dimanche 3 avril 2022

« Nos vies valent plus que leurs profits » à la Défense, Macron a fait du pied à la gauche

  • Ce samedi, devant 30.000 spectateurs à La Défense Arena, à Nanterre, le président-candidat a multiplié les clins d’œil à l’électorat social-démocrate et s’est posé en rempart contre les extrêmes.

Par Alexandre Le Drollec et Maël Thierry 


Les macronistes avaient promis un show spectaculaire et, sur ce point, la promesse a été partiellement tenue. Jeux de lumière, un set DJ en ouverture, une flopée d’écrans géants, des drapeaux français et européens, et une entrée de rock star devant 30.000 personnes (et quelques rangées de sièges vides) : pour son seul et unique meeting d’avant premier tour, Emmanuel Macron, seul en scène durant plus de deux heures, a vu les choses en grand et n’a pas franchement fait dans la sobriété. De sobriété – celle-là même qui était réclamée par le camp Macron il y a encore quelques jours aux vues de l’évolution de la guerre en Ukraine - il n’était plus du tout question à La Défense Arena de Nanterre, la plus grande salle indoor d’Europe. Alors que la campagne entre dans sa dernière ligne droite, le candidat a voulu marquer les esprits en faisant passer deux messages : parler à sa gauche et se poser en rempart contre les extrêmes.

Aux électeurs de gauche, d’abord, il a multiplié les mots doux :                « Solidarité »« Humanisme »« Progrès » 

  « Corriger les inégalités à la racine ».

 « La France est une nation solidaire, humaine, 

qui ne laisse personne au bord du chemin »

, a-t-il notamment lancé. Des accents très différents de ceux de la conférence de presse de son programme. Evoquant les salaires qui partent dans les factures ou les pleins d’essence, les mères obligées de renoncer à une carrière complète, il a répété « c’est injuste ». Avec la volonté manifeste de répondre au sentiment d’injustice qui traverse le pays et sert, selon les macronistes, de carburant aux extrêmes.

Alors que certains ténors de la majorité présidentielle observent, perplexes, la dynamique qui s’enclenche dans le camp de Marine Le Pen, Emmanuel Macron a aussi voulu préparer le second tour : il espère pouvoir non seulement compter sur l’électorat social-démocrate qui, en 2017, a essentiellement voté pour lui mais au-delà, en parlant aux autres électeurs de gauche. A Nanterre, le Macron version 2022 a donc pris grand soin de valoriser son bilan social et sociétal : dédoublement des classes de CP et CE1 en zone d’éducation prioritaire, congé paternité allongé à 28 jours, Pass culture, PMA pour toutes. « C’était notre projet. C’est maintenant notre bilan. Nous l’avons fait ». Il a aussi beaucoup insisté sur ses promesses sociales pour un prochain quinquennat : minimum retraites de 1200 euros, recrutement de 50.000 aides-soignants et infirmiers, mise en place d’un compte épargne temps universel, réévaluation de l’allocation pour les mères seules, versement des aides sociales à la source.

A l’heure de faire le SAV de « la » mesure qui hérisse la gauche, à savoir la réforme du RSA et son conditionnement à une activité : Emmanuel Macron a gommé de son discours le terme « contrepartie » et lui a préféré celui d’«accompagnement ». Égalité homme femme, protection de l’enfance, éducation, santé : Macron a également mis essentiellement l’accent sur ces grandes causes qui, traditionnellement, trouvent écho dans l’électorat de gauche. Exhumant par ailleurs à plusieurs reprises le mantra mitterrandien de 1988 « la France Unie ». A l’évocation du scandale secouant les EHPAD, celui qui fut taxé de « président des riches » est même allé jusqu’à emprunter une citation d’Olivier Besancenot : « Nos vies, leurs vies valent plus que tous leurs profits ». L’effet fut immédiat : Philippe Poutou s’est dit victime d’une forme de pillage. « Macron nous vole nos slogans, a aussitôt tweeté le candidat NPA. Décidément, ces gens osent tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît » .

Sécurité, lutte contre les déficits, immigration… Les marqueurs de droite, eux, ont été du coup rapidement balayés : « J’assume de vous dire qu’il faudra travailler plus » et « passer l’âge de notre retraite à 65 ans », a tout même glissé le candidat, justifiant cette mesure qu’il sait peu populaire par la nécessité de financer toutes les autres. « Il n’y a pas d’argent magique », a-t-il dit, promettant de baisser les impôts et de ne pas creuser plus la dette. « Nous rembourserons en travaillant davantage. Il n’y a pas d’Etat Providence s’il n’y a pas d’Etat productif fort ». Il a aussi, sans les citer, évoquer Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon : « Ne croyez pas ceux qui vous disent la retraite à 60 ans ou 62 ans - d’ailleurs ce n’est plus tellement clair, ce n ’est pas vrai ».

A une semaine du premier tour, Emmanuel Macron a voulu faire passer un autre message en se posant comme rempart aux extrêmes. S’il a évoqué sans la nommer la France Insoumise coupable à ses yeux de complaisance avec « le communautarisme », c’est surtout à l’extrême-droite qu’il s’est attaqué, dénonçant « le grand rabougrissement » et réactivant le clivage déjà brandi en 2017 : à lui la France ouverte et tournée vers l’avenir, à eux le repli. Avec une différence selon lui : une banalisation. « Nous nous sommes habitués à voir sur les plateaux télés des auteurs racistes, antisémites »... Des élus qui « peuvent le matin dire qu’ils vont sortir de l’Euro et revenir dans l’Europe le soir »« Non au politiquement correct et non au politiquement abject », a-t-il lancé dans une formule très « en même temps ». Le candidat s’est aussi voulu lyrique en parlant de sa France et de ses héros - de Simone Veil au colonel Beltrame en passant par Joséphine Baker ou Daniel Cordier. « La France, au fond, ce sont des moments de bravoure et quelques mots d’amour ». Ou encore :

« La France est un bloc. On ne trie pas, on ne choisit pas. On la prend comme elle est et on l’aime toute entière ».

Des mots doux, il en a eu beaucoup pour l’aréopage hétéroclite réuni pour ce meeting. A une semaine du premier tour, personne ne manquait à l’appel. Tout le ban et l’arrière-ban de la Macronie était présent : Jean Castex et son prédécesseur Edouard Philippe, le discret Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée. Dans les travées, on croisait aussi d’anciens chefs du gouvernement (Manuel Valls, Jean-Pierre Raffarin), l’ex-EELV Barbara Pompili claquant une bise au chiraquien Renaud Muselier, l’ex-LR Eric Woerth et l’ex-PS Elisabeth Guigou côte à côte et même l’animateur Bernard Montiel. Un grand dépassement qu’Emmanuel Macron entend bien continuer s’il est réélu : 

« J’appelle tous ceux, de la sociale démocratie au gaullisme en passant par les écologistes qui ne nous ont pas encore rejoint, à le faire ».

 Ou comment appeler tout l’arc républicain à se ranger derrière lui contre les extrêmes.

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