mercredi 27 juillet 2016

Saint-Étienne-du-Rouvray, Nice : la surenchère autoritaire de Sarkozy est inacceptable




Depuis l'attentat de Nice, et après l'assassinat d'un prêtre dans une église de Saint-Étienne-du-Rouvray, la droite ne retient plus ses coups contre le gouvernement. Nombre de ténors de "Les Républicains" exigent même la mise ne place de mesure d'exception pour lutter contre le terrorisme. Des propos qui fracturent un peu plus la communauté nationale, déplore l'historien Jean Garrigues

Il faut espérer que les attentats les meurtres qui se sont succédés cette année en France ne sont pas le résultat de la politique de stigmatisation des populations étrangères ou des critiques répétées par la classe dirigeante de notre pays, envers la population musulmane.
Un réflexe communautariste risque de détruire
tous les progrès d'intégration qu'a connu
notre pays laïque, fraternel et égalitaire.
La plus grande réussite de certains de nos dirigeants depuis quelques années est sans contexte la banalisation du racisme, de la xénophobie et de l'antisémitisme, que la France avait déjà connu sous l'Etat Français.


Au fond de chaque homme civilisé se tapit un petit homme de l’âge de pierre, prêt au vol et au viol, et qui réclame à grands cris un œil pour un œil. Mais il vaudrait mieux que ce ne fût pas ce petit personnage habillé de peaux de bêtes qui inspirât la loi de notre pays.

Arthur Koestler et Albert Camus



"La droite la plus bête du monde". Cette formule de Guy Mollet reviendrait-elle au goût du jour ? On serait tenté de le croire au vu des rodomontades et autres déclarations martiales proférées dans l’urgence par plusieurs ténors des Républicains, à commencer par leur chef de parti, au lendemain des attentats terroristes de Nice puis de Saint-Étienne-du Rouvray.



Alors même que 67% des Français déclarent dans un récent sondage être favorables à un "gouvernement d’union nationale", voilà que les matamores de la droite dite républicaine se lancent dans une compétition de critiques au vitriol contre le trio Hollande-Valls-Cazeneuve et de surenchères de propositions répressives, dont une bonne partie est incompatible avec les règles de notre droit.



Faisant fi du respect exigé par le moment du deuil et de l’indispensable unité que réclame la lutte contre Daesh et ses émissaires sanglants, ils saturent l’espace public de polémiques et de petites phrases assassines, qui n’ont d’autre résultat que de fracturer un peu plus la communauté nationale, et surtout de brouiller les cartes de notre citoyenneté républicaine.



Sarkozy semble à côté de l’histoire



À cet égard, Nicolas Sarkozy nous semble à côté de l’histoire lorsqu’il estime qu’en "assassinant un prêtre catholique et en blessant gravement des fidèles dans une église, c’est l’âme de la France qui est touchée"



Il n’est pas question de nier ici l’horreur de ce crime, pas plus que la place majeure du christianisme dans l’histoire millénaire de notre pays, bien au contraire. Mais un vrai républicain (surtout lorsqu’il se revendique comme le dépositaire de la marque) devrait se souvenir que ce qui fait aujourd’hui l’identité de notre communauté française aujourd’hui, depuis 1792 ou au moins depuis 1870, ce n’est pas l’Église catholique, c’est la République.



En décembre 2007, dans son discours dit du Latran, Nicolas Sarkozy avait déjà pris ses distances avec cette lecture républicaine de notre identité collective en affirmant que "l’instituteur ne pourrait jamais remplacer le curé ou le pasteur dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal".



À l’époque déjà, cette formule avait été ressentie comme une provocation par tous ceux qui sont attachés à la tradition laïque de notre pays, aux "hussards noirs de la République" exaltés par Charles Péguy. Les pères fondateurs de notre démocratie républicaine, Jules Ferry, Léon Gambetta, Georges Clemenceau, se retournaient dans leurs tombes.



Ce n’est pas une guerre de religion qui se mène



Aujourd’hui, dans le contexte de l’offensive terroriste menée par Daesh contre l’Europe occidentale, une telle déclaration est encore plus déplacée, voire explosive. Elle tend en effet à accréditer l’idée que c’est une guerre de religion qui se mène, alors que c’est une guerre de valeurs et de civilisation entre d’un côté un islamo-totalitarisme et de l’autre côté un système démocratique incarné (entre autres) par la République française.



Aux yeux d’un historien, la formule de Nicolas Sarkozy est donc inacceptable à double titre. D’une part, parce qu’en soulignant une fois de plus les racines chrétiennes de la France, il accroît de facto la tension entre les différentes communautés spirituelles qui composent notre République, opposant chrétiens et non-chrétiens, et prenant le risque de stigmatiser les musulmans de France. Le choc des intégrismes serait dévastateur !



D’autre part, parce qu’il s’écarte de ce "vivre ensemble" républicain qui est le véritable ciment de notre communauté nationale. On ne peut pas à la fois diriger un parti intitulé "Les Républicains" et prendre ses distances vis-à-vis du socle républicain de notre identité collective. Ce n’est pas cohérent !



Le plus grave, c’est que les conséquences des polémiques soulevées par Nicolas Sarkozy, Eric Ciotti, Christian Estrosi ou Laurent Wauquiez, à savoir la surenchère autoritaire, la fracturation communautaire et la désunion nationale, sont précisément les objectifs, voire "les buts de guerre" poursuivis par l’islamo-fascisme.



2017, moteur de surenchères belliqueuses



Cela ne veut pas dire qu’il faut anesthésier le débat public au nom de la discipline républicaine, bien évidemment.



De 1914 à 1917, Georges Clemenceau ne ménagea pas ses critiques à l’encontre des gouvernements d’union sacrée, les jugeant incapables de mener le pays à la victoire. On peut d’ailleurs estimer que ses critiques furent souvent injustes, et qu’elles visaient aussi à le ramener au pouvoir. Mais force est de constater que les attaques du "Tigre" se situaient toujours dans le strict périmètre des valeurs républicaines, dont il était l’un des plus farouches défenseurs.



On aimerait que cet exemple soit médité par les chefs des Républicains, et que l’obsession présidentielle de 2017 ne soit pas le seul moteur de leurs surenchères belliqueuses. Certains, à l’image du président du Sénat Gérard Larcher, donnent le spectacle réconfortant d’une opposition républicaine et responsable. C’est le comportement d’un homme d’État, et non d’un candidat en campagne.



Il faut que chacun s’imprègne de ce modèle, car c’est ce qu’attendent les Français.

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