La Cinquième République finit en fait divers
La République est à l'agonie :
Prise en otage par un forcené qui piétine la justice,
Insulte la presse, méprise les élus et appelle au secours les
factieux. Après avoir détruit les partis, corrompu le Parlement,
Asséché le vote lui-même,
Elle arrive au terme de son œuvre de destruction démocratique.
Il est plus que temps d’en sortir.
Avant qu’il ne soit trop tard.
Régime du coup d’État permanent,
la Cinquième République aura donc fini par dévorer la politique elle-même. Ses
principes, ses valeurs, ses procédures, ses règles, ses partis, ses
institutions, ses usages, sa civilité, son sens commun en somme, tout ce qui
pouvait y préserver un semblant de culture démocratique partagée par la
majorité des partis et des citoyens. Sous nos yeux, la voici qui agonise en fait divers, prise en otage par un forcené qui
en saccage tous les symboles et en piétine tous les repères.
Tel un empereur
romain illuminé, entraînant son royaume dans sa perte en sacrifiant son peuple,
François Fillon, candidat désigné par la primaire de droite, met le feu à tout
ce qu’il devrait protéger s’il était devenu président de la République et, à ce
titre, gardien de la Constitution. Vouant aux gémonies la justice (« le
gouvernement des juges »), les médias (« un assassinat
politique ») et les élus (« on fera sans eux »), il rejette toute autre légitimité que celle
du pouvoir absolu et de l’impunité totale que lui conférerait une victoire à
l’élection présidentielle.
César a, dans un jour, ternit
toute sa gloire,
En dépouillant son front du
prix de la victoire
J’adorais dans César
l’intrépide Guerrier,
Mais des que la couronne a
flétri son laurier,
Un sentiment plus fort,
l’amour de la patrie
Mais bientôt fait rougir de
mon idolâtrie.
Je n’ai vu dans César qu’un
vil usurpateur,
Qu’un tyran couronné digne de
ma fureur.
Du sang des Malheureux, si la
terre est rougie
Il existe des rois, ce sang la
vous la crie
Voltaire
Plus de
séparation des pouvoirs, plus de justice impartiale, plus de presse
indépendante, plus de délibération collective, seulement le pouvoir personnel.
Qui plus est un pouvoir conquis
avec le renfort de la rue, François
Fillon n’ayant pas hésité, dans cette course à l’abîme, à provoquer une
manifestation potentiellement factieuse puisque s’en prenant au fonctionnement
démocratique lui-même – le travail de la justice, les enquêtes de la presse, le
respect des engagements.
L’homme
des messages moralistes sur l’éthique en politique, le
gaulliste brandissant la raideur intègre du Général face à ses adversaires, le
candidat jurant que le déshonneur d’une mise en examen le ferait
immanquablement renoncer dévoile soudain
une âme de putschiste, pactisant avec les forces les plus obscures et
régressives, jusqu’à compter dans ses soutiens une extrême droite identitaire
en croisade contre « l’oligarchie
cosmopolite ».
Sorte de Fort Chabrol du présidentialisme français, l’affaire
Fillon tient de ces faits divers dont le surgissement extraordinaire dévoile
l’ordinaire des dysfonctionnements de la société. Déréglant encore un peu plus
une campagne électorale où rien ne se passe comme prévu car, confusément mais
unanimement, le peuple souhaite que plus rien ne continue comme avant, elle met
à nu l’irresponsabilité foncière de la Cinquième République. Régime
d’exception, sans équivalent dans d’autres démocraties, réduisant la
souveraineté de tous au pouvoir d’un seul et la complexité démocratique au
simplisme autoritaire, elle arrive au terme de sa malfaisance destructrice.
Loin d’avoir préservé un État fort, elle n’a eu de cesse
d’affaiblir la République comme maison commune et de protéger la minorité qui
se l’est appropriée, professionnels
indéboulonnables et interchangeables d’une politique sans vertu. Car
qu’est-ce que l’affaire Fillon, entre emploi fictif et clientélisme affairiste,
sinon la révélation au grand jour de la corruption du parlementarisme lui-même,
à l’abri d’une opacité d’Ancien Régime ? Avatar du bonapartisme français,
ce présidentialisme archaïque a détruit de l’intérieur la politique elle-même
en tant que procédure collective, supposant la délibération et soumise à des
procédures, obligeant à rendre compte aux électeurs et à rendre des comptes aux
militants.
Dressée par son fondateur contre « le régime des partis »,
elle n’aura eu de cesse de les dévorer jusqu’à l’os comme le montre, par
l’absurde, cette campagne électorale irréelle et improbable qui tient plus de
la bataille d’égos que du débats d’idées. Emmanuel Macron comme Jean-Luc
Mélenchon se sont émancipés de toute procédure partisane, s’imposant dans un
dialogue direct avec leurs fidèles, n’étant redevables qu’à eux-mêmes et ne
supportant guère le questionnement de la presse. François Fillon ne semble plus
appartenir aux Républicains tant sa direction est impuissante face à sa folle
dérive. Quant à Benoît Hamon, il est en porte-à-faux avec son propre parti dont
la direction est tenue par ses adversaires socialistes. Sans compter Marine Le
Pen dont le Front national, loin d’un parti démocratique, est une firme
familiale et clanique.
La
Cinquième République aura réussi à assécher notre vitalité démocratique. Ce désert
d’où peut surgir la catastrophe, par retrait volontaire du plus grand nombre,
démobilisation et démoralisation, c’est évidemment l’abstention (à laquelle
s’ajoutent les non-inscrits) qui traverse toutes les catégories sociales et qui
n’a cessé de croître ces temps derniers. Si l’on s’en tient aux élections
législatives, entre 1990 et 2014 dans les pays de l’Union européenne, la France
est en tête pour le taux moyen d’abstention (40 %), loin devant le
groupe médian (Pays-Bas, Espagne, Allemagne). Elle est de plus le seul pays où
l’augmentation de la non-participation est linéaire, passant de 32,5 %
au deuxième tour de 1993 à 44,7 % à celui de 2012.
Il ne s’agit pas ici de sacraliser le vote ni d’idéaliser les
partis politiques, qui ne sauraient résumer la démocratie, son inachèvement
permanent et son invention nécessaire. Mais cette prudence ne peut masquer
l’évidence : notre République est aujourd’hui à l’agonie, frayant la route
des adversaires de ses idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité. Faute de
sursaut démocratique, faute de prise de conscience que, désormais, l’essentiel
est en jeu, faute de bonnes volontés pour en faire l’enjeu d’une union
populaire pour une nouvelle République, rendue à son exigence démocratique et
sociale, la voie sera libre pour un coup de force autoritaire, inégalitaire et
identitaire.
Tandis que
la présidence de Donald Trump aux États-Unis d’Amérique nous rappelle que les
démocraties sont fragiles, toujours au risque de régressions et de
destructions issues d’elles-mêmes, de leurs renoncements et de leurs
corruptions, il n’est pas inutile de rappeler cette étude américaine, issue d’une fondation, le Peterson
Institute, qui en 2014 soulignait que le vrai blocage français n’était ni
économique ni social mais démocratique : cette « camisole de force qu’est la
présidence » qui entrave
le pays, ce « président-monarque qui domine toute la politique française
avec un pouvoir considérable inconnu ailleurs en Europe », cet
étouffement de la diversité partisane et du pluralisme politique qui fait le
jeu de l’extrême droite.
Passé inaperçu, sauf sur
Mediapart, cet appel d’outre-Atlantique à une radicale réforme politique
proposait de supprimer trois articles de la Constitution, afin de réduire
l’omnipotence présidentielle : le pouvoir de nomination-révocation du
premier ministre (article 8), le pouvoir de dissolution de l’Assemblée
nationale (article 12), la qualité de chef des armées du président (article
15). Il est des projets évidemment plus ambitieux et plus novateurs, notamment
dans les programmes des trois candidats issus de la gauche (Hamon, Jadot et
Mélenchon, tous d’accord pour une refondation républicaine – et c’est une
première) comme dans les propositions de nombre de réseaux citoyens et
associatifs. Mais l’essentiel, puisque justement l’essentiel est en jeu, c’est
que toutes ces dynamiques convergent au lieu de se disperser et de se
concurrencer, au risque de l’affaiblissement et de la division, des rancœurs et
des désespoirs, de la défaite en somme.
La
Constitution de l’An I de la République française est sans doute la plus
radicalement démocratique d’inspiration. Énoncée en 1793, elle n’eut guère
le temps de vivre mais nous laisse, dans son préambule, une seconde Déclaration
des droits de l’homme aux audaces nombreuses. Dont celle-ci : « Un
peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer la
Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations
futures. » En 2018, la Cinquième République aura soixante
ans, et ce mois de mai 1968 où la jeunesse et les travailleurs du pays tout
entier, rassemblés autour des causes communes de la liberté et de l’égalité,
criaient « Dix ans, ça suffit ! », Fêtera son cinquantième
anniversaire.
Il est bien temps de mettre le calendrier à jour et de dérégler
les horloges. Avant qu’il ne soit trop tard.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire