Juppé,
Hollande, Sarkozy... "Les discours les plus profonds, ceux qui feront date
parce qu’ils disent quelque chose d’essentiel de l’époque, sont tous des
discours de renoncement"
Raphaël Glucksmann
"Contre l'ennemi, nous habitions
et nous défendions
un édifice de concorde républicaine,
ébranlé trop tôt par des mains imprudentes, il va crouler.
Par
quelle porte en sortirons-nous ?
Par la porte du passé ou par la porte de l'avenir ?"
Jean Jaures
Ceci n’est pas une élection, c’est un long enterrement. La
campagne actuelle semble frappée d’une étrange malédiction : les discours les
plus profonds, ceux qui marquent et feront date parce qu’ils disent quelque
chose d’essentiel de l’époque, sont tous des discours de renoncement. Des
abdications. Des oraisons funèbres. Voilà le signe d’une crise politique
majeure dont nous n’avons pas encore tous cerné l’ampleur.
En quelques
minutes lundi dernier, Alain Juppé a trouvé les mots et le ton qu’aucun candidat déclaré
n’a su trouver. A commencer par lui-même lorsqu’il était encore en lice et
qu’il nous paraissait emprunté, fade et gestionnaire. Comme si nos dirigeants
politiques, fondamentalement déphasés, ne pouvaient être à la hauteur des
enjeux du temps qu’en quittant l’arène. Comme s’ils étaient condamnés à ne
pouvoir être vraiment, pleinement, ce qu’ils sont censés être qu’en acceptant
de disparaître. De ne plus être. Comme si la mort seule pouvait les rendre
authentiques, sincères, désirables. Vivants.
Nous
assistons bien à une forme d’apocalypse. Le
monde qui nous a vus naître et dans lequel nous avons grandi s’efface sous nos
yeux. Il peut le faire avec la dignité crépusculaire d’un Alain Juppé
prononçant lui-même l’irrémédiable sentence – "Pour moi, il est trop
tard" – ou avec l’entêtement pathétique d’un Fillon sacrifiant toute
décence sur l’autel de son ambition – "Je ne me
rendrai pas" –
mais il ne peut échapper à son destin, celui précisément de ne plus en avoir.
"Le
temps sort de ses gonds"
Notre classe
politique, ses partis comme ses leaders, ses vieilles structures comme ses
anciens clivages, et notre chère Ve République avec elle, sa verticalité
surannée comme ses modes de scrutin peu représentatifs sont en réalité déjà morts. Nos institutions ne parlent
plus la langue de l’époque depuis longtemps et les locataires successifs de
l’Elysée en sont réduits à présider au délitement du lien civique. Qu’ils
s’agitent comme des poulets sans tête (2007- 2012) ou restent prostrés
(2012-2017), nos présidents manifestent une impuissance similaire.
Structurelle.
A peine élus, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy,
puis François Hollande ont été honnis, haïs, bannis. Leur échec
fut acté dans l’année même de leur triomphe. "Au nom du ciel,
asseyons-nous à terre et disons la triste histoire de la mort des rois" ("Richard
II") : notre vie politique ressemble de plus en plus au cycle des
tragédies royales de Shakespeare. Chaque épilogue y voit l’arrivée d’un nouveau
souverain unanimement célébré qui devient automatiquement, dès le prologue de
la pièce suivante, le tyran à abattre. A peine sacré, le roi doit être déchu.
Depuis 1995, le retournement de l’opinion a été à
chaque fois plus rapide, plus violent. Jusqu’à devenir proactif en 2017, année
folle qui marque le passage à la désillusion par anticipation. Aujourd’hui,
chaque favori "déçoit" avant même le vote et se voit
"dégagé" a priori. La guillotine précède désormais le couronnement.
Et nous entrons dans la phase hamlétienne de la démocratie française, lorsque
la structure narrative (le cycle électoral) explose, lorsque "le temps
sort de ses gonds" "Time is out of joint" et
le monde devient fou. Lorsque le sacre semble impossible tant "il
y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark" ("Hamlet").
Une
nouvelle République
Alors oui,
les candidats de cette année peuvent paraître médiocres, mais il ne s’agit pas
d’une simple question de personnes. Ni même d’un problème de structures
politiques. L’époque des petits pas est révolue. Les primaires n’ont pas réussi
à sauver les vieux partis de gouvernement. Au contraire, en éliminant Juppé au
profit de Fillon, elles semblent même avoir accéléré leur chute programmée. Et l’émergence d’Emmanuel Macron et d’En Marche ! Ou les succès de la France insoumise n’ont pas chassé l’impression
généralisée de déliquescence.
Car la crise que nous traversons est structurelle. Et deux voies
seulement s’ouvrent à nous, deux voies qui sont l’une comme l’autre des
changements de paradigme, des révolutions : le triomphe de l’autoritarisme ou
un nouveau contrat social et civique qui implique le changement non seulement
des leaders et des partis, mais du cadre lui-même dans lequel ces leaders et
ces partis s’affrontent et se succèdent aux responsabilités. La version
française du trumpisme et du poutinisme ou le renouvellement en profondeur de
notre démocratie.
Oui, on sortira de cette torpeur qui, pour un tel peuple,
Alors l'heure suprême sonnera.
Oui, on se
réveillera !
Oui, on sortira de cette torpeur qui, pour un tel peuple,
est la honte; et
quand la France sera réveillée,
quand elle ouvrira
les yeux, quand elle distinguera,
quand elle verra ce
qu'elle a devant elle et à côté d'elle,
elle reculera, cette France, avec
un frémissement terrible,
devant ce monstrueux
forfait qui a osé l'épouser
dans les ténèbres et dont elle a partagé le lit.
Alors l'heure suprême sonnera.
Victor Hugo
En bref : La débâcle de l’idée républicaine ou une
nouvelle République. New deal or
not new deal ? That is the question.
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