondeurs de tous poils.
Le chef des «Républicains»
s'attaque aux traditions ... républicaines
Pour sortir de ce piège qu’elle a elle-même creusée, il fallait donc que la
droite, par la voix de ceux qui, dans ses rangs, conservent un sens minimum de
l’Etat, sache trouver autre chose que des coups de dagues destinés à faire
tomber, un jour le ministre de l’Intérieur, un autre le Premier ministre, et à
interrompre de facto le mandat du Président, neuf mois avant son terme. Nicolas
Sarkozy s’y emploie à sa façon. A chaque attentat, depuis un an et demi, il
procède de la sorte.
En 2006, Nicolas Sarkozy qualifiait de
"propos incompétents"
la proposition d'encadrement militaire des mineurs délinquants. Il a changé
d'avis... Ségolène Royal prend cet "hommage positivement". Il n'y a
que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.
Nicolas Sarkozy a visiblement évolué sur
la question de l'encadrement militaire des mineurs délinquants. "Le gouvernement va reprendre cette
proposition" (du rapport du député UMP Eric Ciotti) qui doit
"permettre que les auteurs de délits puissent accomplir, pendant quelques
mois, un service citoyen dans le cadre d'un établissement d'insertion de la
défense", a déclaré ce 13 septembre le chef de l'Etat en visite dans le
nouveau centre pénitentiaire de Réau (Seine-et-Marne).
Prônée depuis 2006 par Ségolène Royal, cette mesure s'était à l'époque attirée l'ironie
du président de l'UMP, candidat à la présidentielle, un certain Nicolas
Sarkozy. "Je suis parfois un peu étonné des
propositions qu'elle fait. Si l'avenir des jeunes c'est d'être pris en mains
par l'armée, pourquoi pas. Mais je ne le pense pas", avait-il estimé. Et
d'ajouter: "Si on pense que la
solution aux problèmes c'est de tenir des propos aussi incompétents, c'est son
choix."
l'ancienne candidate s'est félicitée de
"cette reconnaissance de solutions efficaces et justes", "un hommage qu'elle prend positivement".
Ségolène Royal souhaite que dès 2012 5000 jeunes soient concernés par cette mesure. "Les Français sont
fatigués des effets d'annonce, ils veulent des actes. Ce qui est important, c'est
que les idées fassent leur chemin", a botté en touche Ségolène Royal,
tout en regrettant que le projet du PS ne soit pas allé aussi loin.
Dans l’arsenal Sarkozyste, figurent désormais des
mesures qui visent à créer, sur le plan juridique et pratique, ce qui ressemble
trait pour trait à un Guantanamo à la française. Ce faisant, il répond aux injonctions
d’une partie de la droite qui n’hésite plus à parler de la nécessaire «Israélisation»
de nos politiques anti-terroristes, sans d’ailleurs voir que ni les Etats-Unis,
ni même Israël, n’ont su dresser les barrages qui les mettent à l’abri du
moindre attentat. Ces politiques ne sont pas en soi illégitimes. On peut les
défendre dans le cadre d’un débat politique démocratique. De même qu’on peut
les combattre en notant qu’elles remettent en cause ce qui constitue le cœur de
nos traditions judiciaires et, au-delà, de nos traditions républicaines. Après le meurtre de 84 personnes le 14 juillet à Nice, puis l'égorgement d'un prêtre dans une église normande mardi, Nicolas Sarkozy n'a pas tardé à lâcher ses coups contre le gouvernement, en réclamant toujours plus de mesures sécuritaires. Mais le patron du parti Les Républicains (LR) ne craint pas de contredire son bilan en la matière. Au point de parfois prôner des dispositifs qu'il a lui-même supprimés lorsqu'il était au pouvoir…
Si Nicolas Sarkozy compte supprimer 300.000 postes de fonctionnaires en cas de retour à l'Elysée, il est convaincu qu'il ne faut pas toucher aux effectifs régaliens. "Il faudra exonérer toutes les forces de sécurité – policière, militaire et judiciaire – de tout effort d’économies, augmenter les moyens de l'armée et embaucher des analystes pour le renseignement", plaide-t-il dans une interview au Monde mercredi 27 juillet. Mais ce que l'ex-chef de l'Etat se garde bien de préciser, c'est qu'il n'en allait pas du tout ainsi pendant son quinquennat. La police et la gendarmerie ont ainsi perdu plus de 9.000 postes entre 2007 et 2011, indiquait un rapport de la Cour des comptes en 2013. Une saignée qui s'explique notamment par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, une mesure-phare du mandat Sarkozy. Côté Défense, la purge a été encore plus rude. La loi de programmation militaire adoptée pour la période 2008-2014 prévoyait la suppression de pas moins de 55.000 postes. Un mouvement poursuivi sous le quinquennat Hollande, avant d'être interrompu sous la pression des attentats de l'an dernier. Dans une interview au Figaro en juin, Nicolas Sarkozy réclamait "la création en urgence d'un véritable service de renseignement des prisons". Car pour lui, "il faut du renseignement humain, comme d'ailleurs dans les lieux de culte extrémistes et au sein des groupes radicalisés". Problème : c'est le président Sarkozy qui a éliminé un maillon essentiel de ce fameux "renseignement humain" en supprimant en 2008 les Renseignements généraux (RG), bien implantés sur l'ensemble du territoire, pour fondre leurs effectifs dans la nouvelle Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). La conséquence : de moins bonnes remontées d'informations, notamment sur les cités sensibles qui allaient nourrir les filières islamistes.
"Comment des individus fichés, dont l'un est sous contrôle judiciaire pour avoir essayé d’aller faire le djihad en Syrie, ont été laissés libres de commettre un tel attentat ?" s'insurge Nicolas Sarkozy dans Le Monde à propos des deux terroristes de Saint-Etienne-du-Rouvray. Comme l'a révélé Marianne, le premier assaillant identifié, Adel Kermiche, a été mis en examen et incarcéré après avoir tenté deux fois de se rendre en Syrie, mais bénéficiait d'une mesure de liberté conditionnelle - c'est d'ailleurs pendant ses horaires de permission de sortie qu'il a commis l'attentat. Or, c'est la loi Dati de 2009 qui a facilité ce type de mesure. Afin de ne pas aggraver la surpopulation carcérale, ce texte prévoit notamment que les personnes mises en examen peuvent être assignées à résidence sous bracelet électronique au lieu d'être incarcérées - ce qui était précisément le cas d'Adel Kermiche. Nicolas Sarkozy, qui aime à fustiger la "politique de désarmement pénal" qui prévaudrait sous le quinquennat Hollande, n'a donc pas fait montre de la sévérité qu'il prône aujourd'hui à longueur d'interviews.
comme le confie à Marianne un député LR bon connaisseur de ce dossier, "Sarkozy est pris à son propre piège".
En janvier 2015, il n’avait rien trouvé mieux que de proposer une révision… du régime d’heures supplémentaires des policiers. En novembre 2015, il avait expliqué, au grand dam d’Alain Juppé, que «solidarité» ne signifiait pas «unité» avant de suggérer, face à un Président attentif, l’armement permanent des forces de sécurité ainsi que la déchéance de nationalité. Cette fois-ci, il s’engage sur un terrain qu’il avait jusque-là évité, en dépit des pressions de certains de ses proches, tel Laurent Wauquiez. Il n’est pas anodin que les révisions constitutionnelles, que ces projets
impliquent renvoient à la déclaration des droits de l’homme de 1789. Si Nicolas Sarkozy préfère,
pour une fois, ne pas aller jusqu’au bout de son raisonnement et que Laurent Wauquiez choisit
d’euphémiser son propos en ne parlant que d’«adaptation» de la Constitution,
n’est-ce pas aussi parce qu’ils mesurent l’ampleur du saut qu’ils proposent?
«Le discours de la gauche ne correspond plus à la réalité», vient de dire le
président des Républicains dans son interview au Monde. La question est
maintenant de savoir si le nom de son parti est lui aussi conforme à cette
réalité. Elle sera, quoiqu’il arrive, au centre de la campagne de la prochaine
présidentielle et, après tout, au point où on en est, c’est très bien ainsi.
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