La démocratie a un coût,
assumé par les contribuables français depuis la fin des
années 1980
La politique est l'art de
se servir des hommes en leur faisant croire qu'on les sert."
Voltaire
et la législation sur le
financement public des partis politiques et des campagnes électorales.
Nées, déjà, des révélations journalistiques sur les pratiques illégales des
partis, de droite comme de gauche, ces nouvelles dispositions permettent aux
formations politiques de bénéficier de sommes publiques qui ne sont aucunement
négligeables et qui sont complétées par des remboursements forfaitaires des
frais de campagnes électorales.
Ce financement public rend d'autant plus condamnables les
pratiques qui violent ou contournent la législation existante.
Plusieurs faits déjà révélés par les enquêtes de Mediapart ont démontré
l'existence de violations ou de contournements qui avaient échappé à la
vigilance des autorités. Il en fut ainsi de l'usage de l'évasion fiscale pour
des financements illicites, de l'existence de micro-partis au service presque
privé de personnalités politiques et, surtout, des conflits d'intérêts générés
par cette recherche d'argent parmi le personnel politique concerné.
L'existence de ces
manquements et de ces déloyautés prouve que la transparence sur les liens entre
l'argent et la politique est encore insuffisante et que le contrôle des
corruptions qu'ils peuvent générer est également insuffisant. Nos révélations
sur les hauts donateurs de l'UMP posent, de nouveau, cette question. C'est
l'objet de notre enquête, dont cet article est le premier volet, de mettre en
pleine lumière ces sujets légitimes parce que d'intérêt général.
Argent de l'UMP : la liste secrète
25 SEPTEMBRE 2012
Ils sont 544, très majoritairement des hommes. Ils sont riches et
puissants. Certains sont célèbres, d’autres parfaitement inconnus du grand
public. Mais tous ont un point commun : ils faisaient partie en 2007 du
Premier Cercle, le club très select des grands donateurs de
l’UMP, dont Mediapart s’est procuré l’annuaire. L’étude détaillée de cette
liste inédite, que l’UMP tient secrète, comme tous les partis le font avec
leurs grands donateurs, révèle autant qu’elle interroge sur le tabou français
des liens incestueux entre argent et politique, entre intérêts privés et esprit
public.
Éditée en juin 2007, au lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy, elle
révèle tout d’abord la surreprésentation de la haute finance, notamment des
banques (Goldman Sachs), des fonds d’investissement et des hedge funds,
en lien avec des paradis fiscaux, dans les financements du premier parti de
France (en nombre d’adhérents). La part des “délocalisés” du fisc français,
installés en Suisse, en Belgique ou à Londres, saute également aux yeux.
Cette liste dévoile aussi une forme, à peine déguisée, de lobbying de
grandes entreprises (françaises ou étrangères) et la présence, dans les rangs
du Premier Cercle, de plusieurs personnalités étrangères influentes (pour
l’essentiel anglo-saxonnes) dont les liens avec la France semblent a
priori plus que limités, si ce n’est inexistants.
Elle interroge ensuite sur les possibles
compromissions du précédent gouvernement, quand il s’est montré peu regardant
avec certains fraudeurs fiscaux, membres du Premier Cercle. Éric Woerth*, son principal animateur à l'époque, est
désormais poursuivi pour « trafic
d'influence » à Bordeaux dans le cadre de l'affaire Bettencourt,
pour avoir négligé la frontière entre ses fonctions politiques de trésorier de
l'UMP et celles de ministre du budget.
Cette liste soulève enfin des questions concrètes sur de possibles
détournements de l’esprit de la loi sur le financement de la vie publique
française.
Autant de raisons qui, face à l'opacité
organisée et le soupçon qui entourent les grands donateurs d'un parti, incitent
aujourd’hui Mediapart à enquêter sur les membres du Premier Cercle de juin
2007, au nom d’une exigence de transparence, comme c’est la règleaux États-Unis, au Canada ou à l'échelon européen.
Rendre publique pour tous les partis la liste de leurs riches donateurs, dont
le patrimoine personnel et l'activité professionnelle interfèrent avec la
sphère publique, permettrait de prévenir conflits d'intérêts, trafics
d'influence ou favoritisme.
Au Premier Cercle, le ticket d’entrée était à l'époque de 3 000
euros – il est de 3 500 aujourd'hui –, mais beaucoup
pouvaient débourser le maximum autorisé par la loi, soit 7 500
euros. À eux seuls, les 544 membres du Premier cercle ont ainsi versé tout
à fait légalement, en 2007, au minimum 1,6 million d’euros dans les caisses de
l’UMP. Sans compter qu’ils étaient incités, en parallèle, à faire un don direct
au candidat Sarkozy (4 600 euros autorisés). Sans compter encore qu’ils
prenaient parfois leur carte d’adhérent à l’UMP, en s’acquittant d’une
cotisation… dont le législateur a omis de plafonner le montant.
Faire partie du Premier Cercle offre de multiples avantages, notamment
celui d'avoir un accès privilégié à des responsables politiques de premier
plan : le président de la République, le premier ministre ou le ministre
du budget qui, en 2007, était aussi le trésorier de l'UMP (Éric Woerth). Ce
dernier n'a d'ailleurs pas dit autre chose devant les policiers qui l'ont
interrogé en juillet 2010 dans le cadre de l'affaire Bettencourt : « Je
veille à ce qu'il y ait une reconnaissance politique de cet engagement financier.
Il existe donc des rencontres périodiques, plusieurs par an, réunissant les
donateurs (…) autour de responsables politiques. »
La liste que Mediapart s'est procurée est l’œuvre de Rebecca Jaffrain,
employée d’Optimus, une société de communication spécialisée dans le fund
raising, recrutée par Éric Woerth pour organiser la collecte. Cheville
ouvrière du club, responsable du mailing ou des réunions, Rebecca Jaffrain a
refusé de répondre à nos questions. « Je suis très surprise que
vous ayez cette liste », a-t-elle balayé. L’annuaire a-t-il beaucoup
changé depuis 2007 ? Certains déçus ont depuis rendu leur carte, mais
combien ? « Je n’ai rien à vous dire ! » a-t-elle
congédié.
Contactés, Dominique Dord et Éric Woerth,
l’actuel et l’ancien trésorier de l’UMP, n'ont pas souhaité non plus répondre à
nos questions. « Vous jetez des noms en pâture, tance le
premier. La liberté d’opinion, ça existe ! Le secret de l’isoloir
aussi. » Sitôt après nos appels, un avocat de l’UMP, Me Philippe Blanchetier, s’est en revanche
manifesté auprès de Mediapart pour faire savoir qu’il envisageait de saisir la
justice si nous venions à publier la liste.
Après plusieurs jours d’identification, de
recoupements et de recueil de témoignages, plusieurs enseignements inédits
peuvent être tirés de l’étude de cette liste, outre le constat de la présence
de personnalités plus ou moins attendues, comme Ernest-Antoine
Seillière* (Wendel,
ancien président du Medef), André Bettencourt(L’Oréal), Jean-René
Fourtou* (Vivendi), François Pinault*(groupe PPR), Robert et Bertrand
Peugeot* (Peugeot), Serge
Kampf (Capgemini), Gérard Pélisson (Accor) Robert
Bourgi(avocat de la Françafrique)… 1) l'ump, parti international
En avril 2006, alors ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy
déclarait : « S'il y en a que ça gêne d'être en France, je le
dis avec le sourire mais avec fermeté, qu'ils ne se gênent pas pour quitter un
pays qu'ils n'aiment pas. » Beaucoup de ses plus puissants soutiens
financiers de l’époque ne se sont pas gênés. C’est le premier constat factuel
que l’on peut tirer de l’étude de la liste : sur les 544 membres du
Premier Cercle recensés, plus du quart – 140 précisément, selon notre
décompte – résident à l’étranger, pour l’essentiel dans des contrées où la
fiscalité est plus douce qu’en France.
Ainsi, 64 d’entre eux ont élu domicile à
Londres, l’un des paradis fiscaux les plus accueillants selon le magazine Forbes ; 40
aux États-Unis, essentiellement à New York ; 12 en Suisse et 9 en
Belgique, deux destinations très prisées par les exilés fiscaux. Les 15
restants se partagent entre le Portugal, le Viêtnam, la Chine, l’Argentine, le
Maroc, le Liban, le Brésil, Singapour, le Canada et l’Italie.
Fait surprenant : plusieurs personnalités étrangères ou ayant fait
toute leur carrière à l'étranger font partie des grands donateurs de l’UMP.
Dans la liste, on tombe ainsi sur le
Canadien Peter Munk, président du leader mondial de l’extraction
d’or, Barrick Gold Corporation. Milliardaire, Peter
Munk est un associé et ami du marchand d’armes saoudien Adnan Khashoggi. Les
activités minières de l’homme d’affaires canadien sont au cœur de plusieurs
controverses, concernant des atteintes à l’environnement et les rapports
dégradés de sa multinationale avec des populations autochtones.
Peter Munk avait aussi fait parler de lui
il y a une quinzaine d’années quand, à l’occasion de l’assemblée annuelle de
son groupe en mai 1996, il avait vanté les réformes
économiques du régime Pinochet, occultant le caractère sanglant de
la dictature chilienne.
Au Premier Cercle, en 2007, M. Munk côtoie
notamment la famille Duroc-Danner (cinq de ses membres en font partie…),
établie entre le Texas, Londres et la Suisse. Le patriarche, Bernard J.
Duroc-Danner, est le PDG du géant pétrolier Weatherford,
dont le chiffre d’affaires a atteint en 2011 les 13 milliards de dollars. LeWall Street Journal a
rappelé à l’été 2011 que les importantes infrastructures de la multinationale
en Libye avaient été peu endommagées par la guerre, dont M. Sarkozy fut l’un
des fers de lance. M. Duroc-Danner est également une connaissance de
Jean-François Copé, l’actuel secrétaire général de l’UMP.
Club décidément sans frontière, le Premier
Cercle accueille aussi en son sein le milliardaire russe Leonard Blavatnik – sa
fortune personnelle est estimée par le magazine Forbes à 12
milliards de dollars. L’homme d’affaires basé à New York est à la tête d’un
empire financier, Access Industries, qui a
investi dans des secteurs aussi divers que le pétrole russe (TNK-BP) ou la
musique, avec le rachat, en mai 2011, de la Warner Music Group pour 3,3
milliards de dollars.
Leonard Blavatnik a versé il y a quelques années 100 millions de dollars en
faveur du complexe culturel “Faena Arts District”, du styliste argentin Alan
Faena. Ce dernier est aussi membre du Premier Cercle.
Précision utile : deux cadres
d'Access Industries, Lincoln Benett et Mark Shanker,
ont également mis la main à la poche pour entrer dans le club privilégié du
Premier Cercle. Dans l’annuaire de 2007 que nous avons récupéré, MM. Benett et
Shanker ont donné comme adresse personnelle celle de l’entreprise de M.
Blavatnik. Une indication qui autorise à s’interroger sur l’origine réelle des
fonds ayant alimenté les caisses de l’UMP, personnelle (ce qui est légal) ou
professionnelle (ce qui est interdit depuis 1995).
Les représentants des pays anglo-saxons (Angleterre et États-Unis)
sont, de loin, les premiers bailleurs de fonds étrangers. Aux États-Unis, le parti profite, il est
vrai, de solides réseaux d’influence grâce au clan Sarkozy.
Le demi-frère de l’ancien chef de l’État, Pierre-Olivier Sarkozy (ils
ont le même père), était en 2007 et encore après un membre actif du Premier
Cercle outre-Atlantique. Ancien de l’Union des Banques suisses (UBS),
Pierre-Olivier Sarkozy a rejoint en mars 2008 le groupe Carlyle, dont la figure
de proue fut pendant des années l’ancien directeur adjoint de la CIA, Frank
Carlucci, un proche de Ronald Reagan.
Le beau-père de Pierre-Olivier Sarkozy, Frank G. Wisner, est
lui aussi membre du Premier Cercle. Diplomate de renom – il fut
ambassadeur en Zambie, en Égypte, aux Philippines et en Inde –, Franck G.
Wisner est le fils de Franck Wisner, le créateur du service des opérations
clandestines de la CIA, dont l’ombre fuyante peut être croisée dans certains
romans d’espionnage.
Après avoir quitté les couloirs de la
diplomatie américaine, Franck Wisner fils a rejoint le grand cabinet de
lobbyistes Patton & Boggs, qui fut notamment impliqué dans les dessous
financiers de la libération des infirmières bulgares en Libye, comme Mediapart s’en est déjà fait l’écho.
2) l'opa du monde de
la finance
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur les 544 membres du Premier Cercle de
juin 2007, 147 appartiennent au monde de la haute finance.
Soit, à nouveau, un gros quart. Les plus grands banquiers de la place sont dans
la liste :
Charles de Croisset *(Goldman Sachs),
Michel David-Weill * (Lazard),
David de Rothschild *(Rothschild),
Nicholas Clive-Worms (Banque Worms),
Édouard de Ribes * (Rivaud),
Charles-Henri Filippi *(HSBC)…
S’agissant de la dizaine de grands donateurs de l’UMP résidant en Suisse,
une majorité sont banquiers : Henri Danguy des Déserts (ancien
de SG Private Bank), Jean-François de Clermont Tonnerre (banque
Hottinger), Aimery Langlois-Meurinne (ancien de GBL et Meryll
Linch), Christophe Mazurier *(banque Pasche) ou Marc
Odendall (ancien de Meryll Linch et JP Morgan).
Trois responsables de Lehman Brothers, dont la faillite en septembre 2008 a
révélé des pratiques comptables plus que douteuses du géant bancaire, figurent
également dans l’annuaire du Premier Cercle : Nicolas Pourcelet (managing
director), Alexandre Capez (head of structured volatility)
et Benoît d’Angelin (co-director investments Europe).
Trois cadres de la banque d’investissements new-yorkaise Cantor Fitzgerald,
spécialisée dans le courtage de bons du Trésor américain et liée à la Réserve
fédérale de New York, ont financé l’UMP : Alexandre Artus, Avi
Bouhadana et Michael Halimi. Les trois ont élu domicile
entre Londres et New-York.
Les hedge funds, ces fonds spéculatifs opaques et dérégulés,
symboles du « capitalisme de casino », sont eux aussi bien représentés
par leurs dirigeants dans la liste des grands donateurs de l’UMP : Talaris
Capital, Concerto Capital Management, Alphagen, Centaurus, Blackstone, Amber
Capital… La plupart d’entre eux sont liés de très près aux paradis fiscaux,
ceux-là mêmes que Nicolas Sarkozy dit avoir fait disparaître une fois
élu – ils ne se sont en réalité jamais aussi bien portés.
Les archives de l’Autorité des marchés financiers (AMF) rappellent par
exemple que le hedge fund Amber Capital, dont le patron Joseph
Oughourlian est membre du Premier Cercle, est implanté aux îles
Caïmans. De même qu’Olivier de Montal, ancien administrateur d’un hedge
fund, Olympia Capital, lui aussi grand donateur de l’UMP, qui a revendiqué
en janvier 2009 auprès des autorités américaines une domiciliation personnelle
dans les îles Caïmans (voir document ci-dessous).
Autre membre du Premier Cercle, l’homme
d’affaires Éric Le Moyne de Serigny, ancien collaborateur de
l’ombre d’Éric Woerth au ministère du budget, avait quant à lui été qualifié d’« ange
du paradis fiscal » par le site Rue89, qui avait publié
une enquête révélant, documents à l’appui, l’implication de M. Serigny dans
l’administration de sociétés-écrans au Panama.
3) les cas goldman sachs et
pizzorno
Cela ressemble à une galaxie. En affinant
les recherches sur les membres du Premier Cercle, plusieurs dirigeants ou
cadres supérieurs d'une même entreprise apparaissent dans la liste des riches
donateurs de l’UMP. Le cas le plus flagrant est celui de la banque Goldman
Sachs, dont un récent documentaire diffusé sur Arte,Goldman
Sachs, la banque qui dirige le monde, a montré les liaisons
dangereuses entretenues avec le monde politique.
Pour ce qui concerne l’UMP, nous avons pu recenser pas moins de huit
responsables de la banque dans la liste des membres du Premier Cercle : Jean-Luc
Biamonti (managing director),Charles de Croisset *(vice-président Europe), Isabelle
Ealet(responsable mondiale commodities), Laurent
Dupeyron (co-dirigeant de l’european equity), Pierre-Henri
Flamand (directeur du desk global), Hugues Lepic (banquier
associé), Philippe Khuong-Huu (chef du département global
interest rates products) et le trader Carole Bettane.
Est-ce un hasard ? Une convergence de convictions personnelles ?
Ou un authentique lobbying d’un géant mondial de la finance. Chez Goldman
Sachs, on répond qu’il s’agit d’une « coïncidence » et
que c’est « à titre personnel que de l’argent a été versé à l’UMP ».
Autre cas d’école, celui du groupe Pizzorno, spécialisé dans le traitement
des déchets. La société, basée à Draguignan (Var), est impliquée dans une
affaire de corruption présumée en Tunisie où elle a fait travailler l’ancien
ministre de la défense François Léotard. L’annuaire du Premier Cercle fait
apparaître qu'une grande partie du comité de direction du groupe a rejoint le
club des grands donateurs de l’UMP : Francis Pizzorno (PDG), Frédéric
Devalle(directeur général), Maria-Pilar Carrozza (directrice
financière),Philippe Bonifacio (directeur juridique) et Frédéric
Balse(directeur de la propreté).
Joint à plusieurs reprises ces derniers jours, Francis Pizzorno, le
fondateur du groupe, a refusé de répondre à nos questions. « Je
n’ai rien à vous dire. Écrivez ce que vous voulez. Allez vous faire voir »,s’est-il
emporté. Frédéric Balse assure qu' «il s'agissait pour sa part d'une
démarche personnelle et qu'il n'y a eu aucune consigne de l'entreprise ». Bizarrement,
il s'étonne qu'on n'ait trouvé que cinq dirigeants de Pizzorno dans la
liste : « J'imagine qu'il y a eu d'autres donateurs parmi les
cadres… »
Cet exemple interpelle. D’après nos informations, le président de la
commission nationale chargée de vérifier les comptes des partis (la CNCCFP)
s’est récemment inquiété des risques de détournement de la législation :
si la loi interdit bien les dons des entreprises depuis 1995, un patron peut
demander à ses cadres de signer un chèque en leur nom, en échange d'un
“remboursement” en interne sous forme de primes.
Dans une moindre mesure, le cas de la
société Acadomia, entreprise de soutien scolaire qui bataille régulièrement pour que Bercy maintienne
l’avantage fiscal consenti à ses clients, fait également tiquer. Son
président-fondateur, Maxime Aiach, son directeur général, Philippe
Coléon, et son directeur financier, José Dinis, figurent dans
la liste des 544. Sollicités par l’intermédiaire de leur service de presse, ils
n’ont pas souhaité nous rappeler.
4) le cercle des ennemis de
l'impôt
« Bon appétit, messieurs !
Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n'avez pas honte et vous choisissez l'heure,
L'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure !
Donc vous n'avez ici pas d'autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n'avez pas honte et vous choisissez l'heure,
L'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure !
Donc vous n'avez ici pas d'autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
.../...
l'Europe, hélas ! Écrase du
talon
Ce pays qui fut pourpre et n'est plus que haillon.
L'état s'est ruiné dans ce siècle funeste,
Et vous vous disputez à qui prendra le reste !
Ce pays qui fut pourpre et n'est plus que haillon.
L'état s'est ruiné dans ce siècle funeste,
Et vous vous disputez à qui prendra le reste !
Victor
Hugo "Ruy Blass"
Ils ne parlent que de
ça. Selon un ancien membre du Premier Cercle, la question fiscale est
– avec les 35 heures – le premier sujet de conversations des membres
du Premier Cercle quand ils sont réunis par l’UMP, généralement à l’hôtel
Bristol (à deux pas de l’Élysée) ou au cercle Interallié.
De fait, outre les “exilés” fiscaux et les représentants d’institutions
implantées dans les paradis fiscaux, le Premier Cercle compte en son sein
plusieurs personnes qui ont maille à partir avec l’administration au sujet de
leurs impôts.
Exemple avec l’homme d’affaires Maurice Bidermann, à l’origine
de l’affaire Elf dans les années 1990. Toujours assis au premier rang lors des
réunions du Premier Cercle, très actif dans les discussions, Maurice Bidermann
est un homme de réseaux, proche d’Éric Woerth et de Claude Guéant.
Officiellement ruiné en France, au point
de ne pas pouvoir payer les dommages exigés dans l’affaire Elf, il jongle
pourtant avec les holdings au Luxembourg, en Suisse et au Liban, comme l’a déjà raconté Mediapart. En 2006,
l’épouse de Maurice Bidermann, la seule du couple officiellement domiciliée en
France, a reçu un avis de notification des services fiscaux. Moins d’un an
après, le 8 juin 2007, un mois après l’élection de Nicolas Sarkozy, le fisc lui
faisait savoir que le contrôle était finalement achevé « sans
rectification ». Un cas rare pour l’administration fiscale...
Maurice Bidermann est également associé avec un financier libanais de
premier rang, le cheik Bechara el-Khoury, actionnaire entre autres
de la banque Audi Bank. Membre lui aussi du Premier Cercle, Bechara el-Khoury a
été nommé en 2009 consul de… Monaco.
D’autres illustres “ennemis” de l’impôt
français se retrouvent dans l’annuaire. Comme Patrice de Maistre*, l’ancien gestionnaire de fortune de
Liliane Bettencourt, grand chef d’orchestre de la fraude fiscale de l’héritière
de L’Oréal et lui-même détenteur d’un compte à la HSBC en Suisse, comme l’a raconté l’ancien procureur de Nice, Éric de
Montgolfier. En janvier 2008, le ministre du budget et trésorier de
l'UMP, Éric Woerth, remettra la Légion d’honneur à Patrice de Maistre, qui se
trouve aussi être l’employeur de sa femme. Le mélange des genres vaut
aujourd’hui à l’un et à l’autre des mises en examen pour « trafic
d’influence » par le juge bordelais Jean-Michel Gentil.
André Bettencourt, le défunt mari de la multi-milliardaire Liliane
Bettencourt, dont le fisc a découvert l’étendue de l’évasion fiscale en
2010 après la publication des enregistrements clandestins de son majordome,
était, lui aussi, membre du Premier Cercle en juin 2007. Les Bettencourt
étaient détenteurs de douze comptes à l’étranger non déclarés au fisc, mais ne
seront contrôlés qu’après les révélations de Mediapart sur leur patrimoine
trois ans plus tard. Jusque-là, et depuis des décennies, le fisc ne s’est
jamais penché sur leur situation fiscale. Du jamais vu.
La bataille familiale pour le contrôle de la fortune du clan n'a pas
empêché Françoise Bettencourt, la fille de Liliane et André, et son
mari Jean-Pierre Meyers, de s'inscrire eux aussi au Premier Cercle,
animé par Éric Woerth.
Autre exemple, celui de Guy
Wildenstein*, homme d’affaires et marchand d’art, au cœur avec son frère Alec de
lourds soupçons judiciaires et fiscaux au sujet de l’héritage pharaonique
– on parle de 4 à 5 milliards d’euros – légués par leur père. La
justice a mis au jour un réseau complexe de trusts domiciliés
dans un nuage de paradis fiscaux (Bahamas, Guernesey, îles Vierges
britanniques…). Alec et Guy Wildenstein sont tous deux membres du Premier
Cercle et la question d’éventuelles protections politiques sur leur situation
fiscale est aujourd’hui ouvertement posée.
Dernière illustration avec l'ancien
président du Medef, Ernest-Antoine Seillière*, autre membre du
Premier Cercle visé par des soupçons de « fraude fiscale ».
Le parquet de Paris a ouvert une enquête au mois du juin à la suite d'une
dénonciation de Bercy. Président du conseil de surveillance du groupe Wendel, le baron Seillière est soupçonné d'avoir
monté une opération financière frauduleuse lui ayant permis de toucher 65
millions d'euros, sans verser un centime d'impôt. Son domicile et le siège
de Wendel ont été perquisitionnés mardi 25 septembre, selon Le Monde.
5) des familles engagées
Dans la liste, certains patronymes se multiplient comme des petits pains.
La famille Guerrand-Hermès (groupe de luxe Hermès), par
exemple, se distingue avec cinq représentants. Le cas le plus frappant ?
Quatorze Mulliez(Gérard, Thierry, Vianney, André, Arnaud, Marie,
etc.), membres d’une des familles les plus riches de France, aux manettes de la
holding propriétaire du groupe Auchan. Quant au Franco-LibanaisJacques R.
Saadé*, PDG de la troisième compagnie de fret maritime au monde (CMA-CGM), il a
rejoint le Premier Cercle avec quatre de ses proches, dont son fils Rodolphe.
Si la CMA-CGM est peu connue du grand
public, l’un de ses yachts de luxe baptisé Le Ponant, 88 mètres de
long, a fait la Une des journaux en avril 2008, pris en otage par des pirates
somaliens au large du golfe d’Aden. À l’époque, alors que Rodolphe
Saadé, directeur général de la société, négocie à la radio avec les pirates
sous la supervision du GIGN, Jacques Saadé, le père, rencontre son ami Nicolas
Sarkozy à Paris à plusieurs reprises, pour discuter des opérations. Faut-il
payer la rançon ? Tout de suite ? Au bout d’une semaine, la trentaine
d’otages sera libérée par la marine française(voir ici).
Après tout, rien de surprenant. On partage souvent les mêmes convictions en
famille. Mais dans certains cas, d’après un témoignage recueilli sous le sceau
de l’anonymat, des membres du Premier Cercle contournent la loi (qui leur
interdit de verser personnellement plus de 7 500 euros), en proposant un
« deal » à leurs proches (parents ou amis) : « Tu signes un chèque au bénéfice
de l’UMP et je te rembourse sur-le-champ. » Pour ces donateurs,
c’est tout bénéfice : ils auront le droit de défiscaliser 66 % du
montant.
Rien n'indique que les familles citées plus haut aient ainsi détourné la
législation en vigueur. Mais seule la transparence peut les obliger à répondre
à ce type de questions.
*Sur les 544 grands donateurs de l’UMP réunis au sein du
Premier Cercle en 2007, au moins soixante-quatre ont décroché une Légion
d’honneur sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Pour obtenir ces chiffres,
Mediapart a croisé l’annuaire secret du Premier Cercle, que nous nous sommes
procuré, avec la liste des personnes nommées ou promues dans l’ordre de la
Légion entre mai 2007 et mai 2012.
Alors
que la Légion d'honneur, « plus
haute décoration française », est censée honorer « en
un grand brassage national les mérites acquis par les citoyens en dehors de
toute considération sociale ou héréditaire », cette statistique inédite
révèle combien l’exécutif de Nicolas Sarkozy l’a utilisée pour récompenser ses
soutiens politiques. Et combien le Premier Cercle (club très select animé par Éric Woerth où le
« ticket d’entrée » s’élevait à 3 000 euros minimum par
personne) s’est confondu avec un cercle d’influence.
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