vendredi 18 octobre 2013

Karachi : les silences et blocages de la gauche


À la suite d'une vraie-fausse déclassification de documents “confidentiel défense” par le ministère de l'intérieur, des parties civiles ont écrit à Manuel Valls pour s'insurger. L'audition de l'ancien ministre de la défense socialiste, Alain Richard, qui reconnaît dans un documentaire avoir étouffé judiciairement les soupçons de corruption, est réclamée.




La gauche n’a pas tenu parole. Plusieurs parties civiles de l’affaire Karachi ont écrit, le 4 octobre, à Manuel Valls pour manifester leur « incompréhension » suite à la non-déclassification de plusieurs documents essentiels du ministère de l’intérieur. Elles fustigent, sous la plume de leur avocate, Me Marie Dosé, « le peu de considération dont font preuve les autorités françaises pour aider à la manifestation de la vérité dans ce dossier ».
Durant la campagne présidentielle, le candidat François Hollande et son entourage avaient pourtant promis à plusieurs reprises, publiquement ou en privé, de déclassifier tous les documents confidentiels réclamés par la justice dans les deux volets de cette affaire, qu’il s’agisse de la corruption sur les ventes d’armes sous le gouvernement Balladur (1993-1995) ou des causes de l’attentat de Karachi, commis le 8 mai 2002.
Dans le monde du renseignement, certains imputent l’attentat aux services secrets pakistanais sur fond de corruption internationale. La justice, qui ne détient à ce jour aucune preuve d’un lien entre les volets financier et terroriste du dossier, n’exclut aucune hypothèse. 

Mais une fois au pouvoir, la gauche a laissé derrière elle ses promesses. Le 2 juillet dernier, le ministère de l’intérieur a en effet transmis au juge anti-terroriste Marc Trévidic une seule note des services de renseignements sur un homme clé du dossier, le cheik Ali Ben Moussalem, à la fois intermédiaire financier dans les ventes d’armes du gouvernement Balladur et financier secret d’Al-Qaida. L’homme d’origine saoudienne, mort en Suisse en juin 2004, était réputé être le chef de deux intermédiaires mis en examen dans le volet financier du dossier, Ziad Takieddine et Abdulrahman el-Assir.
Seulement voilà : sur les neuf pages de la note de juin 2004 déclassifiée, quatre sont totalement recouvertes de noir et les cinq autres sont une revue de presse. De quoi susciter l’exaspération des parties civiles.
Dans sa demande de déclassification, qui datait d’août 2012, le juge Trévidic réclamait pourtant à Manuel Valls la transmission de toutes les informations en possession des services de renseignements du ministère de l’intérieur sur « le rôle d’Ali Ben Moussalem dans les contrats Sawari II et Agosta (avec l’Arabie saoudite le Pakistan, ndlr), ses liens avec des organisations terroristes dont notamment et surtout Al-Qaida, son éventuelle mise à l’écart par le famille royale saoudienne, et son décès à Genève en 2004 ».

L'audition de l'ancien ministre Alain Richard réclamée

Mais le système de déclassification du secret défense est ainsi fait en France que le juge ne dispose d’aucun moyen légal pour s’assurer que les éléments qui ont été censurés par le ministère de l’intérieur – donc par le pouvoir exécutif – n’intéressent pas réellement son enquête.
« Cet unique document déclassifié n’est pas à même de participer à la manifestation de la vérité, s’alarme Me Dosé dans sa lettre au ministre de l’intérieur. La simple lecture de ce document très partiellement déclassifié établit que les services de renseignements ont nécessairement travaillé sur les activités d’Ali Ben Moussalem, dont ils savaient qu’il avait perçu des commissions exorbitantes sur des contrats d’armement français et qu’il apportait une assistance à Al-Qaida. »
La pauvreté des informations transmises par Manuel Valls au juge Trévidic est d’autant plus surprenante que la magistrat instructeur a récemment recueilli le témoignage d’un ancien informateur de la Direction de la surveillance du territoire (DST), Gérard Willing, un agent de renseignements privé proche du MI-6 britannique, qui a confirmé, sur procès-verbal, avoir transmis de nombreuses informations sur le cheik Moussalem qui ont fait l’objet « de plusieurs notes de contacts sur plusieurs mois ».  
« Il est établi que la DST a été destinataire d’informations concernant Ali Ben Moussalem (…) et a recueilli des renseignements durant des années sur le rôle de ce dernier, Monsieur el-Assir et de Monsieur Takieddine », s’étonnent les parties civiles. Elles réclament par conséquent des« investigations dignes de ce nom », mettant en cause la « frilosité » du gouvernement.De son côté, pour contourner les verrous français, le juge Trévidic a déjà envoyé plusieurs commissions rogatoires internationales, en Suisse et aux États-Unis, pour tenter d’obtenir là-bas les informations que le gouvernement ne daigne pas lui transmettre ici.
Reste que la frilosité socialiste dans ce dossier ne date pas d’hier. Comme Mediapart l’a déjà raconté, sous le gouvernement Jospin (1997-2002), Matignon et plusieurs ministères, à commencer par celui de la défense, avaient été informés des« malversations » opérées sur les contrats d’armements signés par le gouvernement Balladur. Mais la gauche n’avait rien fait, et surtout pas saisi la justice, malgré les informations explosives à sa disposition.
Dans un documentaire d’Arte et de Mediapart consacré à l’affaire, L’argent, le sang et la démocratie (visible ici), l’ancien ministre de la défense du gouvernement Jospin, Alain Richard, reconnaît, gêné, ne pas avoir voulu alerter la justice sur le système de détournement de commissions occultes mis en place par les balladuriens. Un silence qu’il justifie aujourd’hui, face caméra, par une crainte d’une montée du Front national – Jean-Marie Le Pen arriva néanmoins au second tour de la présidentielle en 2002 – et par le risque que la droite sorte à son tour des affaires embarrassantes pour la gauche...
Après la diffusion du documentaire mardi 15 octobre, l’avocat Me Olivier Morice, qui représente lui aussi plusieurs parties civiles du dossier, vient de réclamer l’audition d’Alain Richard devant le juge anti-corruption Renaud Van Ruymbeke, en charge du volet financier.

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