vendredi 8 avril 2022

Le bal des lepénotrotskistes (farce) Par Jacques-Alain Miller Psychanalyste



François Fillon avait durant toute la campagne mis en avant son âge et son expérience pour se comparer avantageusement à son rival plus jeune et moins capé. Il n’a pas insisté. Dimanche soir, comme Benoît Hamon, il appela sans faire d’histoire à voter contre Marine Le Pen et pour Emmanuel Macron.

Une ribambelle de gens de droite le suivirent ou le précédèrent. Jean-Pierre Raffarin comme illuminé par le sentiment national dont il se faisait le porte-parole. Les gens de gauche ne firent aucune difficulté à se rallier.

Un seul fit exception. Un seul se nia à entrer dans le front républicain spontané qui se formait sous nos yeux pour faire barrage, selon le terme consacré, au FN et à sa cheffe. Son nom ?

Jean-Luc Mélenchon.

Certains de ses partisans, tout en reprenant les articulations de son raisonnement (à savoir : c’est la faute à la droite et au PS si MLP est au second tour ; nous n’avons rien à faire avec personne de cette droite ni avec personne de ce PS), certains mélenchoniens ont déclaré avoir décidé à titre personnel de voter Macron. C’est le cas en particulier de Gérard Miller, et je m’en réjouis, «à titre personnel» également. Mais tout laisse à penser que les Gérard Miller seront une minorité. La France insoumise dans sa masse votera blanc ou ne votera pas.

À l’exception notable, cependant, du Parti communiste. Celui-ci en effet, par une Déclaration datée du 23 avril, appelle à «barrer la route de la Présidence de la République à Marine Le Pen, à son clan et à la menace que constitue le Front national pour la démocratie, la République et la paix (…)» Ce sont ces mots que M. Mélenchon n’a pas réussi à s’arracher dimanche soir ni toute la journée du lendemain, ni le surlendemain.

Apostrophons le Parti. «Quousque tandem, vous, les communistes, héritiers d’une grande histoire, combien de temps, toi, Pierre Laurent, fils de ton père, combien de temps, vous, les cocos, les cocus, continuerez-vous de soutenir cet homme et ses amis qui vous bernent et vous roulent dans la farine et veulent vous entraîner avec eux dans leur impasse définitive ?»


J’en reviens à M. Mélenchon. Le grand babu M. Mélenchon, nouvelle Emma Bovary, rêve qu’il est Peron, qu’il est Chavez. Entre parenthèses, tous les deux étaient antisémites.                              

Peron fit de l’Argentine le havre de la SS en fuite. C’est à Buenos Aires que vivotait Eichmann lorsque le Mossad l’enleva pour le livrer à la justice de l’Etat juif.      Quant à Chavez, j’ai vu et entendu, de mes yeux vu, de mes oreilles entendu, sur YouTube, un discours de lui mettant Israël et les Israéliens au ban de l’humanité avec des accents dignes, non de Hitler, trop avisé pour traiter en public le thème de l’extermination, mais de Charlie Chaplin imitant Hitler.

Toujours est-il que M. Mélenchon et ses amis s’imaginent qu’ils sont désormais en position d’être le Surmoi de toute la gauche. Voyez comme ils paradent ces jours-ci en gonflant leurs biscotos. Je les imagine chanter pendant qu’ils descendent sur le pavé comme la Jeune Garde du temps jadis : «Nous les purs et durs. Nous les insoumis, nous les incorruptibles, nous les invincibles. Nous, capables d’envoyer les communistes au tapis et de les faire passer sous nos fourches caudines. Nous, les amis du peuple, nous le peuple lui-même

On est ici place de la Bastille où stationnent les 130 000 militants réunis par la Marche pour la VIe République, mais on pourrait être aussi bien dans le salon des femmes savantes de Molière : «Nul n’aura de l’esprit hors nous et nos amis.» Et les autres ? Et nous ? Nous qui nous disons modestement de gauche sans avoir le label «j», l’appellation contrôlée de la France insoumise ? Eh bien, nous, nous sommes les soumis. Nous sommes les faibles, les dupes, les dévoyés, les indignes, les vendus, les embourgeoisés, les bourgeois. Haro sur nous ! Là, on se croirait dans l’immortel feuilleton radiophonique de Francis Blanche, Signé Furax, quand on chante : «Tout le monde y pue / Y sent la charogne/ Yaqu’le Grand Babu / Qui sent l’eau de Cologne.»

Le Grand Babu, dans toute cette affaire, à votre avis c’est qui ?

Le Surmoi de la gauche, sa «conscience morale» ou sa conscience politique, ce serait vous, les gars et les garces de la France insoumise ? Vous n’êtes rien de tel. Vous êtes même le contraire. En refusant dimanche soir de répudier sans phrase Le Pen et ses faux-semblants comme on répudie à son baptême Satan et ses pompes, vous êtes tous, tous autant que vous êtes, devenus des damnés.

Non pas «les damnés de la terre» du regretté Frantz Fanon. Les damnés de la gauche.

Aux dernières nouvelles, la France insoumise est devenue assez sûre d’elle-même, assez impudente, pour répandre l’équation «EM = MLP» (je m’appuie ici sur le témoignage spontané de Vanessa Sudreau, de Toulouse, voir le numéro 671 de Lacan Quotidien paru il y a deux jours).

C’est trop fort ! Cette France insoumise se croit tout permis. Elle ne tient plus en place. Elle se rend vraiment incommode. Elle a la rage. Elle va finir par booster la campagne de Marine et par mettre en danger la victoire de Macron.


 Le Lepénotrotskisme, une farce

Sans doute comprenez-vous mieux maintenant à quel spectacle la France, insoumis et soumis confondus, vont assisté en direct dimanche à la télévision. Visiblement sans le savoir, les protagonistes du 20 heures rejouèrent le soir du 23 avril 2017 la séquence politique qui précéda et suivit le Débarquement du 6 juin 1944.

Les circonstances, les noms, les êtres ont changé, mais la structure, les places, sont les mêmes. Là où c’était Lambert, c’est aujourd’hui Mélenchon. Là où c’était le Parti communiste internationaliste, c’est la France insoumise. Là où c’était les nazis, c’est le RN.

On se souvient de la phrase de Marx au début de son merveilleux petit livre, Le Dix-huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte : «Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce.»

Farce en effet que Mélenchon en tribun et mandataire du peuple, jouant simultanément les notaires scrupuleux ne pouvant déborder sous aucun prétexte du «mandat reçu.» Tour de force de l’art théâtral. Cela mériterait un César. .../...

Farce aussi que cette fille hommasse, fameuse parricide politique, jouant les pasionarias, non pas dans le style magnifique de Dolores Ibarruri, mais en reprenant le rôle de Jefa Espiritual de la Nacion – Cheffe Spirituelle de la Nation – jadis illustré par Eva Peron, elle mince et séduisante danseuse des bordels les plus chauds du Rio de la Plata.

Et farce enfin, farce énorme, farce burlesque, que Mélenchon «vêtu de probité candide et de lin blanc» expliquant la bouche pleine de mots qu’il n’avait pas à se prononcer sur le choix à faire au second tour de l’élection présidentielle. Voter blanc ? S’abstenir ? Voter Macron ? Voter Le Pen ? Non, non, non, il ne pouvait rien dire, rien de rien, il n’avait pas mandat pour cela. Le mandat, la plate-forme ; la plate-forme, le mandat. Il n’y avait pas à sortir de là.

Voilà l’homme qui se moquait naguère des «pudeurs de gazelle» de ses rivaux. Qui est donc cette gazelle aux pudeurs, cette gazelle aux chaleurs ? Cette gazelle, c’est lui, bien entendu.

Bref, on retiendra qu’une espèce nouvelle de myrmidons est née dimanche soir sous nos yeux : les lepénotrotskistes. .../...

Nous  les avons vus à l’œuvre durant cette campagne. Ce n’est pas une force négligeable. Il s’agit de militants hyperactifs comme les fourmis du mythe, adorant leur chef et d’une loyauté à toute épreuve, ce qui serait tout à leur honneur si seulement ce chef en avait, de l’honneur.

Macron, parlons-en. Car il n’y avait pas que Mélenchon pour s’être présenté à la télévision «vêtu de probité candide et de lin blanc», il y avait Macron.

Macron est lui aussi un personnage farcesque. Il est l’homme qui étend sa «bienveillance» à tous. Ainsi remercie-t-il tous ses rivaux un par un, les appelant par leur nom, et on sent bien que s’il connaissait leur petit nom, c’est celui-là qu’il utiliserait. Si on lui fait crédit, on dira qu’il pense sans doute vaincre MLP par la bienveillance, l’amour, le désarmement unilatéral. Marine est son prochain, il l’aimera comme lui-même. Et il ne semble pas s’aimer peu.

Cher Emmanuel Macron Par beaucoup de côtés, vous ne m’êtes pas antipathique. Bien qu’ayant beaucoup écrit durant cette campagne, bien que m’étant beaucoup moqué, j’ai constaté il y a quelques jours que vous aviez peu excité ma verve. J’en déduis que je dois vous apprécier plus loin que je ne sais. Est-ce votre beauté physique ? Est-ce le couple non conformiste que vous formez avec votre épouse Brigitte ? Est-ce la rumeur insistante qui fait de vous un bi ? Est-ce la bisexualité que vous touchez en moi comme chez beaucoup ? Peut-être. Je n’en suis pas sûr.

Ce dont en revanche je ne doute pas, c’est que vous soyez soutenu par ce «monde de la finance» que M. Hollande nous jurait de mettre au pas. Le truc de Hollande puait le truc, le toc, le mensonge. Pas d’histoire : n’ont été trompés que ceux qui voulaient l’être. Pour être cocu, il faut le vouloir. Ce n’est pas seulement la leçon de Freud, c’est celle de Molière, qui fait dire à son héros  : «Vous l’avez voulu ! Vous l’avez voulu, George Dandin ! Vous l’avez voulu ! Cela vous sied si bien et vous voilà ajusté comme il faut : vous avez justement ce que vous méritez…» «Taxe à 75 %», disait Hollande. «Révolution citoyenne», dit Mélenchon. Autant d’attrape-nigauds, autant de «hochets», avouait Bonaparte devenu Napoléon. Les Français veulent depuis toujours être cocufiés par leurs dirigeants. Ils les croient, déchantent, pleurnichent et râlent. De temps en temps, ils cassent tout.

Au moins, Emmanuel, on ne pourra vous reprocher de décevoir après votre élection car vous décevez déjà avant. Vous ne promettez rien, et surtout pas la lune, ni de la sueur et des larmes. 

La bienveillance ! Si vous aviez lu Jonathan Littell, vous sauriez, élève Macron, que, je cite Wikipédia, «le titre Les Bienveillantes renvoie à l’Orestie d’Eschyle dans laquelle les Érinyes, déesses vengeresses qui persécutaient les hommes coupables de parricide, se transforment finalement en Euménides apaisées.» Ça ne vous dit rien ? La France apaisée de Marine-la-parricide ? Vous ne voyez pas d’où ça sort ? Vous n’avez pas compris que si Marine joue les Euménides, c’est parce que toutes les nuits elle est tirée par les pieds et torturée par les Erinyes qui lui reprochent d’avoir sacrifié son père adoré à ses ambitions, à son goût immodéré du pouvoir ?

Se sachant traîtresse, elle est habitée par un profond sentiment de culpabilité qui la fragilise. Il faut la mettre sur le grill là-dessus, Macron, là-dessus. Et sur le fait qu’une fille ayant trahi son père ne saurait prétendre à gouverner un pays qui se distinguait entre tous sous la Monarchie d’exclure les femmes de la succession au trône (la loi salique). Alors, une femme président, oui, pourquoi pas, c’est l’époque qui veut ça. Mais surtout, surtout, pas une femme parricide. Ça ne pourrait que porter la poisse au beau Royaume de France – qu’on appelle République française pour faire croire qu’y règne l’égalité réelle des conditions (Tocqueville).

 Le candidat du fric quand je vois des gens de gauche tomber dans les pommes sous prétexte que la planète financière vote Macron, cela m’amuse. Qui en France a jamais été élu président de la Ve République contre le grand capital ? Qui ?

Êtes-vous ou n’êtes-vous pas le candidat que les milieux financiers se sont choisi, comme le déclarait dimanche soir le Parti communiste ? Tout indique que vous l’êtes. François Bayrou première époque ne disait pas autre chose avant de vous rejoindre.

Je suis d’accord et avec lui et avec le Parti, à ceci près que je suis persuadé que l’initiative vient de vous et non de je ne sais quels Treize (référence balzacienne) supposés savoir manipuler le monde comme Pierre Lambert jadis manipulait sa marionnette Jospin et sa marionnette Mélenchon pour qu’elles avancent ses affaires dans le Parti socialiste. Je dirai plus : celui qui croit que cela est concevable est tout sauf un marxiste. Président par un coup de main, président par un coup d’État, je ne dis pas. Mais président par les urnes ? Ce serait du jamais-vu. C’est d’ailleurs pourquoi le projet de «Révolution citoyenne» du sieur Mélenchon ne tient pas la route une seconde.

Emmanuel Macron, vous êtes condamné à être le candidat du fric. Vous avez voulu être candidat, vous l’avez été, vous avez réussi votre pari, vous êtes maintenant au second tour, votre réélection, le fric mise sur vous. C’est un fait, que cela vous plaise ou non.

À vrai dire, vous donnez plutôt l’impression que cela ne vous déplaît pas. 

Le fric choisit qui il veut, comme l’esprit souffle où il veut. Le fric choisit en fonction de ses intérêts de fric. En 1940, le fric était contre de Gaulle. En 1958, le fric était pour de Gaulle. De Gaulle, quant à lui, ne s’est jamais réduit à n’être que l’instrument du fric. Et puis, le fric s’est détourné de De Gaulle quand celui-ci s’est dit que, vu Mai 68, il serait bon pour le pays de réformer un petit peu l’entreprise au profit des «classes laborieuses» en introduisant sa rêveuse «participation». Alors le fondé de pouvoir de la finance tourna lentement son pouce vers le sol, et cria : «Tchao, De Gaulle !»

Je dis «lentement», mais en fait le «dégagisme» fut rapidissimo.

La force va à la force. Soyez fort face au RN. Ne cédez rien. Surtout pas de bienveillance. Pas de nuances. Pas de compréhension. Je ne parle pas des électeurs du RN, qui sont nos frères humains, mais de sa clique dirigeante, qui est la lie de la terre ou plutôt l’ennemie du genre humain. C’est elle qu’il convient de casser, de pulvériser «façon puzzle», comme on dit dans «Les Tontons flingueurs». Sa cheffe, il faut l’affronter et la vaincre, non pas la dorloter pour la consoler d’être moche quand vous êtes beau.

Ce n’est pas joué d’avance. Elle est Goliath, vous êtes David. Ajustez votre fronde et comptez sur le Dieu d’Israël, si je puis dire. Tout en sachant que bon nombre de juifs votent Le Pen. Je songe au livre demeuré célèbre de Curzio Malaparte, que j’ai beaucoup pratiqué, Technique du coup d’état. Vous, Emmanuel Macron, quand vous aurez gagné la finale, vous serez reconnu comme un grand maître de la prise du pouvoir en régime démocratique. Mais vous n’y êtes pas encore. C’était un peu tôt pour festoyer dimanche soir à la Rotonde. Au moins Nicolas Sarkozy avait-il attendu d’être élu avant de gobichonner au Fouquet’s.

Je crains surtout que cela ne soit le signe que vous inclinez à vendre prématurément la fameuse peau de l’ourse (je dis : ourse). Et les femelles de l’espèce ont la réputation d’être plus redoutables que les mâles. 

Cognez Marine Le Pen. Cognez aussi son clan. Dites bien qu’il est composé d’admirateurs de Hitler. Ne négligez pas de cogner le lepénotrotskisme qui s’étend tous les jours davantage dans la jeunesse comme une maladie infectieuse. 

Conformément à la malédiction destinale qui le voue à répéter indéfiniment la faute de son maître, l’hitlérien Lambert, Mélenchon est obligé de rechercher tous les moyens propres à désarmer la jeunesse. Lui et ceux qui le suivent ne savent plus quoi inventer pour ligoter les jeunes et les détourner de résister et de combattre. «Ils se valent !» disait Lambert, quand Résistants et Alliés étaient aux prises avec les troupes d’occupation. «Ils se valent !» répète Mélenchon en vous pointant du doigt, vous et Marine Le Pen, alors que vous allez vous affronter tous les deux dans un combat à mort (électoral s’entend)

Quoiqu’il en soit, cher Emmanuel Macron, quel que soit le cas que vous ferez de mes conseils, je voterai MACRON, parce que c’est tout ce que nous avons entre les mains, un bulletin de vote à votre nom. Le pouvoir est au bout du fusil, certes, mais prendre en main un fusil aujourd’hui, ce serait incongru, fou, hautement condamnable.

Je ferai campagne pour que la jeunesse vote MACRON.

Je cognerai MLP même si vous vous refusez à le faire.

Je cognerai aussi JLM. En effet, à mon avis, éradiquer le mélenchonisme sous toutes ses formes est la condition sine qua non de la renaissance d’une gauche qui en soit une.


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