dimanche 12 mars 2017

New deal or not new deal ? That is the question.

Juppé, Hollande, Sarkozy... "Les discours les plus profonds, ceux qui feront date parce qu’ils disent quelque chose d’essentiel de l’époque, sont tous des discours de renoncement"
Raphaël Glucksmann

"Contre l'ennemi, nous habitions et nous défendions 
un édifice de concorde républicaine,
ébranlé trop tôt par des mains imprudentes, il va crouler. 
Par quelle porte en sortirons-nous ?
Par la porte du passé ou par la porte de l'avenir ?"
Jean Jaures

Ceci n’est pas une élection, c’est un long enterrement. La campagne actuelle semble frappée d’une étrange malédiction : les discours les plus profonds, ceux qui marquent et feront date parce qu’ils disent quelque chose d’essentiel de l’époque, sont tous des discours de renoncement. Des abdications. Des oraisons funèbres. Voilà le signe d’une crise politique majeure dont nous n’avons pas encore tous cerné l’ampleur.
En quelques minutes lundi dernier, Alain Juppé a trouvé les mots et le ton qu’aucun candidat déclaré n’a su trouver. A commencer par lui-même lorsqu’il était encore en lice et qu’il nous paraissait emprunté, fade et gestionnaire. Comme si nos dirigeants politiques, fondamentalement déphasés, ne pouvaient être à la hauteur des enjeux du temps qu’en quittant l’arène. Comme s’ils étaient condamnés à ne pouvoir être vraiment, pleinement, ce qu’ils sont censés être qu’en acceptant de disparaître. De ne plus être. Comme si la mort seule pouvait les rendre authentiques, sincères, désirables. Vivants.
Nous assistons bien à une forme d’apocalypse. Le monde qui nous a vus naître et dans lequel nous avons grandi s’efface sous nos yeux. Il peut le faire avec la dignité crépusculaire d’un Alain Juppé prononçant lui-même l’irrémédiable sentence – "Pour moi, il est trop tard" – ou avec l’entêtement pathétique d’un Fillon sacrifiant toute décence sur l’autel de son ambition – "Je ne me rendrai pas" – mais il ne peut échapper à son destin, celui précisément de ne plus en avoir.

"Le temps sort de ses gonds"

Notre classe politique, ses partis comme ses leaders, ses vieilles structures comme ses anciens clivages, et notre chère Ve République avec elle, sa verticalité surannée comme ses modes de scrutin peu représentatifs sont en réalité déjà morts. Nos institutions ne parlent plus la langue de l’époque depuis longtemps et les locataires successifs de l’Elysée en sont réduits à présider au délitement du lien civique. Qu’ils s’agitent comme des poulets sans tête (2007- 2012) ou restent prostrés (2012-2017), nos présidents manifestent une impuissance similaire. Structurelle.
A peine élus, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, puis François Hollande ont été honnis, haïs, bannis. Leur échec fut acté dans l’année même de leur triomphe. "Au nom du ciel, asseyons-nous à terre et disons la triste histoire de la mort des rois" ("Richard II") : notre vie politique ressemble de plus en plus au cycle des tragédies royales de Shakespeare. Chaque épilogue y voit l’arrivée d’un nouveau souverain unanimement célébré qui devient automatiquement, dès le prologue de la pièce suivante, le tyran à abattre. A peine sacré, le roi doit être déchu.
Depuis 1995, le retournement de l’opinion a été à chaque fois plus rapide, plus violent. Jusqu’à devenir proactif en 2017, année folle qui marque le passage à la désillusion par anticipation. Aujourd’hui, chaque favori "déçoit" avant même le vote et se voit "dégagé" a priori. La guillotine précède désormais le couronnement. Et nous entrons dans la phase hamlétienne de la démocratie française, lorsque la structure narrative (le cycle électoral) explose, lorsque "le temps sort de ses gonds" "Time is out of joint" et le monde devient fou. Lorsque le sacre semble impossible tant "il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark" ("Hamlet").

Une nouvelle République

Alors oui, les candidats de cette année peuvent paraître médiocres, mais il ne s’agit pas d’une simple question de personnes. Ni même d’un problème de structures politiques. L’époque des petits pas est révolue. Les primaires n’ont pas réussi à sauver les vieux partis de gouvernement. Au contraire, en éliminant Juppé au profit de Fillon, elles semblent même avoir accéléré leur chute programmée. Et l’émergence d’Emmanuel Macron et d’En Marche ! Ou les succès de la France insoumise n’ont pas chassé l’impression généralisée de déliquescence.

Car la crise que nous traversons est structurelle. Et deux voies seulement s’ouvrent à nous, deux voies qui sont l’une comme l’autre des changements de paradigme, des révolutions : le triomphe de l’autoritarisme ou un nouveau contrat social et civique qui implique le changement non seulement des leaders et des partis, mais du cadre lui-même dans lequel ces leaders et ces partis s’affrontent et se succèdent aux responsabilités. La version française du trumpisme et du poutinisme ou le renouvellement en profondeur de notre démocratie.
Oui, on se réveillera !

Oui, on sortira de cette torpeur qui, pour un tel peuple,

est la honte; et quand la France sera réveillée,

quand elle ouvrira les yeux, quand elle distinguera,

quand elle verra ce qu'elle a devant elle et à côté d'elle, 

elle reculera, cette France, avec un frémissement terrible,

devant ce monstrueux forfait qui a osé l'épouser 

dans les ténèbres et dont elle a partagé le lit.

Alors l'heure suprême sonnera.

Victor Hugo
En bref : La débâcle de l’idée républicaine ou une nouvelle République. New deal or not new deal ? That is the question.



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