mercredi 10 octobre 2012

L'histoire n'est jamais écrite


elle exige, par conséquent, une action de contrainte ou d'illusion sur les esprits,
qui sont la matière de tout pouvoir.

Paul Valery


Partout, on l'annonce de retour. Mais, quand les Français coupent la tête de leur roi, ce n'est pas pour le rappeler sur le trône.
Même la droite l'enterre en faisant semblant de l'encenser. Et veut-il vraiment revenir, le veut-il assez, alors que le monde bouge plus vite que lui n'a jamais bougé ?


ALAIN ROBERT/APERCU/SIPA
« La gloire du vainqueur se proportionne au mérite du vaincu. »
Ainsi donc elles sont miennes, elles m'appartiennent désormais,
toutes les innombrables prouesses du susnommé don Quichotte. ».
Don Quichotte
[ Miguel de Cervantès ]


L'histoire n'est jamais écrite nulle part, mais celle que racontent avec tambours et trompettes les sarkozystes - le retour du héros -, moins que n'importe quelle autre. Pourtant, personne n'ose réfuter la fable à laquelle ont même donné foi tante Bernadette (Chirac) et papy Séguéla, prêt à parier sa Rolex sur un rappel du «sauveur» ! Les vaincus d'hier plastronnent comme s'ils se voyaient vainqueurs demain, comme s'il allait de soi que demain Nicoléon Sarkonaparte allait revenir non pas de l'île d'Elbe, mais du cap Nègre sous les fleurs et les hourras !
Couvertures en affiche de l'Express - «Et si Sarkozy avait eu raison ?» - puis du Point : «Coucou, me revoilà ! Son plan secret...» Jouez hautbois, résonnez musettes ! On frémit d'aise à Neuilly, on ricane à Auteuil, on jubile à Passy ! La légende de la revanche du battu d'hier se propage partout comme s'il n'avait pas été défait par un vote populaire net et tranchant. Mais pardon de troubler la fête qui nous paraît pour le moins prématurée, désolé de déranger ce scénario de r
êve éveillé : le «sarkome back» n'est pas pour demain. Peut-être même qu'il pourrait ne jamais se produire...
On s'en voudrait presque de refroidir l'exaltation, la griserie qui s'est emparée de la Sarkozye. L'ivresse des profondeurs, après celle des hauteurs, peut égarer les meilleurs esprits. Ils avaient fini par se croire invincibles, par adhérer à l'illusion d'une victoire à l'arraché, ce qui leur rendit la défaite plus dure encore à encaisser. Certains l'ont même niée. Alors, après l'abattement consécutif à la défaite, face «à un médiocre» qui plus est, on peut comprendre que les malheurs du vainqueur François Hollande les aient réjouis, ô combien ! Nicolas Sarkozy lui-même a paru transporté d'allégresse par les plantages, les ridicules et les loupés de son successeur. Il avait mal vécu les leçons de présidence de son adversaire, alors il s'est délecté au «spectacle piteux de l'arroseur arrosé», puisqu'il «a plu à verse des conneries...»
Le «tweetweiler» en particulier, si assassin pour la normalité et l'autorité hollandaise, a fait son bonheur. Nicolas Sarkozy n'a cessé de répéter à ses visiteurs, avec beaucoup de jubilation, qu'avec «Hollande il tenait un formidable agent de communication» puisque chacune de ses initiatives anti sarkozystes lui permettait de remonter la côte de la popularité. Les échecs de son successeur ont fait l'effet sur lui du baume du Tigre, dont on concédera volontiers à Patrick Buisson, son conseiller de l'ombre toujours présent (on ne change pas une équipe qui perd), qu'il n'est pas devenu végétarien. Sarkozy est de l'espèce carnivore, oui mais Giscard l'était aussi ! Il était également, et pour le dire autrement, un «sacré fusil», réputé ne jamais manquer sa cible... on disait que c'était «le plus intelligent de toute la classe politique», or à jamais il sera resté «l'Ex». Les Français n'ont pas voulu le voir revenir. Pourtant, il s'est démené et y a consacré toutes ses forces, qui étaient grandes, pendant des années. En vain. Quand le peuple de la Révolution répudie son roi, ce n'est pas pour ensuite le ramener sur le trône en grand tralala. Après que la guillotine du suffrage universel est tombée sur la nuque du souverain mésaimé, ce peuple peut en avoir la nostalgie, mais pas jusqu'à se renier et à le rappeler ou à le ressusciter. Seul de Gaulle a pu revenir au pouvoir après l'avoir perdu. Mais c'était le Grand Charles, et après de longues années de traversée du désert. Sans vouloir blesser, la comparaison avec Nicolas Sarkozy et ses quelques semaines de convalescence sur les plages du Maroc et de la Côte d'Azur ne paraît guère pertinente... 
Mais, pour le propre intérêt de l'ancien président de la République que ses dévots risquent d'enivrer à force de l'encenser, le bon sens serait de leur faire remarquer que leur dieu vivant ne progresse dans les faveurs populaires qu'à proportion de son inactivité politique. Moins il en fait, plus il grimpe : il aurait sans doute aucun intérêt à persister... Comme Chirac, redevenu respecté, voire adulé, depuis que l'on sait qu'il ne reviendra pas, ce qui lui confère une aura de sagesse, de respectabilité, dont il n'a pas toujours été nimbé. 
La retraite ou, sinon, une prise de distance avec le pouvoir paraissent seules lui garantir un retour d'affection, peut-être même d'estime, qui retombera aussitôt qu'il prétendra se mêler de trop près des affaires politiciennes. Les Français ont été partiellement gagnés, ou contaminés, par l'impératif vertueux ou hypocrite des Anglo-Saxons qui veut que les hommes politiques ne le soient pas à vie. Quand ils ont perdu, ils décrochent. Toute prétention au retour dans l'arène paraît impossible, ou tout au moins de mauvais goût. En France, où l'on a continué longtemps à faire carrière jusqu'après son décès, au Sénat par exemple, ce «tournez manège» a gagné du terrain. Outre le cas Giscard que nous évoquions, si Jospin n'a pas pu revenir de son exil en Ré, c'est parce que le pays n'en voulait pas. 
Quant aux enquêtes d'opinion censément si favorables au sortant, il faudrait arrêter le délire et y regarder de plus près, ce que d'ailleurs Sarkozy ne manque pas de faire puisqu'il en prend connaissance et les étudie avant tout le monde ! Une nouvelle preuve qu'il n'a pas pris encore la distance que les Français souhaiteraient. Car - restons sur ces enquêtes - ils ne désirent pas du tout qu'il revienne en piste. Le rejet reste profond. Massif. Ah, certes, il y a du mieux, et du consolant, en particulier dans l'électorat de droite. 
Les sarkozystes ne renient pas leur champion, ce qui, il est vrai, reviendrait à se renier eux-mêmes. Une partie de ceux-là propagent cette légende urbaine : «Si la campagne avait duré quinze jours de plus, Sarko aurait gagné.» L'ancien président en personne qui a redouté un temps de ne pas même être présent au second tour, craignant que l'humiliation ne s'ajoute à la défaite, alimente cette fabuleuse fable. Dès lors qu'il a évité cette double peine, et a «failli l'emporter», il pourrait revenir les doigts dans le nez... Sauf qu'un battu qui n'est pas totalement abattu, ça n'en fait pas un futur vainqueur ! Pas plus que ça n'en fait le candidat idéal de la droite pour demain. 
Car c'est bien ce constat que dressent encore et toujours les enquêtes quantitatives et qualitatives que les thuriféraires sarkozystes ne lisent et ne retiennent que partiellement. Prenons ainsi le dernier «palmarès» de l'institut Ipsos pour le Point où l'on demande aux sondés de se prononcer «sur l'action des leaders politiques» : le jugement sur Nicolas Sarkozy reste largement défavorable (49 %, contre 42 %), alors qu'il est favorable majoritairement pour François Fillon (52 %, contre 37 %). Les sympathisants de gauche en particulier, mais les modérés aussi, ont conservé une hostilité intacte et brûlante contre l'ancien président. L'évocation de son nom ranime immédiatement l'incendie de la colère  «Je ne veux plus jamais le revoir, ce n'était pas un chef d'Etat mais un chef de bande... Un avocat des riches qui n'a jamais pensé qu'au fric...»  
Les Français n'ont pas une mémoire de poisson rouge. 
Certes, certains reconnaissent dans les «qualis» que «sa sortie fut élégante», et que son discours d'adieu fut sans doute son «premier discours digne d'un président». Mais ils lui ont dit adieu et non pas au revoir ! En dépit de son «incontestable dynamisme et de son incomparable énergie», la perspective d'un éventuel retour de ce refoulé leur fait horreur. Traduction implacable dans la «cote d'avenir» du Figaro Magazine où il ne figure qu'en 10e position : 33 % des Français seulement «souhaiteraient lui voir jouer un rôle important dans les semaines et les mois à venir».Une écrasante majorité a tiré un trait sur lui. 
Ah, certes, dans l'électorat UMPiste, ils sont 81 % à émettre un souhait d'avenir en sa faveur. Mais ils sont plus nombreux encore à se tourner vers Fillon (83 % des UMP et 41 % pour l'ensemble des Français). Autrement dit, l'opinion, et celle de droite aussi, a choisi pour le futur l'ancien Premier ministre plutôt que l'ex-président. Ce dernier traîne trop de mauvais souvenirs ! «Ça peut changer», espère le plus «vieux» de ses amis politiques, Brice Hortefeux, qui veut croire que«l'inaction hollandaise fera revoir à la hausse l'activisme sarkozyste». L'aggravation de la crise même rendrait insupportable «la gestion contemplative» et désirable «l'interventionnisme cash de Sarkozy». Un raisonnement fort respectable, mais qui n'est que la reprise, remise au goût du jour, d'un ancien argumentaire qui a révélé sa faillite totale... 

FILLON EN EMBUSCADE

Souvenez-vous, lors de la prise du pouvoir à la barbare de Nicolas Sarkozy, on vous tenait déjà le même langage. Les communicants proches de Sarkozy, tel Thierry Saussez, expliquaient avec beaucoup de talent que «la présidence à la papa, [c'était] fini», que les Français voulaient du mouvement, de l'accélération, de l'action. «L'hyperagitation sarkozyste correspond à l'époque moderne», certifiaient-ils. Et le prince lui-même, morgueux, concluait d'un définitif : «On en a fini avec les rois fainéants...» Mais c'est lui qui a fatigué les Français !

Sarkozy a été viré en partie par la tradition et «la normalité» parce qu'il n'avait pas été à la hauteur de la magistrature suprême. La monarchie républicaine n'a pas souffert longtemps le godelureau. Elle se l'est payé comme un extra, avec aucun désir d'un remettez-moi ça. 
La barbe de trois jours, son «côté pirate» qui fait se pâmer ses amis comme le si fidèle Pierre Charon charrient trop de mauvais souvenirs transgressifs pour lui voir un bel avenir de rassurance, ni même de projection. La présidence est toujours une surface projective : la sienne pique... Même la droite lui préfère aujourd'hui le si pâle François Fillon, mais toujours convenable et respectable. Un notoire de province éduqué comme il faut. Après le «voyou de la République», un «monsieur»... qui pense que, après avoir souffert mille tourments, son tour est venu... 
François Fillon a été piétiné, humilié par le chef d'Etat qui s'est mal comporté publiquement avec son «collaborateur», mais il a rendu ce dernier méritant. Fillon n'a pas trépigné, ni même protesté plus que de convenance. Il a forgé aussi dans le mépris une résolution qu'on ne lui connaissait pas avant. Celui-là est désormais déterminé, mordant comme on ne l'a jamais vu, méchant même, car lui peut se permettre de commettre les pires extrémités, il aura toujours l'air d'un paroissien cheminant vers l'église pour chanter la messe. S'il vous exécute, vous pouvez compter qu'il le fera en disant une petite prière pour votre âme. Sarkozy peut être tranquille pour le salut de la sienne, Fillon s'en occupera personnellement !

 

LA SERVITUDE EST RÉVOLUE !

Il n'est que de voir comment il refuse de le prendre au téléphone ; on dirait Edouard Balladur lorsqu'il se préparait à trahir Jacques Chirac, refusant de répondre à ses coups de fil intempestifs. Le «Mr Nobody» d'hier est bien décidé à devenir quelqu'un, à savoir le numéro un, après avoir été trop ridiculisé comme numéro deux ! Et les fillonistes sont à l'unisson, qui ont déjà enterré Sarkozy, telle l'ancienne ministre Valérie Pécresse dont le lapsus valait tous les aveux : «C'est une reconnaissance posthume du travail de Nicolas Sarkozy, ce traité européen...» Il n'est pas mort, mais pour les proches de Fillon, qui rappellent que l'ancien chef de l'Etat a perdu toutes les élections depuis 2007, c'est tout comme. Mais il en est d'autres à droite, beaucoup d'autres, qui sont attachés à sa perte. La plupart des anciens ministres... sarkozystes ! 

Ces excellences d'hier ont un alibi parfait : pour se débarrasser de Sarkozy, ils font... du sarkozysme ! Car c'est l'ancien président lui-même qui leur a enseigné, par son propre exemple, qu'il faut aller toujours de l'avant, et ne surtout pas regarder en arrière ! Tant pis pour les traînards ! Sarko qui ? Ah ça, ce dernier a bien raison de «vouloir rester lucide et dupe de rien», ainsi qu'il le confie. Sans illusions, il a répété à plusieurs de ses proches qu'il n'a «aucune confiance en Fillon, ni en Nathalie Kosciusko-Morizet, ni en Laurent Wauquiez, voire en Bruno Le Maire». 
Xavier Bertrand s'est déjà émancipé et confirme en privé que le temps de la servitude volontaire est révolu. La fidélité démonstrative de Copé ne l'abuse pas davantage. Comme le résume, lucide, Brice Hortefeux : «Chacun voudra le pousser sur le haut de la cheminée.» Comme un coq en plâtre. Mais l'ancien ministre de l'Intérieur ne «croi[t] pas que Nicolas ait le tempérament d'une potiche» et il le voit bien «en train de foutre le feu». Traduction en clair par lui comme par quelques autres mamelouks : «Ils vont tous finir par se bouffer la gueule, et comme Sarkozy est le plus fort, il les mettra d'accord !» C'est simple, non ! Pour ceux, et nous en sommes, qui seraient sceptiques, voici comment le scénario - le «sarkannibale» - devrait se dérouler selon leurs confidences. 
Acte I : Copé, battu par Fillon, entre immédiatement en opposition à son vainqueur. Et tous les autres jeunes ambitieux se font les dents de lait les uns contre les autres ! L'UMP se déchire pendant que le centre se reconstitue avec Borloo... 
Acte II : les municipales ne sont pas le succès espéré pour la droite qui ne gagne ni Paris ni Lyon, et perd Marseille, alors que le Front national progresse dans de nombreuses villes et que de nombreux accords locaux sont passés avec des élus UMP. 
Acte III : des sondages en rafales montrent que seul Nicolas Sarkozy peut empêcher un second tour Le Pen-Hollande en 2017. Affolés, des dizaines de députés UMPistes signent des appels à l'ancien président pour qu'il se dévoue et sacrifie sa dolce vita aux intérêts de son camp et de la France... 
Final sous forme d'apothéose : Nicolas Sarkozy remporte un plébiscite à la primaire de toute la droite, avant d'être sacré de nouveau à Paris puis à la cathédrale de Reims ! Voilà la fiction qui fait ronronner de plaisir les «chatrkozystes», mais qui comporte de multiples hypothèses susceptibles d'être démenties - Fillon sera-t-il vraiment incapable de s'imposer à la droite ? Hollande sera-t-il aussi médiocre que ce qu'ils veulent imaginer ?, etc. Elle recèle aussi beaucoup d'inconnues, à commencer par... son envie. Pour la seconde fois, il en faut encore plus que pour la première. Or... 
Or, il faut rappeler à quel point son envie était féroce jusqu'en 2007. Toutes ses forces, toute son énergie vitale, toute son intelligence, chacune de ses fibres, ses nerfs, ses pensées, ses rêves, ses muscles, ses désirs étaient tendus vers cet unique but : l'Elysée. Son être tout entier n'était que conquête de la magistrature suprême. Le prix personnel et familial à payer en a été lourd. Pour ses enfants, pour son couple d'alors, douloureusement explosé. Cécilia est partie faire du jogging à Central Park, pour ne plus supporter l'insupportable. Est-il prêt, résolu, à subir de nouveau semblable calvaire ? 
Sa nouvelle épouse, Carla Bruni-Sarkozy, a elle aussi profondément souffert ensuite de la surexposition médiatique. Les projecteurs l'ont brûlée. Sa vie d'artiste a été éclipsée, étouffée, pendant qu'elle était «outragée», accusent ses amis. Aujourd'hui, comme elle dit de le dire à Isabelle Balkany, si fidèle à «Nicolas» : «Carla ne veut plus qu'on parle d'elle.» Mais impossible que les médias l'oublient si son mari replonge dans le bain de boue bouillonnant de la politique. L'enfer, qu'elle veut, répète-t-elle à tous, écarter, reprendra. Adieu, la séquence «nous deux, nous trois», avec Giulia. «Gouzi, gouzi,... mon chéri, mon amour.» Le bonheur, c'est fragile comme un sourire... 
Les hostilités reprendront immédiatement, s'il se (re)découvre des ambitions politiques. Ce sera sur elle, sur eux, les pluies acides quotidiennes dont rien ne protège complètement et qui ulcérera les vieilles plaies. Nicolas Sarkozy ne veut pas revivre «ce cauchemar», ni pour elle, ni pour sa fille. Il ne se battrait donc pas, il ne se battrait plus comme un chiffonnier politicien pour s'imposer en recours... Cette envie-là de pancrace politicien, de boxe de rue - pour un oeil les deux yeux, pour la bouche toute la gueule... - n'existe plus. On comprend pourquoi son conseiller spécial Henri Guaino précisait qu'il était parti «dans l'état d'esprit de ne pas revenir». Sarkozy ne sacrifiera pas au parcours du combattant politicien pour reconquérir l'Elysée. Mais en est-il d'autres ? Douce illusion... On se salit toujours les mains et la vie dans la bataille politique. Il faudrait qu'il apparaisse «comme une évidence», rêvent ses proches qui ont trop fréquenté Disneyland pour se distraire. 
L'«évidence» ? C'est plutôt que la vie politique se fait sans lui... 
Pourtant, les sarkozystes que nous avons rencontrés ne veulent pas, pour la plupart, en démordre : son «envie» en dépit de tous les obstacles personnels, intimes, reviendra avec les fleurs... La passion politique ne se fane qu'un temps ? Ce n'est pas de la blanche, ce n'est pas de la noire, mais c'est une drogue dure. Ceux qui décrochent indemnes sont rares, exceptionnels même. Pour ces anciens combattants qui ont gardé bon pied, bon oeil, même quand il leur en reste qu'un, un guerrier guerroie et basta ! Surtout quand il est encore en pleine force de l'âge et qu'il a une revanche à prendre. Il ridiculiserait Hollande ! Il enfoncerait Giscard ! Quel exploit pour lui ! Quelle gloire pour le présent ! Quelle leçon pour l'histoire ! Ils rêvent éveillés... 
PRENDRE SA REVANCHE ?
Un de ses plus proches, qui le voit très régulièrement, le décrit même comme particulièrement impatient de cette replongée : «Il est comme un lion en cage. Il bouffe les barreaux.» Pour l'instant, ce sont surtout les notes de ses collaborateurs remobilisés qu'il dévore. Et il savoure les douces paroles de ses visiteurs qu'il cajole, à l'instar de ce jeune parlementaire qu'il accueille en soulignant que ce dernier a été élu au Parlement plus jeune que lui, «tous les espoirs [lui] sont donc permis»... Sourire canaille. Il a reçu les vainqueurs, ainsi que les vaincus, qu'il fait mine d'écouter, tous, lui qui ne prêtait jamais attention qu'à ses propres paroles quand il était à l'Elysée...
 Nicolas Sarkozy est sorti de la phase vacance convalescence excellemment décrite par M le magazine du Monde, où, grâce aux amis, au soleil, au sport, le battu a conjuré le spectre de la dépression qui frappe les puissants sevrés du pouvoir. Chirac ainsi en a été gravement affecté jusqu'à ce que son successeur Sarkozy tombe en disgrâce dans les sondages. L'impopularité d'Hollande, cette fois, a fait beaucoup pour requinquer Sarkozy. Comme le confirment tous ceux qui sortent de son bureau, transis d'admiration, conquis telle la présidente du Parti démocrate-chrétien, Christine Boutin, qui l'a jugé «en pleine forme et dynamique». La plupart de ses visiteurs qui, lorsqu'ils lui serrent la main, en profitent pour lui prendre le pouls, jurent que celui-ci bat au rythme de... la reconquête. «Il reviendra prendre sa revanche !» assurent-ils. Ils tiennent à vous en apporter la preuve... par trois. 
D'abord, il se passionne plus que jamais pour l'actualité internationale, nationale et... politique. Beaucoup prétendent qu'«il ne se mêle pas de la cuisine, notamment de l'élection à la présidence de l'UMP». Mensonge et billevesée ! Nicolas Sarkozy sait trop bien l'importance qu'a eue dans son ascension la maîtrise du parti, pour en négliger le contrôle... qui lui échappe ! Il a bien tenté en sous-main de pousser les candidatures de Xavier Bertrand, puis celle de Nathalie Kosciusko-Morizet pour diminuer l'impact de la victoire probable de François Fillon, mais en vain. Il a même tenté d'obtenir que son ancien ministre de la Santé ainsi que Bruno Le Maire se rangent derrière son ex-porte-parole, mieux placée qu'eux dans les sondages. En vain. 
Roi déchu n'est plus maître en son parti ! Bruno Le Maire peut bien nous pronostiquer que «si Sarkozy revient, il écrasera tout à droite», c'est ne pas voir que la droite a commencé une nouvelle vie, où il n'est que relégué au rang d'icône du passé. Le présent se construit sans lui ! 
Deuxième indice fort de son désir de retour éventuel : le jugement particulièrement sévère qu'il porte sur son successeur. «Un médiocre... Un nul... Complètement dépassé et si peu préparé à gouverner la France que ça ne peut que mal se terminer...» Lui qui a fait mieux que tous les autres dirigeants occidentaux serait donc rappelé par l'échec inéluctable et radical des socialistes. Capitaine Courage, le revoilà... C'est sa force qui le fait marcher au-dessus de lui, sur ses ergots d'ego, la crête dressée, donnant du bec toujours contre les médias «qui [l']ont assassiné». Et c'est sa faiblesse ! 
Jamais il ne se livre à une autocritique, ni de comportement, ni de stratégie politique. Comme si cette analyse critique n'était pas indispensable pour revenir avec quelque chance sérieuse de l'emporter. Giscard aussi, après sa déroute de 1981, s'était refusé à tout examen de conscience. Il considérait qu'il n'avait été défait que par les crises pétrolières et... par la trahison de Jacques Chirac. Sarkozy, lui, ne veut pas accorder ce plaisir à son ancien mentor de l'incriminer dans une défaite qui ne serait due... qu'à la crise. Même les plus proches concèdent qu'«il y a un problème
»...


ENERGIE INÉPUISABLE

Enfin, troisième signe annonciateur du match revanche à venir, selon les sarkolâtres, sa forme physique et psychologique. L'athlète de haut niveau est affûté. Sa remise en forme estivale - vélo, course à pied, natation - fut intense. Il s'agissait alors de se vider la tête et de se remplir le corps des sensations fortes de la jeunesse perdue, de conjurer la dépression de la défaite et de l'inactivité. Aujourd'hui, il court toujours, quatre fois par semaine, jusqu'à en perdre la haine, et il nage même dans la piscine du Royal Monceau ! Chacun le regarde comme une bête de compétition. Ses plus anciens compagnons vous certifient que ses réflexes physiques et intellectuels sont «plus rapides, plus aiguisés que jamais». Les cinq années sous le poids de la plus lourde charge puis le choc de la défaite ne l'auraient pas affecté et l'auraient plutôt renforcé en âge et en expérience. Sarkozy aurait changé (air connu !) en mieux... 
Enthousiastes, ses thuriféraires ajoutent : «Il pourrait tout entreprendre. Tout réussir.» Peut-être pas tout, mais beaucoup. Avec son indéniable talent de camelot, sa force de conviction, son énergie inépuisable, son culot d'acier, toutes qualités qui bluffent aujourd'hui et pour cause Alain Juppé, avec son carnet d'adresses aussi, et les éminents services rendus à tant de puissants, nul doute justement qu'on lui offre moult jobs très lucratifs. Il en a déjà refusé beaucoup. Mais même s'il a«cinq ou six cerveaux parfaitement irrigués», comme aimait à le complimenter son épouse, ceux-là sont très parasités par ces questions qui l'éloignent de la politique. Jusqu'à ne plus pouvoir y revenir. Tony Blair et Gerhard Schröder, avec qui il en a parlé, en sont des exemples vivants, car l'un et l'autre, chacun à sa façon, est allé faire de l'argent dans le privé, et aujourd'hui les deux sont dans l'incapacité de jouer à nouveau un rôle sur la scène publique, contrairement à leurs souhaits. Or, Nicolas Sarkozy veut «gagner du fric» ; il ne s'est jamais débarrassé de cette obsession... 
Les sarkozystes font mine de ne pas y accorder trop d'importance, voire de tenir pour «admirable d'honnêteté et de transparence» son désir exhibé de s'enrichir. Ils espéraient quand même que cette soif d'or inextinguible d'enfant de divorcé, dont le père ne payait pas régulièrement la pension qu'il est allé jusqu'à lui réclamer, que cette quête d'enrichissement jamais assouvie s'apaise avec l'aisance, et avec son beau mariage. Mais l'argent de sa femme, si généreuse fût-elle, n'est pas le sien, la maison du cap Nègre n'est pas la sienne, mais celle de belle-maman... Ses amis sont pour la plupart beaucoup plus riches que lui, qui s'en trouve fort marri. Car il a toujours voué un culte au veau d'or, qui lui a coûté cher hier, et qui peut se révéler encore plus néfaste demain, quand il fera cracher au bassinet ceux qui feront appel à lui. La concupiscence suivie ou non d'enrichissement est un péché mortel en politique. 
Son ancien mentor Edouard Balladur pense, lui, qu'un travail à l'étranger montrerait qu'il peut et veut disputer à nouveau la présidentielle, alors qu'une direction d'entreprise en France l'éloignerait de cet objectif. C'est possible. Mais il est plus sûr encore que la course frénétique au toujours plus achèvera de le disqualifier, qu'elle se déroule ici ou ailleurs. Car les Français ont détesté son complexe infantile et obsessionnel envers l'argent qu'il étalait crûment et maladroitement sous prétexte de désinhibition salutaire. Le respect des convenances en la matière, «l'hypocrisie», croit-il, demeure la règle qu'il ne saurait transgresser impunément. Le rapace ne passera pas, même en se parant des plumes de la colombe ! 
Car c'est l'une des parades imaginées par certains de ses conseilleurs, tel l'essayiste libéral Guy Sorman, qui s'est même cru autorisé à annoncer un soir, au débotté, sur Europe 1, que «la décision est prise : Nicolas Sarkozy va annoncer qu'il présidera une grande fondation pour la défense des droits de l'homme dans le monde». Démenti immédiat de l'entourage sarkozyste. Sans convaincre totalement : on se souvient qu'une identique réfutation d'une conférence à New York avait été signifiée, avant que cette «performance» ne soit confirmée... Il n'est donc pas exclu en effet que cette fondation voie le jour et que l'ancien président s'y investisse. Ajoutons que la manière dont Bill Clinton a fédéré les aides pour la reconstruction d'Haïti l'a beaucoup impressionné. Devenir le plus actif et le plus humaniste des anciens présidents est un titre de gloire qui apaiserait son ego, sans le combler toutefois. Encore faudrait-il y parvenir... 
ABSENCE DE CONVICTIONS
On se souvient que le candidat Sarkozy fut, certes, un grand défenseur des droits de l'homme, mais qu'il les a mis de côté pour se rendre en Chine lorsqu'il a été élu. Son action efficace, décisive même, en Libye n'en fait pas un parangon de vertu qu'il n'a jamais pratiquée que par à-coups. Enfin, la France n'est pas les Etats-Unis, qui ont une culture des fondations sans commune mesure avec la nôtre et les ex-chefs d'Etat y ont un autre rayonnement. On peut douter que Nicolas Sarkozy soit en mesure et de lever des fonds qui tiennent la comparaison avec les Oncles Sam en retraite hyperactive, et d'avoir un statut équivalent, alors même que la diplomatie française ne lui fera aucun cadeau. Pour le moins... Il ferait beaucoup mieux de tenter d'abord de se préparer à devenir président de l'Europe, comme l'y poussent d'autres de ses visiteurs, qu'il n'a pas repoussés... Sauf qu'il n'a jamais été qu'un européen de circonstance, réactif aux crises mais sans vision pour les anticiper et les régler vraiment. Bref, même s'il voulait revenir en France via la Communauté européenne, ce n'est pas non plus pour demain, et la voie d'accès à l'Elysée est pour le moins incertaine. Surtout quand on a ce caractère... 
 Car du caractère, Nicolas Sarkozy en a, on ne lui mégotera pas cela. L'audace, la vitesse, l'improvisation, l'impatience même sont ses qualités propres, mais qui se retournent en défauts rédhibitoires aussitôt qu'il faut faire preuve de patience, de mesure, de respect d'un temps long qui l'insupporte tant il est dans le court. Alors, sa rapidité paraît fébrilité, sa hardiesse, de l'imprudence, son courage, de l'inconscience, son élasticité, de l'inconséquence, sa plasticité, de l'inconstance. Ses convictions successives révèlent une absence de conviction. Lui qui a du nerf semble trop nerveux quand la situation exige de la patience.
«PLUS JAMAIS CANDIDAT»
On sait qu'il ne prend jamais de recul, mais de l'élan. Or, pour prétendre à nouveau à la magistrature suprême, il faudrait convaincre les Français qu'il ait cette fois vraiment changé, que la sagesse comme la tempérance lui soient venues dans sa traversée du désert - mais encore faudrait-il qu'il le traversât ! Cet homme-là ne supporte pas la solitude, ni le repli sur soi. La dernière fois qu'il a prétendu se retirer au monastère pour se recueillir, il a fini sur le Paloma ! Certes, aujourd'hui, il tient cette résolution : «ne plus voir les journalistes», dont il s'était tant nourri, et réciproquement, autrefois. Ce serait, voudraient croire ses amis, «le début de la sagesse»! Mais alors, s'il s'engageait véritablement sur cette sente escarpée de la raison raisonnante, peut-être pourrait-il aller jusqu'à accorder quelque valeur à sa propre parole que les «fanas ni-ni» oublient : «Je ne serai, avait-il promis, plus jamais candidat aux mêmes fonctions»...

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